Alors que plusieurs recours contentieux sont actuellement pendant contre le gestionnaire de réseau ERDF, la décision que vient de rendre le CoRDIS (Comité de réglement des différends et des sanctions) éclaire avec intérêt la question de la nature administrative ou judiciaire du contentieux avec le gestionnaire de réseau (CoRDIS, 21 mars 2012, déc. n°252-38-11, JORF 16 mai 2012).

Le CoRDIS vient en effet de décider que le retard de transmission de PTF par ERDF ne constituait pas une « décision administrative »:

« Toutefois et contrairement à ce que soutient la société XXXXXX la délibération de la Commission de régulation de l’énergie du 11 juin 2009 portant décision sur les règles d’élaboration des procédures de traitement des demandes de raccordement aux réseaux publics de distribution d’électricité et le suivi de leur mise en oeuvre n’implique nullement la naissance d’une décision implicite de refus dans le cas où la société ERDF ne respecte pas le délai de trois mois courant de la réception de la demande complète qui lui est imparti pour transmettre une proposition technique et financière au demandeur.

La loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ne s’applique qu’à des catégories limitativement énumérées de personnes morales publiques ou privées, ainsi qu’il résulte de son article 1er. La société ERDF qui gère un service public, industriel et commercial n’entre dans aucune de ces catégories. Elle n’a pas, non plus, décidé de se soumettre volontairement à cette loi.

Il en résulte que, ni la délivrance, ni l’absence de délivrance d’une proposition technique et financière ne constituent des décisions administratives« .

 

 

  • LES FAITS

Une société exploitante d’installation photovoltaïque a subi un retard dans la transmission de la PTF et s’est vue impactée, par voie de conséquence, par le décret du 09 décembre 2010.

Elle a alors saisi le CORDIS d’une demande tendant à :

 » titre principal :

– constater l’enregistrement d’une demande de la société Cap Solar Montélimar de raccordement ainsi que d’une demande de contrat d’achat intervenues toutes deux le 18 août 2010 ;

constater l’illégalité du refus implicite de la demande de proposition technique et financière né du silence gardé pendant plus de trois mois ;

– ordonner à la société ERDF de délivrer à la société Cap Solar Montélimar une proposition technique et financière réputée acceptée avant le 2 décembre 2010 pour l’installation XXX, sise XXX, à cette même date ;

 – dire que le délai octroyé à la société Cap Solar Montélimar pour la mise en service de ladite installation en vue de bénéficier de la dérogation à la suspension de l’obligation d’achat sera réputé n’avoir commencé à courir qu’à compter du 1er décembre 2010 et ne pourra, en tout état de cause, s’achever avant le 1er mai 2012 ;

– ordonner à la société EDF la délivrance à la société XXXX d’un contrat d’achat élaboré sur la base de ladite proposition technique et financière réputée acquise et signée avant le 2 décembre 2010.

A titre subsididiaire :

– mettre à la charge de la société ERDF une somme de 1 347 000 euros au profit de la société XXXX en réparation de son préjudice subi du fait du comportement fautif de la société ERDF.

A titre accessoire et en tout état de cause :

prononcer à l’encontre de la société ERDF une sanction financière en raison de son comportement fautif tenant à la violation de la loi n2000-108 du 10 février 2000, à la violation du principe d’égalité d’accès des usagers du service public et à l’entrave d’accès au marché constituée par le refus de délivrance d’une proposition technique et financière à la requérante« .

 

Une première décision du CORDIS a rejeté comme étant irrecevable la demande relative à ce qu’il soit ordonné « à la société EDF la délivrance à la société XXXX d’un contrat d’achat élaboré sur la base de ladite proposition technique et financière réputée acquise et signée avant le 2 décembre 2010« .

Mais le Comité restait notamment saisi de la demande relative à « l’illégalité » de la décision d’ERDF, considérée par la requérante comme un « refus implicite » en cas de silence prolongé de trois mois. Cette théorie est fondée sur l’application de la loi du 12 avril 2000 mais supposait au préalable de déterminer si les décisions éventuellement prises par le gestionnaire de réseau peuvent être qualifiées d' »administratives », ce qui permettrait notamment d’en contrôler la légalité.

A cette question, le CoRDIS réponds par la négative: le non respect du délai de trois mois est certes (et le Comité confirme ses décisions du 30 septembre 2011 commentées ici), une méconnaissance de la documentation technique de référence, mais cela ne constitue pas pour autant une « décision administrative ». La société ERDF est en effet une personne morale de droit privé, gestionnaire d’un service public, mais ce service public est de nature industrielle et commerciale (SPIC). Dès lors, ERDF ne rentre pas dans le champ d’application de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l’administration, et ses décisions ne sont pas administratives.

Bien que cettre solution fondée sur la Loi du 12 avril 2000 eusse pu trouver d’autres justifications propres au droit administratif général, il faut se satisfaire de cette confirmation explicite du caractère non administratif des décisions d’ERDF.

 

On notera également avec intérêt que les conclusions du producteur tendant à ce que le CoRDIS prononce une sanction à l’encontre d’ERDF, le Comité les juges « réservées » dans la mesure où « la procédure de sanction étant régie par des dispositions distinctes du code de l’énergie, il n’y a pas lieu de statuer sur ces conclusions dans le cadre du présent règlement de différend« . En effet, le pouvoir de sanction de la Commission de régulation de l’Energie est prévu aux articles L 134-25  et suivants du Code de l’énergie et réponds à d’autres exigences procédurales que celles applicables aux demandes de réglement des différends.

 

 

  • UN ECLAIRAGE IMPORTANT DANS LE CADRE DES INSTANCES INDEMNITAIRES EN COURS

Face aux nombreux retards dans la transmission des PTF (voire à leur absence totale de transmission), les producteurs lésés ont légitimement recherché la responsabilité du gestionnaire de réseau. La majorité d’entre eux ont assigné la société ERDF devant la juridiction commerciale… ce que le gestionnaire s’est empressé de contester. Si aujourd’hui quelques Tribunaux de commerce et une Cour d’appel se sont déclarés incompétents au profit de la juridiction administrative, il n’en demeure pas moins que le Tribunal de commerce de Paris s’est, pour l’heure, refusé à suivre le raisonnement d’ERDF et se reconnaît compétent.

Cette ligne jurisprudnetielle se verra, à notre sens, renforcée par la décision du CoRDIS du 21 mars 2012 dans la mesure où il est confirmé qu’ERDF ne prend pas de décision « administrative » (comme il le soutint devant le CoRDIS tout en affirmant l’inverse dans le contentieux indemnitaire….).

A ce stade, la juridiction judiciaire nous semble doncdemeurer la seule logiquement compétente pour statuer sur les litiges afférents au comportement du gestionnaire de réseau dans le cadre du raccordement au réseau de distribution publique. Et même sur le terrain d’une bonne administration de la justice, cette compétence judiciaire se justifie puisque la Cour d’appel de Paris est légalement désignée pour les recours contre les décisions du CoRDIS en la matière (article L 134-24 du Code de l’énergie).

Nul doute en tout cas que la question de la compétence juridictionnelle trouvera un nouvel écho grâce à cette décision du CoRDIS.