Le coup d’Etat n’est sans doute pas « permanent » mais l’environnementaliste ne peut se satisfaire de la politique jurisprudentielle du Conseil d’Etat qui tend à désigner celles et ceux qui peuvent parler avec autorité des risques… même ceux qui sont élevés et nourris aux arrêts du Conseil d’Etat ne devraient plus passer sous silence la façon dont les membres du Palais Royal jouent faussement le rôle de gardiens du temple républicain lorsqu’ils s’évertuent à tuer dans l’oeuf les énoncés du droit constitutionnel de l’environnement.

En causes, trois espèces d’ores et déjà très remarquées  (CE, 26 octobre 2011, Commune de Saint-Denis, n°326492 – CE, 26 octobre 2011, Commune des Pennes-Mirabeau, n°329904 – CE, 26 octobre 2011, Société Française de Radiotéléphone, n° 341767,341768: Arrêts antenne relais CE 26 octobre 2011). Par trois décisions du 26 octobre 2011, le Conseil d’État y a examiné la légalité d’arrêtés par lesquels les maires de trois de Saint-Denis, Pennes-Mirabeau et Bordeaux ont entendu réglementer de façon générale en vertu et  du principe de précaution et de la police générale l’implantation des antennes de téléphonie mobile sur ces communes.

Ces affaires posaient la question de l’articulation entre les compétences de police spéciale reconnues aux autorités de l’Etat en la matière et celles de police générale du maire.

Gageons que la doctrine administrativiste « née sur les genoux » de son juge saura accueillir comme un « grand arrêt » les trois espèces ci-dessous reproduites. Mais acceptons de dépasser le fétichisme jurisprudentiel qui désincarne la décision du choix politique qu’elle constitue.

On aura d’abord du mal à admettre que les maires ne puissent s’immiscer dans les polices spéciales au nom  de leur pouvoir de police générale. C’est d’abord  le point commun de nos trois espèces : « si les articles L. 2212 1 et L. 2212 2 du code général des collectivités territoriales habilitent le maire à prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, celui-ci ne saurait, sans porter atteinte aux pouvoirs de police spéciale conférés aux autorités de l’Etat, adopter sur le territoire de la commune une réglementation portant sur l’implantation des antennes relais de téléphonie mobile et destinée à protéger le public contre les effets des ondes émises par ces antennes ». On ne peut contester au Conseil d’Etat sa vocation identifier la police spéciale sur laquelle il serait ici empiétée :

« Considérant, en premier lieu, qu’en vertu du I de l’article L. 32 1 du code des postes et des communications électroniques, les activités de communications électroniques, si elles s’exercent librement, doivent respecter les autorisations prévues au titre II de ce code (« Ressources et police »), notamment celles relatives à l’utilisation des fréquences radioélectriques et l’implantation des stations radioélectriques de toute nature ; qu’en vertu du II de ce même article, le ministre chargé des communications électroniques et l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) veillent notamment, dans le cadre de leurs attributions respectives, au respect de l’ordre public par les exploitants de réseaux de communications électroniques ainsi qu’à la gestion efficace des fréquences radioélectriques ;

qu’en vertu de l’article L. 42-1 du même code, les autorisations d’utilisation des fréquences radioélectriques attribuées par l’ARCEP précisent les conditions techniques nécessaires « pour limiter l’exposition du public aux champs électromagnétiques » ;

que l’article L. 43 du code donne mission à l’Agence nationale des fréquences (ANFR), établissement public administratif de l’Etat, notamment de coordonner « l’implantation sur le territoire national des stations radioélectriques de toute nature », en autorisant ces implantations, et de veiller « au respect des valeurs limites d’exposition du public aux champs électromagnétiques » définies, en application de l’article L. 34-9-1 du même code, par le décret n° 2002-775 du 3 mai 2002, qui a repris les valeurs limites fixées par la recommandation du 12 juillet 1999 du Conseil de l’Union européenne relative à la limitation de l’exposition du public aux champs électromagnétiques (de 0 Hz à 300 Ghz) ;

que ce décret impose à tout exploitant d’un réseau de communications électroniques de s’assurer que le niveau d’exposition du public aux champs électromagnétiques émis par les équipements et installations de son réseau respecte les valeurs limites définies en annexe ;

qu’en particulier, il résulte de l’article 5 de ce décret que tout exploitant doit justifier, sur demande de l’ARCEP ou de l’ANFR, des actions engagées pour s’assurer, au sein des établissements scolaires, des crèches ou des établissements de soins situés dans un rayon de cent mètres à partir de l’équipement ou de l’installation, que l’exposition du public aux champs électromagnétiques est aussi faible que possible, tout en préservant la qualité du service rendu ;

qu’en application des articles R. 20-44-10 et suivants du code, l’ANFR peut diligenter des vérifications sur place effectuées par des organismes répondant à des exigences de qualités fixées par décret et selon un protocole de mesure déterminé par arrêté ministériel ;

qu’enfin, en vertu de l’article L. 96-1 du code, l’exploitant d’une installation radioélectrique sur le territoire d’une commune est tenu de transmettre au maire « sur sa demande, un dossier établissant l’état des lieux de cette ou de ces installations » ;

Considérant qu’il résulte de ces dispositions que le législateur a organisé une police spéciale des communications électroniques confiée à l’Etat ; qu’afin d’assurer, sur l’ensemble du territoire national et conformément au droit de l’Union européenne, d’une part, un niveau élevé et uniforme de protection de la santé publique contre les effets des ondes électromagnétiques émises par les réseaux de communications électroniques, qui sont identiques sur tout le territoire, d’autre part, un fonctionnement optimal de ces réseaux notamment par une couverture complète de ce territoire, le législateur a confié aux seules autorités qu’il a désignées, c’est-à-dire au ministre chargé des communications électroniques, à l’ARCEP et à l’ANFR, le soin de déterminer, de manière complète, les modalités d’implantation des stations radioélectriques sur l’ensemble du territoire ainsi que les mesures de protection du public contre les effets des ondes qu’elles émettent ».

Mais refuser qu’il soit empiété sur cette police spéciale par les maires,  c’est là un choix dépourvu de toute légitimité démocratique  de ceux qui pensent que seuls quelques X mines sont capables de parler avec autorité des risques dans nos Ministères parisiens … C’est l’explication que donne le Conseil d’Etat au choix qu’il fait : « que les pouvoirs de police spéciale ainsi attribués aux autorités nationales, qui reposent sur un niveau d’expertise et peuvent être assortis de garanties indisponibles au plan local, sont conférés à chacune de ces autorités, notamment pour veiller, dans le cadre de leurs compétences respectives, à la limitation de l’exposition du public aux champs électromagnétiques et à la protection de la santé publique ».

Certes on rétorquera que la solution jurisprudentielle est ancienne (CE, 22 janv. 1965, n° 56871,  Alix, Lebon p. 44 – CE, 15 janv. 1986, n° 47836,  Sté PEC-Engineering – Conseil d’Etat, 29 sept. 2003, Houillères du bassin de Lorraine – Requête n° 218217, AJDA 2003, p. 2164, ici avec des conclusions de T. Olson aussi très explicites sur la méfiance à l’endroit des maires pour appréhender sereinement les risques).

Sachant que le maire peut tout de même intervenir en cas de péril imminent, condition entendue de façon très stricte par la jurisprudence (TA Amiens, 10 mars 1998, Préfet de l’Aisne c/ Cne Versigny et a., n° 971099, reproduit in D. DEHARBE, op. cit., n° 90. – CAA Lyon, 6 juill. 2004, n° 03LY00674, Sarl Éts Lucien Rey : C. perm. env. et nuis. 28 sept. 2004, bull. 325).

On sait que la jurisprudence concluant au péril justifiant l’intervention municipale est au demeurant rarissime (TA Chalon-en-Champagne, 11 juin 2003, n° 012353, Préfet de la Haute-Marne, cité par M.-P. MAITRE, ICPE : articulation entre les pouvoirs de police du préfet et les pouvoirs du maire : Environnement 2004, prat. 1).  Cette interdiction d’immixtion du maire dans les polices spéciales environnementales,  initiée pour les installations classées  a été dépoussiérée pour les OGM (CAA Bordeaux, 6e ch., 12 juin 2007, no 05BX01360, Cne de Tonnay-Boutonne) et aujourd’hui pour la téléphonie mobile ; questions controversées et emblématiques d’un droit de l’environnement qui muant en un droit du développement durable s’est teinté de préoccupations sanitaires.

Mais là n’est peut-être pas l’essentiel ; on peut sinon admettre du moins comprendre que pour le Conseil d’Etat la démocratie des risques serait mieux impulsée de Paris qu’en Province. En revanche il n’est plus question d’inscrire dans une quelconque tradition jurisprudentielle légitime la façon dont la haute juridiction dénature la formulation constitutionnelle du principe de précaution : « en ne relevant pas l’incompétence du maire pour adopter, au titre de ses pouvoirs de police générale, y compris en se fondant sur le principe de précaution, un arrêté portant sur l’implantation des antennes relais de téléphonie mobile dans la commune et destiné à protéger le public contre les effets des ondes émises par ces antennes, la cour administrative d’appel de Versailles a entaché son arrêt d’une erreur de droit ».

Et la justification de sa solution donnée par l’arrêt qui cite l’article 5 de la charte de l’environnement démontre que le Conseil d’Etat prend l’initiative de corseter le champ d’application du principe de précaution pour le calquer sur une répartition des compétences qui n’est même pas une condition dans l’énoncé constitutionnel :

« aux termes de l’article 5 de la Charte de l’environnement, à laquelle le Préambule de la Constitution fait référence en vertu de la loi constitutionnelle du 1er mars 2005 : « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en oeuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage » ; qu’il résulte de ces dispositions que le principe de précaution, s’il est applicable à toute autorité publique dans ses domaines d’attributions, ne saurait avoir ni pour objet ni pour effet de permettre à une autorité publique d’excéder son champ de compétence et d’intervenir en dehors de ses domaines d’attributions ; que, par conséquent, la circonstance que les valeurs limites d’exposition du public aux champs électromagnétiques fixées au niveau national ne prendraient pas suffisamment en compte les exigences posées par le principe de précaution n’habilite pas davantage les maires à adopter une réglementation locale portant sur l’implantation des antennes relais de téléphonie mobile et destinée à protéger le public contre les effets des ondes émises par ces antennes ».

Seule lueur d’espoir : si le Conseil d’Etat ne réserve pas expressément le cas des décisions individuelles dans son considérant de principe, l’arrêt prend pour objet une décision réglementaire et le communiqué de presse qui l’accompagne insiste sur ce point.  Ce qui laisserait peut-être la possibilité au maire d’interdire ou d’encadrer nommément une activité ou une installation au nom du principe de précaution. L’on sait néanmoins qu’ en matière d’antennes relais la compétence est déjà acquise au maire sur le terrain de l’urbanisme et que le concours de police est parfaitement possible puisque le R. 111-2 prend pour objet la sécurité. Reste que le Conseil d’Etat a déjà fermé cette voie pour les antennes relai en jugeant que si le principe de précaution est bien applicable il n’en est aussi respecté (CE, 19 juill. 2010, n° 328687,  Assoc. du quartier Les Hauts de Choiseul).  Ce qu’illustre parfaitement la dernière espèce reproduite en tenant pour un doute sérieux quant à la légalité de l’opposition à  la déclaration travaux, finalement suspendue, le motif se réclamant du R. 111-2 (CE, 26 octobre 2011, Société Française de Radiotéléphone, n° 341767,341768).