Urbanisme : l’absence d’impartialité des conseillers municipaux n’en fait pour autant pas des conseillers intéressés (CE, 22 février 2016, n°367901)

Le Conseil d'étatPar Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat)

 

Le Conseil d’Etat, dans une décision très récente (Conseil d’État, 6ème / 1ère SSR, 22 février 2016, n°367901, mentionné au recueil Lebon), a rappelé que le fait que des conseillers municipaux ne soient pas impartiaux lors de la participation à une délibération ne permettait pas nécessairement de les qualifier de conseillers « intéressés ».

Les faits de l’affaire étaient les suivants. Une société a été autorisée à exploiter une centrale d’enrobage à chaud et une installation de recyclage de déblais de terrassement au sein d’une zone d’activités d’une commune, et dans laquelle était autorisée, selon le plan local d’urbanisme alors en vigueur, l’implantation d’installations classées pour la protection de l’environnement.

Cependant, que par une délibération du 25 mars 2009, le conseil municipal a approuvé une modification du plan local d’urbanisme interdisant, dans ce secteur, les installations classées comportant une activité de fabrication et de transformation et toute installation connexe.

Deux conseillers municipaux, anciens membres d’un collectif de riverains opposés à la présence de la centrale d’enrobage dans la zone d’activités, avaient participé au vote et la délibération avait eu précisément pour objet de modifier le règlement du plan local d’urbanisme pour interdire, dans le secteur concerné, les installations classées comportant une activité de fabrication et de transformation.

La société exploitante et la société réalisant la zone d’activités ont demandé l’abrogation de cette délibération.

Par une décision du 22 octobre 2009, le maire de la commune a refusé de donner suite à leur demande d’abrogation. Les deux sociétés ont alors introduit un recours en annulation devant le tribunal administratif de Toulouse qui, par un jugement du 28 juillet 2011, a rejeté leur requête. Ce jugement a été confirmé par la Cour administrative d’appel de Bordeaux par un arrêt du 19 février 2013 contre lequel ces sociétés se pourvoient en cassation.

Plusieurs moyens étaient invoqués pour contester le refus d’abrogation. En particulier, il était soutenu la délibération litigieuse du 25 mars 2009 avait été adoptée en méconnaissance de l’article L. 2131-11 du code général des collectivités territoriales (CGCT), dès lors que deux conseillers municipaux, anciens membres d’un collectif de riverains opposés à la présence de la centrale d’enrobage dans la zone d’activités, avaient participé au vote et que la délibération avait eu précisément pour objet de modifier le règlement du plan local d’urbanisme pour interdire, dans le secteur concerné, les installations classées comportant une activité de fabrication et de transformation.

 

Rappelons qu’aux termes de l’article L. 2131-11 du code général des collectivités territoriales (CGCT) :

« Sont illégales les délibérations auxquelles ont pris part un ou plusieurs membres du conseil intéressés à l’affaire qui en fait l’objet, soit en leur nom personnel, soit comme mandataires »

Il résulte de ces dispositions que « la participation au vote permettant l’adoption d’une délibération, par une personne intéressée à l’affaire qui fait l’objet de cette disposition est de nature à entraîner l’illégalité de cette délibération ; que, de même, la participation aux travaux préparatoires et aux débats précédant l’adoption d’une telle délibération, par une personne intéressée à l’affaire qui fait l’objet de cette disposition, est susceptible de vicier la légalité de cette délibération, alors même que cette participation préalable ne serait pas suivie d’une participation au vote de la délibération litigieuse, dès lors que la personne intéressée a été en mesure d’exercer une influence effective sur la délibération litigieuse » (Conseil d’État, 10ème et 9ème sous-sections réunies, 21 novembre 2012, n°334726, mentionné aux tables du recueil Lebon).

Lorsqu’un ou plusieurs membres du conseil municipal intéressés à l’affaire  ont pris part à une délibération, deux situations nous paraissent devoir être distinguées :

–       Dans l’hypothèse où le conseiller municipal participe au vote de la délibération, il suffit qu’il ait un intérêt à l’affaire  pour que ladite délibération soit illégale :

–       Dans l’hypothèse où le conseiller municipal ne participe  pas au vote de la délibération mais qu’il a participé aux travaux préparatoires et aux débats précédant l’adoption de cette délibération, il doit avoir été susceptible d’exercer une influence effective sur la délibération litigieuse pour qu’elle soit illégale.

 

Il convenait donc de déterminer si , en l’espèce, le fait que des conseillers municipaux soient des anciens membres d’un collectif de riverains opposés à la présence de la centrale d’enrobage dans la zone d’activités devait conduire à les qualifier de conseillers « intéressés » à la délibération portant sur une modification du plan local d’urbanisme ayant pour objet de restreindre ce type d’activité sur la commune.

La notion d’intérêt à l’affaire est difficile à appréhender. En principe, l’intérêt à l’affaire existe dès lors qu’il ne se confond pas avec les intérêts de la généralité des habitants de la commune   (Conseil d’Etat, Section, 16 décembre 1994, n°145370, publié au recueil Lebon).

En matière d’association, il a déjà été jugé à propos d’un maire ayant participé à une délibération en vue d’attribuer un local à l’association qu’il présidait devait être considéré comme ayant un intérêt à l’affaire car « l’association, bien que dépourvue de but lucratif, poursuivait des objectifs qui ne se confondaient pas avec les intérêts de la généralité des habitants de la commune ». (Conseil d’Etat, Section, 16 décembre 1994, n°145370, publié au recueil Lebon ; voir également en ce sens Conseil d’Etat, 9ème et 10ème sous-sections réunies, 9 juillet 2003, n°248344, mentionné aux tables du recueil Lebon).

De même, lorsque plusieurs conseillers municipaux sont membres d’une association ayant obtenu, devant le tribunal administratif, l’annulation d’une délibération du conseil municipal de la commune adoptant le projet de révision du plan d’occupation des sols, ils ne peuvent participer au vote tendant à décider si le maire pouvait être autorisé à faire appel dudit jugement car leur intérêt, en l’espèce, n’était pas distinct de celui de l’association, et qu’ils devaient ainsi être regardés comme intéressés aux questions contentieuses pendantes entre la commune et l’association (CAA Paris, Plénière, 9 octobre 1997, n°97PA00998, publié au recueil Lebon)

En revanche, lorsque l’association poursuit des objectifs communs avec les intérêts de la généralité des habitants de la commune, il en va différemment. Ainsi, le Conseil d’Etat a pu juger que le fait que plusieurs conseillers municipaux soient membres d’une association qui devait ultérieurement être chargée de la gestion de d’une réserve naturelle aient participé à la délibération du conseil municipal au cours de laquelle ce conseil a donné un avis favorable au projet de création de la réserve naturelle envisagée  n’était pas de nature à entacher d’illégalité cette délibération dès lors que cette association, qui avait été créée dans un cadre intercommunal avant l’élaboration du projet dont il s’agit, avait pour mission de gérer la mise en valeur d’espaces naturels « dans l’intérêt des communes concernées » et que le maire en était membre « en raison de ses fonctions » (Conseil d’Etat, 6 / 2 SSR, 17 novembre 1999, n°196531).

En l’espèce, les deux conseillers municipaux, anciens membres d’un collectif de riverains opposés à la présence de la centrale d’enrobage dans la zone d’activités, avaient participé au vote de la délibération litigieuse ayant eu pour objet de modifier le règlement du plan local d’urbanisme pour interdire, dans le secteur concerné, les installations classées comportant une activité de fabrication et de transformation. La situation était donc loin d’être évidente dans la mesure où ces conseillers municipaux avaient nécessairement un parti pris sur la délibération litigieuse et qu’ils ne pouvaient être impartiaux.

Le Conseil d’Etat a considéré que pour écarter le moyen tiré de la méconnaissance de l’article L. 2131-11 du CGCT, « la cour a jugé qu’il ne ressortait pas des pièces du dossier que ces personnes auraient influencé le conseil municipal pour des motifs d’intérêt personnel ; que c’est sans erreur de droit que la cour a implicitement mais nécessairement jugé que les dispositions de l’article L. 2131-11 du code général des collectivités territoriales n’interdisaient pas, par principe, à des conseillers municipaux membres d’une association d’opinion opposée à l’implantation de certaines activités sur le territoire de la commune de délibérer sur une modification du plan local d’urbanisme ayant pour objet de restreindre ces activités ; qu’en retenant qu’il ne ressortait pas des pièces du dossier que ces personnes auraient influencé le conseil municipal pour des motifs d’intérêt personnel, pour en déduire que les dispositions de l’article L. 2131-11 n’avaient pas, en l’espèce, été méconnues, la cour n’a entaché son arrêt d’aucune dénaturation ou erreur de qualification juridique » (Conseil d’État, 6ème / 1ère SSR, 22 février 2016, n°367901, mentionné au recueil Lebon)

Le Conseil d’Etat recommande donc d’examiner au cas par cas la situation pour déterminer si des membres d’une association d’opinion opposée à l’implantation de certaines activités sur le territoire de la commune pouvaient délibérer sur une modification du plan local d’urbanisme ayant pour objet de restreindre ces activités. Il confirme l’analyse de la Cour administrative d’appel selon laquelle, en l’espèce, les conseillers municipaux n’avaient pas influencé le conseil municipal pour des motifs d’intérêt personnel.

Au regard des faits de l’espèce, cette décision nous paraît compréhensible pour deux raisons essentielles :

–       D’une part, les conseillers municipaux avaient quitté le collectif opposé au projet au moment du vote dès lors qu’ils sont qualifiés d’ « anciens membres » de ce collectif. Leur intérêt personnel est donc loin d’être avéré ;

–       D’autre part, leurs intérêts paraissaient poursuivre des objectifs communs avec les intérêts de la généralité des habitants de la commune dès lors que la Cour administrative d’appel n’a pas dénaturé les faits en jugeant que l’interdiction de certaines installations classées comportant une activité de fabrication et de transformation dans les zones concernées  par le projet n’était pas entachée d’une erreur manifeste d’appréciation  car « ces zones, situées à proximité d’habitations, étaient enserrées dans un tissu urbain susceptible de se densifier et qu’elles accueillaient déjà plusieurs activités polluantes, qui étaient source de nuisances pour les riverains »

En conséquence, il nous semble important de retenir de cette décision que l’article L. 2131-11 CGCT n’interdit pas, par principe, à des conseillers municipaux membres d’une association d’opinion opposée à l’implantation de certaines activités sur le territoire de la commune de délibérer sur une modification du plan local d’urbanisme ayant pour objet de restreindre ces activités. Cependant, s’il ne s’agit pas d’une interdiction de principe, il ne doit pas s’agir non plus d’une autorisation « de principe » : la solution adoptée dans la présente décision ne doit pas être appliquée de façon automatique par les juges qui doivent impérativement se livrer à un examen au cas par cas.