green grass maze, isolated on whitePar un arrêt remarqué en date du 23 octobre 2013 « société O. » (CE, 23 octobre 2013, Société O., n° 360481), le Conseil d’Etat vient apporter d’intéressantes précisions sur les documents que le maire peut exiger d’un opérateur téléphonique qui souhaite construire des antennes relais sur le territoire de sa commune.

Il en ressort que le maire ne peut exiger d’un opérateur une information dite de précaution au stade de l’instruction d’une déclaration préalable lorsque celle-ci n’est pas prévue par les textes (en dehors de tout texte).

L’information de précaution est une manifestation du principe de précaution en ce qu’elle doit éclairer l’édile municipal sur les risques liés à l’implantation d’antennes relais lorsqu’il agit en qualité d’autorité compétente en matière d’urbanisme.

Les faits étaient simples. Le maire d’Issy-les-Moulineaux (92) avait, par arrêté, fait opposition à la déclaration préalable de travaux d’implantation de deux antennes relais par la société O. aux motifs « qu’une école et deux crèches se situent dans un rayon de 100 mètres autour du relais, que l’estimation du niveau maximum du champ [électromagnétique] reçu sous la forme d’un pourcentage par rapport à la valeur de référence de la recommandation européenne est absente du dossier [de déclaration préalable] ». Accessoirement, le maire soutenait que d’un point de vue paysager, les antennes ne s’intégraient pas à l’environnement urbain.

En première instance, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise rejetait le recours de la société sur le fondement de l’article L. 96-1 du code des postes et des communications électroniques (CPCE) en relevant que l’autorité compétente en matière d’urbanisme pouvait s’opposer à la déclaration préalable si l’opérateur ne lui avait pas fourni les éléments permettant de l’assurer que le projet n’est pas susceptible de violer le principe de précaution.

En cassation, le Conseil d’Etat annule le jugement du TA ainsi que l’arrêté d’opposition à déclaration préalable de travaux. Pour ce faire, le Conseil d’Etat censure d’une part l’interprétation faite par le TA de l’article L. 96-1 du CPCE (I) et d’autre part, la haute juridiction, réglant l’affaire au fond, constate l’absence d’éléments au dossier justifiant l’application du principe de précaution par le maire (II). L’arrêt « société O. » confirme que l’implantation d’antennes relais de la téléphonie mobile est insoluble dans le principe de précaution (III).

  • I – La nouvelle piste de l’information fait « pschitt »

Dans un premier temps, le Conseil d’Etat rappelle que dans la version de l’article 96-1 CPCE applicable à la date de l’arrêté attaqué : « Toute personne qui exploite, sur le territoire d’une commune, une ou plusieurs installations radio-électriques est tenue de transmettre au maire de cette commune, sur sa demande, un dossier établissant l’état des lieux de cette ou de ces installations […] ».

Ces dispositions visent donc à obliger, sur demande du maire, les exploitants d’antennes relais en exploitation, à transmettre des informations sur l’état des lieux des installations. En l’espèce, le maire considérait incomplet le dossier qui ne comprenait pas l’estimation du niveau maximum du champ électromagnétique reçu sous  forme d’un pourcentage par rapport à la valeur de référence de la recommandation européenne sur le sujet.

Toutefois, le Conseil d’Etat juge qu’au stade de l’instruction du dossier, le maire ne peut exiger d’autres documents que ceux prévus par le code de l’urbanisme même lorsque l’application du principe de précaution est en jeu. Les juges du Palais Royal font ici application du principe qu’ils ont pu dégager selon lequel le principe de précaution ne permet pas à une autorité publique de dépasser son champ de compétence (trois arrêts du même jour : CE, Ass, 26 octobre 2011, Commune de Saint-Denis, req. n° 326492 ; Commune de Pennes-Mirabeau, req. n°329904 ;  SFR, req. n°s 341767 et 341768).

  • II – L’absence d’éléments circonstanciés tendant à établir l’existence de risques même incertains

Dans un deuxième temps, pour régler l’affaire au fond, le Conseil d’Etat reprend son considérant de principe dégagé dans un autre arrêt (CE, 30 janvier 2012, société O., req. n° 344992) selon lequel :

« S’il appartient, à l’autorité administrative compétente de prendre en compte le principe de précaution lorsqu’elle se prononce sur l’octroi d’une autorisation délivrée en application de la législation sur l’urbanisme, les dispositions de l’article 5 de la Charte de l’environnement ne permettent pas, indépendamment des procédures d’évaluation des risques et des mesures provisoires et proportionnées susceptibles, le cas échéant, d’être mises en œuvre par les autres autorités publiques dans leur domaine de compétence, de refuser légalement la délivrance d’une autorisation d’urbanisme en l’absence d’éléments circonstanciés sur l’existence, en l’état des connaissances scientifiques, des risques, même incertains, de nature à justifier un tel refus d’autorisation »

Rappelant, s’il le fallait encore, que le principe de précaution est opposable à l’implantation d’antennes relais (voir en ce sens : CE, 19 juillet 2010, Association du quartier des Hauts de Choiseul, req. n° 328687), la haute juridiction considère qu’aucun élément du dossier de déclaration préalable soumis au maire d’Issy-les-Moulineaux n’est susceptible d’établir l’existence d’un risque pour les riverains pouvant résulter de l’exposition aux champs électromagnétiques émis par les antennes relais.

Enfin, le Conseil d’Etat relève que le droit d’accès aux informations environnementales consacré à l’article 7 de la Charte de l’environnement « n’habilite pas, par elle-même, le maire d’une commune à exiger le production de documents non prévue par les textes législatifs ou réglementaires en vigueur, ni à instaurer une procédure, elle-même non prévue par les textes en vigueur ». Cette précision utile tend à neutraliser l’invocation directe de la Charte de l’environnement par un maire qui exige, au stade de l’instruction d’un dossier de déclaration préalable, des éléments qu’il ne peut légalement requérir pour fonder sa décision.

A titre subsidiaire, le Conseil d’Etat estime que l’implantation des antennes relais dans un « environnement urbain » exclut du champ de visibilité de monuments d’intérêts historiques et paysagers n’est pas de nature « à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants ».

  • III – Insolubilité du principe de précaution en matière d’antennes relais : solution nouvelle ou continuité jurisprudentielle ?

Alors que les sages du Palais Royal ont récemment fixé finement « la méthodologie du principe de précaution » (« La méthodologie du principe de précaution fixée par le Conseil d’Etat » par D. DEHARBE et L. DELDIQUE in Droit de l’environnement, n° 216, pp. 344-350)  à propos d’une déclaration d’utilité publique (CE, 12 avril 2013, Asso. THT, req. n° 340409), que le Conseil Constitutionnel l’oppose en matière d’O.G.M. (CC, 19 juin 2008, Loi relative aux organismes génétiquement modifiés, n° 2008-564 DC) et d’exploration/exploitation du gaz de schiste par fracturation hydraulique (CC, 11 octobre 2013, Société Schuepbach Energy LLC, n° 2013-346 QPC), le principe de précaution semble toutefois insoluble en matière d’antennes relais.

Cette asymétrie dans l’application du principe de précaution au détriment du contentieux administratif des antennes relais symbolisée par cet arrêt n’est qu’une continuité de la position du Conseil d’Etat sur la question.

Bien que l’arrêt « Association du quartier les Hauts de Choiseul » du 19 juillet 2010 (précité) énonce que le principe de précaution s’impose aux autorités administratives dans leurs domaines de compétence respectifs, la jurisprudence du Conseil d’Etat démontre qu’en pratique, en matière d’urbanisme, le principe est inopposable. Tel est le cas dans notre arrêt puisque le Conseil d’Etat juge que le maire ne peut refuser la délivrance d’une autorisation d’urbanisme quant bien l’installation d’antennes relais aurait probablement un impact sur la santé humaine. En effet, le principe de précaution ne permet pas au maire (autorité compétente en matière d’urbanisme sur sa commune, voir l’EPCI) de d’excéder son champ de compétence (CE, Ass, 26 avril 2011, Commune de Saint-Denis, précité). Ainsi, un maire ne peut demander à un opérateur de déplacer une antenne relais et de régler le dispositif d’émission des champs électromagnétiques sans méconnaître l’étendue de sa compétence et « sans porter atteinte aux pouvoirs de police spéciale conférés aux autorités de l’Etat » (CE, 26 décembre 2012, Commune de Saint-Pierre d’Irube, req. n°352117).

Au final, que reste t-il des pouvoirs du maire ? Son pouvoir de police générale est neutralisé par la police spéciale des antennes relais alors que ses attributions en  urbanisme buttent sur l’affirmation pas si rassurante, du Conseil d’Etat qui voudrait que l’exposition aux ondes des antennes relais ne constituerait qu’un risque hypothétique et non incertain. Mais à quand une expertise judiciaire sur le sujet ? C’est seulement à cette condition que sera  rassuré celui qui demande à l’être : le justiciable.