Compteurs LINKY: mais que peuvent encore faire les communes? (CE, 11 juillet 2019)

3D exclamation mark  photo realistic isometric projection grass ecology theme on whitePar Lucas DERMENGHEM- Green Law Avocats

Par une décision du 11 juillet 2019 (n°426060), le Conseil d’Etat s’est prononcé une deuxième fois en l’espace d’un mois au sujet des controversés compteurs électriques de type « Linky ».

L’arrêt, qui sera mentionné dans les Tables du recueil Lebon, rappelle de nouveau qui est le propriétaire des appareils. Et anesthésie également les compétences du maire au titre de ses pouvoirs de police générale.  

 

Depuis le début de leur déploiement en 2015, les installations de comptage ont mauvaise presse. Selon leurs détracteurs, de nombreuses zones d’ombre existent en ce qui concerne la collecte des données personnelles, le risque d’incendie, la propagation d’ondes électromagnétiques pouvant potentiellement impacter la santé, etc.

Le sénateur de La République En Marche (LREM) Robert NAVARRO avait déjà relayé cette inquiétude par une question écrite adressée au ministre de la transition écologique et solidaire au sujet de l’impact des compteurs Linky sur la santé. Tout en mentionnant le fait que les champs électromagnétiques-radioélectriques ont été classés par l’OMS dans la catégorie cancérigène 2B, tout comme l’amiante ou le plomb.

Plus récemment, une quinzaine de députés ont déposé auprès de la Présidence de l’Assemblée Nationale une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les conséquences du programme d’installation des compteurs communicants Linky.

Et la controverse se traduit également devant les tribunaux, puisque de nombreuses actions sont menées par des citoyens mais également par des communes désireuses d’interdire le déploiement des dispositifs sur leur territoire, comme ce fut le cas de la commune de Cast (Finistère) qui est à l’origine de l’affaire ici commentée.

Par une délibération du 16 juin 2016, le conseil municipal de Cast a ainsi demandé la mise en place d’un moratoire relatif au déploiement des compteurs intelligents en attendant les conclusions de l’étude réalisée sous l’autorité du ministère de la santé relative aux expositions liées au déploiement des compteurs numériques et à leurs conséquences éventuelles en termes de santé publique. Les jours suivants, le maire de la commune a décidé de suspendre sur l’installation des dispositifs sur le territoire.

Par un jugement du 9 mars 2017, le Tribunal administratif de Rennes a annulé les délibérations et la décision du maire. La Cour administrative d’appel de Nantes a approuvé la solution des juges du premier degré et débouté la municipalité le 5 octobre 2018.

Qui est propriétaire des compteurs Linky:

Saisi du pourvoi de la commune, la Haute Assemblée se prononce tout d’abord sur la question de la propriété des compteurs « Linky », en reprenant la solution dégagée deux semaines plus tôt dans l’affaire de la commune de Bovel (CE, 28 juin 2019, n°425975, aux Tables), elle aussi opposée au dispositif de comptage.

Sur ce point, le Conseil d’Etat considère que sur le fondement des dispositions combinées des articles L.322-4 du Code de l’énergie et L.1321-1 du Code général des collectivités territoriales, lorsqu’une commune transfère sa compétence en matière d’organisation de la distribution d’électricité à un établissement public de coopération, celui-ci devient autorité organisatrice sur le territoire de la commune, et par voie de conséquence propriétaire des ouvrages des réseaux.

En l’espèce, la commune de Cast a transféré sa compétence en matière d’organisation de la distribution d’électricité au syndicat départemental d’électricité du Finistère, lequel est donc l’autorité organisatrice sur le territoire communal. Dès lors, la commune ne pouvait se voir attribuer la qualité de propriétaire des installations de comptage et ne disposait donc pas de la compétence pour s’opposer au déploiement des compteurs sur ce fondement. Dans la mesure où la très grande majorité des communes ont transféré leur compétence en la matière à un établissement public, celles-ci se voient désormais privées d’un moyen de s’opposer au déploiement des compteurs sur leur territoire.

Compteur Linky et pouvoirs du Maire:

Mais l’arrêt retiendra également l’attention du lecteur concernant la possibilité pour le maire de s’opposer au déploiement des compteurs au titre de ses pouvoirs de police générale, qu’il se doit d’utiliser afin de veiller au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques sur le territoire communal.

En l’occurrence, le maire de Cast avait décidé de suspendre l’implantation des compteurs sur le territoire communal pour des motifs liés à l’utilisation des données et à l’impact des dispositifs sur la santé humaine.

Dans sa décision, le Conseil d’Etat a procédé à l’interprétation suivante de la réglementation applicable :

  • D’une part, il appartient au Premier ministre de fixer par décret les modalités de mise à disposition des données devant être recueillies par les compteurs électriques communicants ;
  • D’autre part, l’article R. 323-28 du code de l’énergie prévoit que les dispositions techniques adoptées pour les ouvrages de réseaux publics d’électricité doivent satisfaire aux prescriptions techniques fixées par un arrêté pris conjointement par le ministre chargé de l’énergie et le ministre chargé de la santé ; les prescriptions de cet arrêté visant notamment à éviter que ces ouvrages compromettent la sécurité des personnes et des biens et qu’ils excèdent les normes en vigueur en matière d’exposition des personnes à un rayonnement électromagnétique. De plus, les compteurs sont soumis aux dispositions du décret du 27 août 2015 relatif à la compatibilité électromagnétique des équipements électriques et électroniques.

La Haute Assemblée en déduit ainsi que le Maire ne peut intervenir via des décisions portant sur l’installation de compteurs électriques communicants qui seraient destinées à protéger les habitants contre les effets des ondes émises  :

« 9. Il appartient ainsi aux autorités de l’Etat de veiller, pour l’ensemble du territoire national, non seulement au fonctionnement optimal du dispositif de comptage au vu notamment des exigences d’interopérabilité mais aussi à la protection de la santé publique par la limitation de l’exposition du public aux champs électromagnétiques, en mettant en œuvre des capacités d’expertise et des garanties techniques indisponibles au plan local. Dans ces conditions, si les articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales habilitent le maire à prendre, pour la commune, les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, il ne saurait adopter sur le territoire de la commune des décisions portant sur l’installation de compteurs électriques communicants qui seraient destinées à protéger les habitants contre les effets des ondes émises ».

Cette position appelle de notre part plusieurs observations :

  • Tout d’abord, cet arrêt présente des similitudes marquées avec les décisions rendues à propos d’arrêtés municipaux pris par des maires au titre de leur pouvoir de police générale dans le but d’encadrer l’implantation d’antennes-relai de téléphonie mobile.

A ce titre, l’arrêt le plus éloquent est certainement celui rendu en assemblée par le Conseil d’Etat le 26 octobre 2011, Commune de Saint-Denis (n°326492, publié au recueil Lebon). Dans cette affaire, la Haute Assemblée avait considéré que le maire ne pouvait utiliser ses prérogatives pour régir l’installation d’antennes-relai sur le territoire communal sans porter atteinte à la police spéciale des communications électroniques confiées à l’Etat.

Le parallèle avec la décision précitée est par ailleurs évident concernant le raisonnement suivi par le Conseil d’Etat s’agissant du principe de précaution : dans les deux arrêts, le juge du Palais Royal adopte la même formulation : « le principe de précaution, s’il est applicable à toute autorité publique dans ses domaines d’attributions, ne saurait avoir ni pour objet ni pour effet de permettre à une autorité publique d’excéder son champ de compétence et d’intervenir en dehors de ses domaines d’attributions » (Considérant n°10).

Néanmoins, la solution dégagée dans l’arrêt du 11 juillet 2019 apparaît bien plus ambiguë.

Ainsi, il doit être noté que le juge du Palais Royal n’assume pas entièrement le raisonnement développé par son Rapporteur public, tout en le reprenant à son compte.

Ce dernier avait en effet conclu à l’existence d’une « police spéciale des équipements électriques » visant à limiter leurs émissions électromagnétiques à un niveau devant assurer la protection des populations et à laquelle seraient soumis les compteurs « Linky ». Et d’en déduire que le maire ne pouvait en aucune manière y interférer.

La lecture des conclusions du Rapporteur public laisse toutefois entrevoir assez clairement une hésitation quant à la tangibilité d’une telle police. Dans la mesure où celle-ci n’est aucunement citée de manière explicite dans l’arrêt du Conseil d’Etat, il semblerait que la formation de jugement ait été plus frileuse que son Rapporteur public.

De telle sorte que la solution nous semble critiquable quant à sa motivation.

Elle l’est d’autant plus qu’elle se fonde en partie, pour justifier l’existence de prérogatives étatiques, sur l’arrêté pris conjointement par les ministres chargés de la santé et de l’énergie définissant les prescriptions techniques applicables aux ouvrages de réseau de distribution. Sauf que cet arrêté n’est toujours pas adopté à ce jour…

  • Ensuite, si la solution dégagée par le Conseil d’Etat semble fermer une nouvelle porte aux communes désireuses de s’opposer au « Linky », est-ce à dire pour autant qu’elle aura pour effet de tarir le contentieux en la matière ?

En effet, dans la mesure où l’Etat est nommément désigné comme l’autorité en charge de veiller à ce que le compteur « Linky » ne porte pas atteinte à la santé et à la sécurité, on peut imaginer que de nombreuses demandes au sujet des compteurs (interdiction préalable de pose, demande de démantèlement…), seront dirigées vers cet interlocuteur et que sa réponse (vraisemblablement négative) sera contestée devant le juge administratif.

On observe également que le Conseil d’Etat se prononce pas sur l’articulation entre les prérogatives des autorités de l’Etat s’agissant du compteur « Linky » et celles du propriétaire public du dispositif, qui sera la plupart du temps l’établissement public qui se sera vu transférer les compétences des communes en matière de distribution d’électricité et, plus rarement, les communes elles-mêmes. En tant que propriétaire du compteur, une certaine logique voudrait que l’autorité organisatrice de la distribution d’électricité en dispose librement et qu’elle puisse ainsi en ordonner le démantèlement, voire assortir sa pose de prescriptions (exemple : installation d’un filtre destiné à atténuer l’émission d’ondes électromagnétiques).

  • Enfin, en dépit de cette nouvelle décision défavorable aux communes opposées au compteur « Linky », il est vraisemblable que certaines d’entre elles décident, pour des raisons d’opportunité, de passer outre en prenant de nouvelles délibérations et de nouveaux arrêtés municipaux. Plus de 800 communes se seraient ainsi déjà prononcées contre la pose du compteur sur leur territoire, preuve s’il en fallait de la vivacité de l’opposition et signe que la saga contentieuse en la matière est loin d’être terminée.