Vers un fonds d’indemnisation des malades victimes de pesticides ?

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Par David DEHARBE (Green Law Avocats)

Un rapport interministériel publié ce 18 avril (« La création d’un fonds d’aide aux victimes de produits phytopharmaceutiques » ), envisage la création d’un fonds d’indemnisation des agriculteurs en activité et retraités, ainsi que de leurs conjoints et enfants exposés aux pesticides.

Ce rapport fait suite à la proposition de loi portant création d’un fonds d’indemnisation des victimes de produits phytopharmaceutiques, déposée au Sénat en juillet 2016 par Nicole BONNEFOY. Mais déjà en 2012, une mission sénatoriale d’information sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement, présidée par cette même sénatrice, avait fait état « d’une urgence sanitaire pour les utilisateurs de pesticides, produits dangereux dont l’usage est insuffisamment encadré ».

C’est dans ce contexte qu’à la demande des ministres de l’Economie, de la Santé et de l’Agriculture, un rapport conjoint a donc été réalisé par l’Inspection générale des finances, l’Inspection générale des affaires sociales et le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux. Ce dernier vise à améliorer l’indemnisation des agriculteurs et de leurs familles, victimes de pathologies liées à l’exposition des pesticides.

Après avoir constaté la difficulté pour les malades de se voir reconnaître le statut de victime (I.), les rapporteurs envisagent des solutions visant à faciliter la démonstration du lien de causalité entre la maladie et l’exposition aux pesticides (II.).

I. La difficile reconnaissance du statut de victime

Le rapport constate le peu de victimes reconnues par rapport aux victimes potentielles, qu’il explique par la difficulté de démontrer le lien de causalité entre la maladie et l’exposition aux pesticides.

  • Le faible nombre de victimes reconnues

La maladie de Parkinson et le lymphome non hodgkinien figurent respectivement au tableau des maladies reconnues professionnelles au régime agricole, depuis mai 2012 et juin 2015. Cependant, le nombre de victimes reconnues dans le cadre du régime agricole des accidents du travail et des maladies professionnelles apparaît aujourd’hui très limité, « de l’ordre de quelques centaines en dix ans ».

Or, comme le précise le rapport, ce « n’est pas représentatif du nombre réel de victimes ». En effet, il estime à environ 10 000 personnes, le nombre de victimes potentielles pour lesquelles il y a une présomption forte de causalité entre la maladie et l’exposition. Il précise même que deux tiers concerneraient la maladie de Parkinson et un tiers les hémopathies malignes.

  • La difficile démonstration du lien de causalité

Le rapport souligne que « l’établissement d’un lien de causalité entre la maladie et l’exposition à des substances nocives est le principal obstacle à la reconnaissance de la victime ». Pour expliquer cet obstacle, il mentionne notamment les pathologies d’origine plurifactorielle, le nombre de produits utilisés et un délai de latence long entre l’exposition et l’apparition de la maladie.

II. Les solutions proposées pour faciliter la démonstration du lien de causalité entre la maladie et l’exposition aux pesticides

Face à cette difficulté de démonstration du lien de causalité, le rapport envisage l’adaptation du régime AT-MP (accidents du travail-maladies professionnelles), complétée par la création d’un fonds d’indemnisation.

  • L’adaptation du régime AT-MP

Les rapporteurs recommandent l’actualisation des tableaux des maladies professionnelles du régime agricole « en lien avec l’évolution des connaissances scientifiques ». Il s’agit notamment pour eux d’« élargir le délai de prise en charge pour la maladie de Parkinson et [d’]ajouter les myélomes multiples dans le tableau des hémopathies malignes ».

  • La création par la loi d’un fonds d’indemnisation

Le rapport envisage six scénarios pour sa mise en place. Il propose ainsi de surmonter par la loi, la difficile reconnaissance du lien de causalité entre la maladie et les produits phytosanitaires. Dans ce cadre, il propose que la loi vienne poser le principe de présomption d’imputabilité dans certains cas. Il précise alors que si la présomption de causalité peut renverser la charge de la preuve, elle n’exonère pas cependant la victime de démontrer son exposition au risque.

Le rapport rappelle que ce principe de présomption d’imputabilité a déjà été retenu, s’agissant notamment des fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante et des essais nucléaires.

Le fonds concernerait ici les professionnels en activité ou retraités, mais également leur famille exposée (enfants et conjoints). Le rapport précise que seraient pris en charge « les enfants exposés in utero, en raison de l’exposition de leurs parents sur l’exploitation agricole et les conjoints travaillant sur l’exploitation agricole antérieurement à la création du statut de conjoint collaborateurs (loi n°2005-82 du 2 aout 2005) ». Ce fonds permettrait ainsi d’étendre la population à indemniser, au-delà du périmètre du régime AT-MP. Le rapport précise cependant que les riverains seraient exclus.

En fonction des différents scénarios, les dépenses annuelles du fonds pourraient être comprises entre 28 et 93 millions d’euros pour 10 000 victimes indemnisées. Le rapport suggère que la moitié des dépenses annuelles du fonds pourrait être financée « par la solidarité nationale (subvention du budget de l’Etat) », et l’autre moitié « par la solidarité agricole (taxe sur les produits phytopharmaceutiques et cotisations AT-MP) ».

S’agissant de l’analyse la proposition de loi sur la création de ce fonds d’indemnisation, tout en indiquant que certains points nécessitent un ajustement, le rapport considère qu’elle pourrait servir de support législatif.

Les auteurs proposent par exemple que la gestion du fonds, soit confiée au fonds d’indemnisation de l’amiante, « avec un deuxième conseil d’administration adapté à cette mission », plutôt qu’à la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole. Ils indiquent également que le financement devrait refléter « les probables responsabilités » des acteurs de la filière.

Après avoir été adoptée en première lecture au Sénat le 1er février 2018, la proposition de loi sera prochainement examinée par l’Assemblée nationale. Il faudra donc encore patienter pour savoir si la France, deuxième consommateur de produits phytosanitaires de l’Union européenne, adoptera définitivement ou non une loi créant un fonds d’indemnisation des victimes de pesticides.