Soutien aux EnR : la Cour des Comptes invite à plus de cohérence, de clarté et d’efficacité

The concept of logical thinking. Geometric shapes on a wooden background.

Par maître Jérémy TAUPIN (Green Law Avocats)

A la suite d’un premier rapport public thématique sur la politique de développement des énergies renouvelables remis en 2013 (Cour des comptes, rapport public thématique, la politique de développement des énergies renouvelables, juillet 2013), la Cour des comptes a rendu public, le 18 avril 2018, un nouveau rapport (consultable ici) relativement critique sur les politiques publiques de soutien au développement des énergies renouvelables, pour lesquelles elle invite l’Etat à plus de cohérence, de clarté et surtout d’efficacité au vu du coût élevé des engagement financiers consentis.

La Cour des Comptes établit un bilan de ces politiques publiques en revenant sur cinq enjeux majeurs, auxquels sont associées deux orientations et six recommandations.

  1. Retour sur les objectifs de développement fixés pour les EnR :

La Cour des Comptes rappelle qu’à partir de 2001, des Directives successives ont fixé le cadre européen des objectifs à atteindre en matière d’énergies renouvelables.

En France, la Loi n° 2005-781 du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de politique énergétique (dite « POPE ») fût la première à chiffrer des objectifs de promotion des énergies renouvelables

Celle-ci prévoyait notamment

  • une division par deux des émissions mondiales de gaz à effet de serre d’ici 2050, ce qui nécessitait une division par quarte ou cinq des émissions pour les pays développés ;
  • la réduction en moyenne de 2 % par an d’ici à 2015 de l’intensité énergétique finale (rapport entre la consommation d’énergie et la croissance économique) et de 2,5 % d’ici à 2030 ;
  • la production de 10 % des besoins énergétiques français à partir de sources d’énergie renouvelables à l’horizon 2010 ;
  • la mise en œuvre de plans mobilisateurs pour les économies d’énergie et le développement des énergies renouvelables, etc.

Puis, dans la continuité du Grenelle, la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement de programmation a fixé à l’horizon 2020 un objectif de 23 % d’énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie. Cet objectif a alors été décliné au plan réglementaire par une programmation pluriannuelle des investissements pour la chaleur et l’électricité (PPI) en 2009, assortie d’un plan d’action national (PNA) en faveur des EnR (2009-2020).

Enfin en 2015, la France va aller plus loin que l’objectif européen (fixé à 27%) en prévoyant dans sa Loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique et pour la croissance verte un objectif ambitieux de 32 % d’EnR dans la consommation finale brute d’énergie d’ici à 2030. Pour atteindre progressivement cet objectif, la programmation pluriannuelle de l’énergie (Décret n° 2016-1442 du 27 octobre 2016 relatif à la programmation pluriannuelle de l’énergie), actuellement en discussion pour les périodes 2018-2023 et 2024-2028, prévoit des étapes. Cependant, dans son rapport la Cour des comptes met en garde le gouvernement car, pour atteindre cet objectif de 32 % d’EnR, il faudra réduire de 75 à 50 % la part du nucléaire dans le mix électrique d’ici 2025. Or, cet objectif est incompatible avec la trajectoire d’augmentation des capacités d’énergies renouvelables électriques décrite dans la PPE de 2016, ce qu’a d’ailleurs confirmé Nicolas Hulot en novembre 2017 (Communication du ministre de la transition écologique et solidaire au Conseil des ministres du 7 novembre 2017). Ainsi, la Cour de comptes appelle à « la définition [dans la nouvelle PPE] d’une stratégie énergétique plus cohérente entre les objectifs de production d’EnR électriques et l’objectif de réduction de la part de l’énergie nucléaire dans le mix ».

Par ailleurs, la Cour souligne que l’objectif de 32% ne pourra être atteint que si les procédures de recours contre certains projets d’EnR, « qui font l’objet d’une acceptabilité sociale limitée qui retarde voire empêche les réalisations (…) et accroit les risques financiers pesant sur eux », sont revues afin notamment de raccourcir les délais de mise en service des installations.

  • Orientation associée par la Cour des Comptes :

A l’occasion de la révision de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) de 2018, la Cour préconise de définir une stratégie énergétique cohérente entre les objectifs de production d’énergies renouvelables électriques et l’objectif de réduction de la part de l’énergie nucléaire dans le mix.

 

  1. Rappel des résultats atteints par rapport à la trajectoire visée :

La Cour des comptes remarque que, malgré les efforts entrepris au cours de la dernière décennie pour faire progresser le volume des énergies renouvelables dans le mix énergétique de 9,2% en 2005 à 15,7% en 2016, la France affiche toujours un décalage au regard des objectifs affichés.

En effet, la stratégie énergétique française formulée dans la Loi du 17 août 2015 repose sur un double objectif, climatique et énergétique. A ce propos, la Cour souligne qu’il y a « une ambivalence dans la stratégie française [qui] conduit donc à activer simultanément deux leviers – la croissance des énergies renouvelables électriques et celle des énergies thermiques – qui ne répondent pas aux mêmes objectifs. »

En effet, la France peut apparaître comme un leader sur le plan climatique européen car son électricité est décarbonée à 98 % du fait de la prépondérance de l’énergie nucléaire dans son mix, ce qui limite ses émissions de gaz à effet de serre comparativement aux aux autres pays de l’UE (et notamment le Royaume Uni, l’Allemagne ou l’Espagne qui ont encore pour priorité de décarboner leurs mix énergétique) (cf. : graphique n° 2 du rapport, page 21).

La France semble répondre ainsi à l’objectif climatique, mais une contradiction apparait puisque, comme nous l’avons rappelé précédemment, la France s’est justement engagée à réduire à 50% la part du nucléaire d’ici 2025, objectif qui ne sera pas tenable compte tenu du retard pris dans le développement des énergies renouvelables. En réalité, il ressort de l’analyse de la Cour que le choix fait par la France de remplacer progressivement l’énergie de source nucléaire en soutenant particulièrement le développement des EnR électriques répond davantage à un objectif de politique énergétique qu’à un objectif climatique. La Cour ainsi souligne que « si la France avait voulu faire de sa politique en faveur des EnR un levier de lutte contre le réchauffement climatique, elle aurait dû concentrer prioritairement ses efforts sur le secteur des EnR thermiques qui se substituent principalement à des énergies fossiles émissives de CO2 ».

La Cour recommande donc une clarification des objectifs dans la prochaine PPE, afin de mieux comprendre à quoi correspond le développement des différentes EnR (substitution à l’énergie nucléaire, décarbonation du mix), et quels sont les bénéfices attendus (améliorer la balance commerciale en réduisant les importations d’énergies fossiles, accroître l’indépendance énergétique française, développer de nouveaux secteurs industriels, etc.).

Elle recommande également une augmentation des moyens alloués au Fonds chaleur afin de « les mettre en cohérence avec les objectifs assignés au EnR thermiques ».

Recommandations associées par la Cour des Comptes :

  • respecter la trajectoire d’augmentation de la composante carbone des taxes intérieures de consommation énergétiques telle que définie par la loi de finances initiale (LFI) pour 2018 jusqu’en 2022 et, au-delà, fixer cette trajectoire en cohérence avec les objectifs de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) en matière d’énergies renouvelables et de récupération thermique ;
  • accroître les moyens du fonds chaleur pour atteindre les objectifs de développement fixés aux EnR thermiques ;
  • améliorer l’efficience des mécanismes de soutien aux EnR électriques, notamment :

en faisant évoluer les procédures d’appels d’offres et d’autorisation administrative pour accélérer le déploiement des projets ;

en étendant les appels d’offres pour l’attribution d’aide à la production d’électricité d’origine éolienne aux installations de plus de 6 MW ;

en fixant des plafonds de prix pour les projets dans les filières non matures.

  1. Interrogations sur les politiques menées en matière de soutien à la filière EnR française : 

D’emblée, la Cour des comptes juge le bilan industriel du secteur des EnR « décevant ». Elle note que « faute d’avoir établi une stratégie claire et des dispositifs de soutien stables et cohérents, le tissu industriel français a peu profité du développement des EnR. ».

La Cour déplore en effet l’absence de « champions » français dans le secteur des EnR, contrairement à d’autres pays européens.

Elle réclame donc « une clarification des ambitions industrielles françaises en matière d’EnR (…) au regard des opportunités économiques que la croissance de ce secteur recèle, s’agissant en particulier de nouvelles technologies, telles que le stockage et les réseaux intelligents. ».

Orientation associée par la Cour : à l’occasion de la révision de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE): clarifier les objectifs industriels français associés au développement futur des EnR.

 

  1. Sur le coût public passé et à venir des mesures de soutien déployées :

La Cour concède que la France a fait d’importants investissements afin de soutenir les énergies renouvelables, en particulier s’agissant des EnR électriques.

Sa politique de soutien s’articule principalement autour de deux leviers, celui des subventions et des avantages fiscaux, et celui de la taxation des énergies fossiles. Le rapport détaille le fonctionnement de ces soutiens : « les EnR électriques bénéficient de subventions d’exploitation au travers d’obligations d’achat et de mécanismes de compensation, les EnR thermiques bénéficient de subventions d’investissement par le biais du fonds chaleur et les dispositifs fiscaux, le crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE) notamment, bénéficient aux particuliers pour l’achat d’équipements destinés à utiliser des EnR pour la production de chaleur ou de froid. »

Pour l’année 2016, la Cour des comptes estime la somme des dépenses publiques en soutien aux EnR à 5,3 milliards d’euros (dont 4,4 milliards pour les EnR électriques contre 567 millions pour les EnR thermiques).

Si la trajectoire française en matière de développement des EnR se réalise, les dépenses pourraient atteindre 7,5 Milliards d’euros en 2023, notamment du fait d’engagements passés. Avant 2011, pour les EnR électriques, l’Etat avait mis en place des aides sous formes de tarifs garantis de rachat d’électricité ou de subventions, l’engageant financièrement sur le long terme. « Les charges contractées à la suite de décisions antérieures à 2011 représentent ainsi près des deux tiers du volume annuel de soutien supporté aujourd’hui par les finances publiques » selon la Cour. Par ailleurs, les résultats de ces soutiens ne sont pas à la hauteur des espérances de la Cour puisque, par exemple pour le photovoltaïque, « les garanties accordées avant 2011 représenteront 2 Milliards d’euros par an jusqu’en 2030 (soit 38,4 Md€ en cumulé) pour un volume de production équivalent à 0,7 % du mix électrique ».

La Cour recommande donc à l’avenir de « calculer et révéler le coût complet du mix énergétique programmé et les soutiens publics induits, et d’asseoir les décisions de programmation énergétique sur ces informations ».

Elle recommande également que le Parlement soit « mieux associé à la définition des objectifs de développement des EnR et des volumes financiers de soutien aux EnR » car, actuellement, il n’est pas en mesure de se prononcer sur les engagements financiers passés ou nouveaux

Orientation associée par la Cour : 

Mieux associer le Parlement à la définition des objectifs de développement des EnR et des volumes financiers de soutien aux EnR.

  • Recommandation associée par la Cour : 

Publier le calcul des coûts de production et des prix, actuels et prévisionnels, de l’ensemble du mix énergétique programmé dans la PPE, et l’utiliser pour contenir le volume des soutiens publics associés aux objectifs de la politique énergétique, à court, moyen et long terme.

 

  1. Sur le pilotage des dispositifs de soutien au développement des énergies renouvelables : 

Concernant la planification de la stratégie énergétique, qui interviendra par la révision de la PPE en 2018, la Cour appelle le Gouvernement à mettre en œuvre une « stratégie de développement plus concertée, capable de conférer davantage de crédibilité aux engagements publics en faveur des énergies renouvelables ».

La Cour recommande donc en premier lieu que les « choix gouvernementaux soient éclairés par les travaux d’un comité associant l’ensemble des parties prenantes à la stratégie énergétique et qui, à l’image du Conseil d’orientation des retraites, pourrait réaliser des scenarii prospectifs. Cette instance se substituerait aux nombreuses structures de gouvernance existant dans le domaine de la politique énergétique. »

En second lieu, la Cour demande davantage de concertation entre les ministères et plus de transparence concernant l’argent public engagé. En effet, les politiques de soutien aux EnR sont aujourd’hui pilotées presque exclusivement par le ministère chargé de l’énergie et sa direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), sans de réel dialogue interministériel. Or, la Cour des comptes estime que ce dialogue est nécessaire et recommande pour cela que soit créé un « secrétariat ou un comité interministériel présidé par les services du Premier ministre pourrait assurer la montée en puissance des directions ministérielles intéressées et le bon alignement des politiques des ministères concernés (recherche, industrie, agriculture, etc.) ».

Recommandations associées par la Cour : 

  • créer, à l’image du Conseil d’orientation des retraites (COR) et en remplacement d’autres instances existantes, un comité chargé d’éclairer les choix gouvernementaux relatifs à l’avenir de la politique de l’énergie ;
  • mettre en place une instance de pilotage interministériel de la politique énergétique placée auprès du Premier ministre.