Par une décision (CE, 16.04.12 rejet QPC éolienne ICPE, n°353577, 353565) en date du 16 avril 2012, le Conseil d’Etat a rejeté comme n’étant pas « sérieuse » une Question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité à la Constitution des dispositions de l’article L.553-1 du code de l’environnement.

Cette disposition, issue de la loi Grenelle II,  prévoit que les éoliennes industrielles sont soumises à autorisation au titre de la  de la police des ICPE.

La Haute juridiction refuse le renvoi au Conseil constitutionnel en considérant que la QPC n’est pas sérieuse.  Pour le Conseil d’Etat le classement législatif des éoliennes ne participe ni d’une inégalité de traitement proscrite par l’article 6 de la DDHC ni, « en tout état de cause », d’une méconnaissance du principe de promotion du développement durable énoncé à l’article 6 de la Charte de l’environnement.

En effet le Conseil suit son rapporteur public en considérant que « les obligations qui résultent de la soumission des éoliennes terrestres au régime des installations classées ne peuvent être regardées comme un frein au développement des énergies renouvelables ». Au surplus, pour les membres du Palais royal, « le respect de l’exigence constitutionnelle de transposition des directives ne relev[ant] pas des droits et libertés que la constitution garantit » (sur cette solution : décision n° 2010-605 DC du 12 main 2010, cons. 19), la QPC ne pouvait être posée par référence à la directive n°2008/28/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009, même si cette directive recommande que les procédures administratives permettant l’exploitation des installations produisant de l’énergie à partir d’une source renouvelable soit simplifiées et accélérées.

Cette motivation appelle au moins deux remarques.

  • Le cas des éoliennes off shore.

Sur la rupture d’égalité, on peut entendre les arguments du Conseil d’Etat quant à la comparaison entre les EnR. En revanche on a un peu de mal à suivre la décision sur la vision qu’elle donne des éoliennes off shore.

– D’abord l’éolienne off shore, pour être soumise à autorisation (en particulier d’occupation du domaine), ne voit nullement son « exploitation », objet même du régime ICPE, encadrée.

– Ensuite, les risques existent d’autant plus en mer pour certains des intérêts visés à l’article L. 511-1 du code de l’environnement que contrairement aux éoliennes terrestres qui ont été mises à bonne distance des habitations (500 mètres), rien n’est prévu pour la navigation ou les radars maritimes (question dont se saisit le régime ICPE terrestre).

– De surcroit, on ajoutera que les éoliennes off shore sont soumises à étude d’impact mais pas de dangers.

On mesure ici une fragilité  certaine de la motivation de la décision du Conseil. Ce d’autant que devant le Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques, l’un de ses éminents membres, François Barthelemy, disait avoir « le sentiment que l’erreur commise pour les éoliennes terrestres il y a treize ans se reproduit avec les éoliennes maritimes . Il rappelait que le 9 septembre 1999, il avait rédigé une note sur le classement des éoliennes à l’intention de Monsieur Besson. A l’époque, sa proposition n’a pas été retenue. Au final, un système qui avait tous les inconvénients du dispositif prévu pour les installations classées (enquête publique…) sans en conserver l’avantage principal, à savoir la délivrance d’une autorisation qui résulte d’un arbitrage entre un intérêt économique et la protection de l’environnement, a été mis en place pour les éoliennes terrestres. Il faisait remarquer que pour les éoliennes maritimes, la procédure d’occupation du domaine publique maritime n’est pas adaptée aux problèmes rencontrés. En effet, les éoliennes en milieu maritime poseront des problèmes esthétiques et gêneront la navigation de plaisance ou la pêche » (séance du 31 mai 2011 : http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/CR_CSPRT31052011_CR_4-approuv_MEMBRES_val.pdf).

Finalement l’on ne peut manquer d’avoir le sentiment que les membres du Palais Royal valident ici les choix du gouvernement : l’éolienne serait bien mieux gérée par quelques consortiums en mer que par de multiples opérateurs sur terre, au point que l’on n’aurait plus besoin de leur imposer un quelconque contrôle administratif …

 

  • Le classement ICPE ne serait pas un frein au développement des Enr.

La décision semble oublier l’essentiel : l’inutilité du classement dès lors que les éoliennes étaient déjà soumises à étude d’impact, à enquête publique, à une jurisprudence fine sur leur intégration paysagère et sécurisée sur la base des articles article R. 111-21 et R. 111-2 du code de l’urbanisme. Pourquoi imposer un suivi d’exploitation alors que l’éolienne n’implique  pourtant aucune production industrielle ? Pourquoi imposer une étude de dangers que le Ministère de l’Ecologie dans ses écritures conçoit d’ailleurs comme pouvant être standardisée ? L’on sait que le législateur a déjà adopté la seule mesure de précaution qui pouvait s’imposer, et qui est elle-même déjà fort contraignante : éloigner les parcs éoliens à plus de 500 mètres des premières habitations, afin que les riverains ne soient définitivement plus gênés par le prétendu bruit généré par les éoliennes. Et dire que le classement est sans conséquence alors que le permis de construire est toujours exigible est tout simplement contredire (certes avec autorité !) l’évidence. D’ailleurs c’est tellement vrai que depuis la simple annonce du classement le nombre de machine installées sur une année s’effondre de 37%, pour freiner d’autant le développement éolien en 2011…

Et que l’on ne vienne pas affirmer que l’autorisation ICPE sécurise le parc éolien. Tout au contraire, dès lors que les droits des tiers sont réservés pour le contentieux civil du voisinage, que les tiers auront deux autorisations à attaquer (le PC et celle ICPE) et qu’ils pourront encore faire déclencher des contrôles en cours d’exploitation. De même il n’a échappé à personne que le régime de l’autorisation a été l’occasion d’imposer des règles en matière d’éloignement des radars à la scientificité douteuse mais qui fondent désormais en droit la position de l’Etat.

Et que dire du délai de recours qui passe à six au lieu des trois mois en matière de permis (si l’on compte le délai de retrait) !

Demeure néanmoins un espoir. Si le conseil d’Etat a pu neutraliser sur le terrain de la QPC les questions qui fâchent, le recours en annulation contre le décret de classement toujours pendant devrait à notre sens déboucher a minima vers une annulation « en tant que ». On aura compris que la Haute juridiction n’est guère gênée par le principe même d’un classement des éoliennes industrielles. En revanche dans sa plus pure tradition, la Haute juridiction ne souffre pas les violations pures et simples de la loi. Or le décret d’application (L.WOLFF et C.PUEL, La soumission des éoliennes terrestres au régime des installations classées : obligations et conséquences, JCP G 2011, 1032 – S.NATAF, Les éoliennes terrestres désormais inscrites à la nomenclature des ICPE, Gaz.Pal. 24 septembre 2011, n° 267, p. 20) méconnaît triplement le champ défini par l’article L. 553-1 du code de l’environnement, issu de la loi Grenelle II qu’il est censé appliquer :

–          d’une part, le décret prévoyant la soumission des installations comprenant au moins un aérogénérateur dont le mât a une hauteur de plus de 50 mètres à un régime d’autorisation, alors même que le législateur avait exigé de ces installations qu’elles en comprennent au moins cinq ;

–          d’autre part, le décret outrepasse encore le champ défini par la loi, en soumettant à autorisation les installations comprenant un aérogénérateur d’une hauteur supérieure ou égale à 50 m, ce qui concerne donc les éoliennes d’une hauteur de 50 m, alors que l’article L. 553-1 du code de l’environnement ne soumet quant à lui à autorisation que les aérogénérateurs – sous la condition précitée tenant à ce qu’il y en ait au moins cinq – d’une hauteur supérieure à 50 m ;

–          enfin,  tandis que l’article L. 553-1 du code de l’environnement, issu de la loi Grenelle II, réservait l’application de l’autorisation de police ICPE aux éoliennes terrestres dont le mât a une hauteur supérieure à 50 mètres, le décret du 23 août 2011 prend en considération le critère de la puissance totale installée pour y soumettre les aérogénérateurs d’une hauteur comprise entre 12 et 50 mètres et d’une puissance cumulée supérieure ou égale à 20 MW.

Voudra-t-on nous faire croire que la loi appelait un décret d’application laissant une marge d’appréciation au Gouvernement pour aggraver le champ d’application de l’autorisation fixé a minima par le législateur ?  Sans doute, et ce débat reste à mener dans le contentieux pendant, sachant que la question est ardue. Mais dès lors, le décret perdra son écran législatif, et il lui faudra assumer d’avoir soumis à autorisation ICPE une seule éolienne. Et le Conseil d’Etat aura grand mal à nous faire croire que le gouvernement n’a pas commis une erreur manifeste d’appréciation en soumettant au régime ICPE le plus aggravé une seule éolienne, même d’au moins 50 mètres de hauteur, tout en l’ayant éloigné de 500 mètres de toute habitation.