radar screenPar une ordonnance en date du 10 avril 2014 le Tribunal de grande instance de Paris (TGI Paris, 10 avril 2014, RG n°13/16986, jurisprudence cabinet) confirme la compétence du juge judiciaire pour connaître de l’action relative à la responsabilité civile et personnelle d’un expert dans le cadre de ses missions d’expertise judiciaire, et ce alors même qu’il avait été désigné par une juridiction administrative.

 

En l’espèce, l’action est engagée par une société spécialisée dans le développement et l’exploitation de parcs éoliens qui avait contesté des refus de permis de construire devant le juge administratif de l’excès de pouvoir. Par un jugement du Tribunal administratif d’Amiens avant-dire droit en date du 18 octobre 2011(TA Amiens, 18 octobre 2011, jugement n°0903355), la juridiction administrative avait décidé de désigner un expert dans le cadre du litige porté devant lui afin d’apprécier, en substance, les perturbations alléguées des éoliennes sur les radars météorologiques et le risque éventuel pour la sécurité publique.

 

Au cours des réunions d’expertise, la société a soupçonné la partialité de l’expert de part le comportement complaisant de ce dernier durant les réunions envers l’une des parties et dans la mesure où il reprenait des propos généralement tenus par des personnes par principe hostiles à l’éolien, et ce notamment au travers un site internet où il était nommément identifié

Les écrits de l’expert et son attitude lors de l’expertise permettaient à la société de démontrer la violation de l’obligation d’impartialité de l’expert et d’obtenir par voie de conséquence sa révocation devant le juge administratif.

Par un jugement en date du 10 avril 2012 (TA Amiens, 10 avril 2012, jugement n°1200428), le Tribunal administratif d’Amiens a fait droit à la demande de récusation de l’expert en estimant qu’il résultait de l’instruction :

 « que le commentaire litigieux du 30 décembre 2009 doit être regardé, compte tenu des termes dans lesquels il est rédigé, comme une raison sérieuse de mettre en doute l’impartialité objective de M… pour la réalisation de l’expertise diligentée (…), qu’en conséquence, il y a lieu, par application des dispositions précitées, de déclarer bien fondée la demande de récusation présentée par la SOCIETE … et de procéder au remplacement de l’expert … ».

 

Devant le préjudice subi par elle, la société a assigné l’expert en vu de voir sa responsabilité civile personnelle engagée. Dans le cadre de sa défense, le Conseil de l’expert a soulevé devant le Tribunal de grande instance de Paris l’incompétence de la juridiction judiciaire pour connaître du litige. Il était soutenu qu’eu égard à la qualité de « collaborateur occasionnel du service public » de l’expert, désigné par une juridiction administrative, sa responsabilité pour faute devait donner lieu à un procès devant le juge administratif et non devant le juge civil.

 

Toutefois, dans son ordonnance en date du 10 avril 2014, le Tribunal de grande instance de Paris rejette l’exception d’incompétence et relève que :

« Dès lors que les fautes reprochées à M….. seraient de nature, si elles étaient établies, à engager sa responsabilité civile personnelle, et non celle de l’Etat, la juridiction judiciaire est compétente pour connaître de l’action engagée par la société… »

Ce sera donc au TGI de connaître du fond et de trancher la question de la responsabilité de l’expert à l’égard de la société à l’égard de qui elle a manqué d’impartialité.

L’ordonnance rendue par le Tribunal de grande instance de Paris confirme ici une jurisprudence constante et pourtant méconnue par bon nombres puisque si le Conseil d’État, dans un arrêt du 26 février 1971 (CE, 26 février 1971, rec. Page 172), a reconnu à l’expert judiciaire la qualité de « participant au service public de la justice », il n’en demeure pas moins que le caractère personnel de la faute de l’expert judiciaire lui fait perdre sa qualité d’agent public occasionnel.

A cet égard, plusieurs juridictions judicaires se sont reconnues compétentes pour juger des actions relatives à la responsabilité civile de l’expert (Cass. 2ème civ., 8 oct. 1986 : Gaz. Pal. 1986, 2, p. 281, TGI CHATEAUROUX, 21 janvier 2003).  Dans un arrêt en date du 19 mars 2002, la Cour de cassation a expressément énoncé que «l’action en responsabilité contre l’expert judiciaire, désigné par la juridiction administrative, devait se tenir devant la juridiction judiciaire puisque les éventuelles fautes commises par lui engageaient sa propre responsabilité et non celle de l’Etat » (Cass.1ère civ, 19 mars 2002, n°00-11.907).

 

L’ordonnance rendue par le Tribunal de grande instance de Paris est à cet égard intéressante puisqu’elle confirme la responsabilité civile personnelle de l’expert qui bien que désigné par le juge administratif, doit quoiqu’il en soit répondre personnellement de ses fautes causées par sa partialité durant une expertise judiciaire.

 

Au regard de la place centrale qu’occupe incontestablement l’expert judiciaire dans le cadre de nombreuses procédures judiciaires, une vigilance particulière doit donc être portée sur l’identité de l’expert désigné et son parcours. Les requérants ne doivent pas oublier que des signes ou comportements mettant en relief une violation de l’obligation d’impartialité de l’expert désigné peuvent être de nature à engager sa responsabilité civile La sérénité comme la crédibilité des opérations d’expertise supposent une impartialité objective et subjective.

 

Me Aurélien BOUDEWEEL

Green Law Avocat