Urbanisme : détermination de l’autorité compétente lorsque le permis de construire est attribué au nom de l’Etat (CE, 25 novembre 2015, n°372045)

effet pour l'avenirPar Me Marie-Coline Giorno

Green Law Avocat

 

« L’État, c’est moi », aurait affirmé Louis XIV le 13 avril 1655 devant les parlementaires parisiens… Louis XIV disparu, il devient difficile de savoir qui désormais représente l’Etat…et ce plus particulièrement en matière de permis de construire délivrés « au nom de l’Etat », lorsqu’il existe un désaccord entre le maire et le Préfet lors de l’instruction d’une demande d’autorisation d’urbanisme.

Aux termes d’une décision du 25 novembre 2015 (CE, 1ère / 6ème SSR, 25 novembre 2015, n°372045, mentionné dans les tables du recueil Lebon), le Conseil d’Etat a déterminé qui, en cas de désaccord sur le permis de construire, aurait le dernier mot entre le maire ou le Préfet dans l’hypothèse où le maire reviendrait sur l’avis qu’il avait émis initialement.

Les faits de l’espèce étaient les suivants. Un permis de construire avait été sollicité sur le territoire d’une commune dépourvue de plan local d’urbanisme mais dotée d’une carte communale et n’ayant pas fait le choix, par le vote d’une délibération en ce sens de son conseil municipal, de conférer au maire le pouvoir de statuer en son nom sur les demandes d’autorisation d’urbanisme. Dans cette commune, les autorisations d’urbanisme étaient donc délivrées au nom de l’Etat.

Le chef du service de l’Etat dans le département chargé de l’instruction s’était déclaré favorable au projet, tandis que le maire, postérieurement à l’expiration du délai au terme duquel son avis était réputé favorable, avait émis un avis négatif. Le Préfet avait alors décidé d’accorder le permis de construire sollicité.

La commune avait saisi le tribunal administratif qui avait annulé ce permis au motif qu’il émanait d’une autorité incompétente.

Par un arrêt du 12 juillet 2013, la cour administrative d’appel de Lyon avait confirmé le jugement grâce au motif suivant:

« 7. Considérant qu’il est constant que la commune […], dépourvue de plan local d’urbanisme mais dotée d’une carte communale, n’a pas fait le choix, par le vote d’une délibération en ce sens de son conseil municipal, de conférer au maire le pouvoir de statuer en son nom sur les demandes d’autorisation d’urbanisme ; qu’il ressort des pièces produites […]que le responsable de ce service de la direction départementale des territoires, qui y a d’ailleurs expressément visé l’article R. 422-2 e) précité du code de l’urbanisme, s’est déclaré favorable au projet, manifestant ainsi un désaccord avec le maire […], lequel avait porté sur le formulaire de demande de permis un avis négatif ; que, toutefois, cet avis, daté du 30 mars 2010, est intervenu plus d’un mois après que, le 18 janvier 2010, [le pétitionnaire] a renouvelé sa demande de permis de construire et en a déposé le dossier à la mairie de […]; que le maire de cette commune avait ainsi déjà émis, par son silence, un avis réputé favorable et épuisé sa compétence consultative ; qu’il n’existait en conséquence, l’avis défavorable du 30 mars 2010 devant être ignoré, aucun désaccord entre ce maire et le responsable du service instructeur ; que les faits antérieurs à cet avis réputé favorable, et notamment le refus de permis de construire opposé le 5 mai 2007, sont sans incidence ; que le préfet était dès lors incompétent, comme l’a jugé le tribunal, pour délivrer [au pétitionnaire] le permis de construire en litige ; » (CAA Lyon, 12 juillet 2013, n°13LY00643)

 

Le pétitionnaire s’était alors pourvu en cassation.

Le Conseil d’Etat devait donc désigner qui était l’autorité compétente pour prendre la décision sur la demande d’autorisation d’urbanisme, question qui nécessitait de déterminer si un maire pouvait changer d’avis après avoir émis un premier avis favorable.

Aux termes de sa décision, le Conseil d’Etat a censuré la position de la Cour administrative d’appel de Lyon.

Il a, tout d’abord, indiqué à qui devait en principe échoir la compétence en matière d’urbanisme.

  • Principe de compétence du Maire: dans les communes qui ne sont pas dotées d’un document d’urbanisme ou qui sont dotées d’une carte communale mais dans lesquelles le conseil municipal n’a pas délibéré pour donner la compétence au maire en matière d’instruction d’autorisations d’urbanisme, l’article L. 422-1 du code de l’urbanisme dispose que le permis de construire est délivré au nom de l’Etat, par le maire ou par le Préfet.

Plus exactement, l’article R.422-1 du code de l’urbanisme précise que « Lorsque la décision est prise au nom de l’Etat, elle émane du maire, sauf dans les cas mentionnés à l’article R. 422-2 du code de l’urbanisme où elle émane du préfet. »

  • Exceptions à la compétence du Maire: Parmi les exceptions listées à l’article R. 422-2 du code de l’urbanisme, il est notamment exposé que le Préfet est compétent pour délivrer le permis de construire dans les communes visées au b de l’article L. 422-1 du code de l’urbanisme « En cas de désaccord entre le maire et le responsable du service de l’Etat dans le département chargé de l’instruction mentionné à l’article R. 423-16 » du code de l’urbanisme.

Ces précisions sur la compétence apportées, le Conseil d’Etat a alors examiné quelle était la procédure lors de l’instruction d’un permis de construire délivré au nom de l’Etat. Il a notamment souligné qu’aux termes du premier alinéa de l’article R. 423-72 du code de l’urbanisme, «  Lorsque la décision est de la compétence de l’Etat, le maire adresse au chef du service de l’Etat dans le département chargé de l’instruction son avis sur chaque demande de permis et sur chaque déclaration. Cet avis est réputé favorable s’il n’est pas intervenu dans le délai d’un mois à compter du dépôt à la mairie de la demande de permis […] ». De plus, le Conseil d’Etat a relevé que, selon l’article R. 423-74 du même code : « Le chef du service de l’Etat dans le département chargé de l’instruction adresse un projet de décision au maire ou, dans les cas prévus à l’article R. 422-2, au préfet. / Dans les cas prévus à l’article R. 422-2, il en adresse copie au maire […] ».

Cet état du droit rappelé, le Conseil d’Etat devait donc déterminer si le maire pouvait retirer son avis favorable pour prendre un avis défavorable, en dehors du délai qui lui était imparti et, dans cette hypothèse, définir qui était compétent pour statuer sur la demande de permis de construire.

Le Conseil d’Etat a alors considéré que :

«  si le chef du service de l’Etat dans le département chargé de l’instruction doit recueillir l’avis du maire avant de transmettre son projet de décision, avis qui est réputé favorable dans un délai d’un mois à compter du dépôt de la demande de permis, il ne résulte d’aucune des dispositions citées ci-dessus que le maire ne pourrait, avant la transmission du projet de décision prévue à l’article R. 423-74, modifier son avis ; qu’il ne peut, en revanche, en aucun cas prendre compétemment une décision en désaccord avec le projet de décision transmis par le chef du service de l’Etat dans le département chargé de l’instruction ; »

Il en déduit alors « qu’il suit de là que la cour administrative d’appel de Lyon a commis une erreur de droit en jugeant que le maire ne pouvait revenir sur son avis favorable tacite né à l’issue du délai d’un mois et qu’ainsi il n’existait pas de désaccord entre le maire et le responsable du service de l’Etat chargé de l’instruction, avant d’en déduire que le préfet n’avait pas compétence pour statuer sur la demande de permis de construire déposée par [le pétitionnaire] ».

Cette position constitue un revirement de jurisprudence par rapport à une décision du Conseil d’Etat de 1993 aux termes de laquelle il avait estimé que le maire ne pouvait revenir sur son avis au-delà du délai qui lui était imparti et où il avait jugé que le permis avait été délivré par une autorité incompétente :

«  le maire de la commune de A n’a émis que le 20 août 1984, soit postérieurement à l’expiration du délai d’un mois susmentionné, son avis sur la demande de permis de construire présentée par M. Y… ; qu’à cette date le maire ne pouvait plus revenir sur l’avis réputé favorable résultant de son silence pendant un mois après la réception de la demande ; que M. X… n’est, dès lors, pas fondé à soutenir que la décision attaquée, prise sur les avis favorables du maire et de la direction départementale de l’équipement, serait entachée d’incompétence, faute d’avoir été signée par le commissaire de la République ; » (CE, 4 / 1 SSR, 20 octobre 1993, n°89215, mentionné aux tables du recueil Lebon)

Ce revirement était prévisible, en particulier au regard d’une décision récente du Conseil d’Etat. En effet, le Conseil d’Etat a très récemment considéré qu’un avis émis par une commission nationale d’aménagement commercial  pouvait être retiré au-delà du délai qui lui était initialement imparti pour statuer (CE, 4ème / 5ème SSR, 21 septembre 2015, n°376359, Publié au recueil Lebon).

En conséquence, il résulte de ce qui précède que, dans les communes où l’Etat est compétent pour délivrer les permis de construire, si le chef du service de l’Etat dans le département chargé de l’instruction doit recueillir l’avis du maire avant de transmettre son projet de décision, le maire peut, avant que le projet de décision ne lui soit transmis ou ne soit transmis au préfet, en application de l’article R. 423-74, changer d’avis. Néanmoins, dans cette hypothèse, si le maire ne partage pas l’opinion émise par le chef du service instructeur, il ne pourra pas, en revanche, en aucun cas prendre une décision en désaccord avec le projet de décision transmis par le chef du service de l’Etat dans le département chargé de l’instruction. Il ne sera pas compétent pour ce faire et seul le Préfet sera compétent. L’Etat sera donc représenté par le Préfet.