QPC et réforme du code de l’expropriation : le cas de la consignation

expropriationPar

Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat)

Le droit de l’environnement a recours ou s’intéresse au mécanisme de l’expropriation, qu’il s’agisse de protéger le voisinage (dans le cadre des P.P.R.T. par ex.), certains milieux (3% des acquisitions du conservatoire du littoral par ex.) ou tout simplement d’aménager (on pense évidemment à la prise en compte de l’environnement dans l’appréciation juridictionnelle du bilan coût/avantages du contrôle de légalité de la D.U.P.).

Ainsi l’environnementaliste ne peut ignorer le droit de l’expropriation et le présent blog se devait de porter une plus grande attention à ce mécanisme.

Force est ainsi de constater qu’en matière d’expropriation de récentes QPC ont fait évoluer le droit positif.

Lors d’une expropriation, le transfert de propriété du bien exproprié intervient au prononcé de l’ordonnance d’expropriation.

Néanmoins, l’autorité expropriante ne peut prendre possession des lieux tant qu’elle n’a pas versé à la partie expropriée une juste et préalable indemnité. En cas de désaccord, l’indemnité peut être consignée au bénéfice de l’exproprié.

Le mécanisme de la consignation a fait l’objet de multiples réformes afin de se mettre en conformité avec la Constitution depuis la création de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), instaurée par la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008. Il semblerait qu’après deux QPC et deux modifications du code de l’expropriation, ce soit désormais chose faite.

Reprenons successivement les différentes étapes de ce processus.

1) L’article L.15-2 du code de l’expropriation, dans sa version en vigueur à l’époque de la création de la QPC, disposait : « L’expropriant peut prendre possession, moyennant versement d’une indemnité au moins égale aux propositions faites par lui et consignation du surplus de l’indemnité fixée par le juge. »

2) Aux termes d’une décision 2012-226 QPC du 6 avril 2012, le Conseil constitutionnel a jugé la rédaction de cet article contraire à la Constitution au motif que :

« si le législateur peut déterminer les circonstances particulières dans lesquelles la consignation vaut paiement au regard des exigences de l’article 17 de la Déclaration de 1789, ces exigences doivent en principe conduire au versement de l’indemnité au jour de la dépossession ; qu’en cas d’appel de l’ordonnance du juge fixant l’indemnité d’expropriation, les dispositions contestées autorisent l’expropriant à prendre possession des biens expropriés, quelles que soient les circonstances, moyennant le versement d’une indemnité égale aux propositions qu’il a faites et inférieure à celle fixée par le juge de première instance et consignation du surplus ; que, par suite, les dispositions contestées des articles L. 15-1 et L. 15-2 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique méconnaissent l’exigence selon laquelle nul ne peut être privé de sa propriété que sous la condition d’une juste et préalable indemnité » (Conseil constitutionnel, 6 avril 2012, décision 2012-226 QPC).

Notons à cet égard que le Conseil constitutionnel a tenté, dans sa décision, de guider le législateur afin qu’il rédige un article conforme à la Constitution. En effet, il a précisé que le législateur pouvait déterminer les « circonstances particulières » dans lesquelles la consignation valait paiement. Il a également mentionné que l’article L. 15-2 du code de l’expropriation était contraire à la Constitution dans la mesure où, dans sa version alors en vigueur, il autorisait l’expropriant à prendre possession des biens expropriés, « quelles que soient les circonstances », moyennant le versement d’une indemnité égale aux propositions qu’il a faites et inférieure à celle fixée par le juge de première instance et consignation du surplus.

3) Dès lors, l’article L. 15-2 du code de l’expropriation a été modifié pour remédier à cette inconstitutionnalité. Il a alors disposé qu’ « En cas d’appel du jugement fixant l’indemnité, lorsqu’il existe des indices sérieux laissant présumer qu’en cas d’infirmation, l’expropriant ne pourrait recouvrer tout ou partie des sommes qui lui seraient dues en restitution, celui-ci peut être autorisé par le juge à consigner tout ou partie du montant de l’indemnité supérieur à ce que l’expropriant avait proposé. Cette consignation vaut paiement. La prise de possession intervient selon les modalités définies à l’article L. 15-1. »

Les modifications de cet article étaient substantielles par rapport à la version censurée par le Conseil constitutionnel.

En premier lieu, la consignation n’est plus autorisée « quelles que soient les circonstances » mais uniquement en cas d’appel du jugement fixant l’indemnité, sur autorisation du juge et « lorsqu’il existe des indices sérieux laissant présumer qu’en cas d’infirmation, l’expropriant ne pourrait recouvrer tout ou partie des sommes qui lui seraient dues en restitution ».

En deuxième lieu, cette autorisation n’est pas obligatoirement délivrée par le juge : ce dernier dispose d’un pouvoir d’appréciation au regard des faits de l’espèce.

Enfin, en troisième et dernier lieu, si le juge autorise une consignation, il pourra ordonner la consignation de tout ou partie du montant de l’indemnité supérieur à ce que l’expropriant avait proposé. Ce n’est plus l’autorité expropriante qui décide du montant consigné mais le juge.

4) En dépit de ces modifications, le Conseil constitutionnel a été saisi d’une nouvelle QPC concernant la rédaction de l’article L. 15-2 du code de l’expropriation modifié.

Deux motifs d’inconstitutionnalité étaient invoqués :

– D’une part, selon la société requérante, le nouvel article méconnaissait l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 en permettant au juge d’autoriser l’expropriant, en cas d’appel du jugement fixant le montant de l’indemnité d’expropriation, à n’en verser qu’une partie à l’exproprié et à consigner le surplus pour prendre possession du bien exproprié. Plus précisément, la société requérante critiquait le caractère insuffisamment précis de la condition permettant au juge d’autoriser l’expropriant à prendre possession du bien exproprié sans verser au préalable à la personne expropriée l’intégralité du montant de l’indemnité d’expropriation fixée par le juge de l’expropriation.

– D’autre part, il était soutenu que le législateur portait également atteinte au principe d’égalité devant la loi prévu par l’article 6 de la Déclaration de 1789 en permettant de traiter de manière différente les personnes expropriées selon leur situation économique et financière.

5) Avant que les Sages du Conseil constitutionnel ne se prononcent, une nouvelle réforme du code de l’expropriation était toutefois entrée en vigueur.

Aux termes de l’article L. 331-3 du code de l’expropriation créé par l’ordonnance n° 2014-1345 du 6 novembre 2014 relative à la partie législative du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, « En cas d’appel du jugement fixant l’indemnité, lorsqu’il existe des indices sérieux laissant présumer qu’en cas d’infirmation l’expropriant ne pourrait recouvrer tout ou partie des sommes qui lui seraient dues en restitution, celui-ci peut être autorisé par le premier président de la cour d’appel à consigner tout ou partie du montant de l’indemnité supérieur à ce que l’expropriant avait proposé. Cette consignation vaut paiement de ce surplus. La prise de possession intervient selon les modalités définies à l’article L. 231-1. ».

Cet article retouchait peu l’article L. 15-2 du code de l’expropriation tel qu’il avait modifié à la suite de la décision du Conseil constitutionnel du 6 avril 2012. Il précisait juste qui était le juge compétent pour se prononcer sur la consignation (le premier président de la cour d’appel) et énonçait que la consignation valait paiement pour le surplus.

La décision des Sages sur la dernière rédaction de l’article 15-2 du code de l’expropriation était donc particulièrement attendue de crainte qu’une éventuelle déclaration d’inconstitutionnalité de ces dispositions, qui n’étaient pourtant déjà plus en vigueur, n’implique également une modification du nouvel article L. 331-3 du code de l’expropriation.

6) Au grand soulagement du législateur, le Conseil constitutionnel, dans une décision 2014-451 QPC du 13 février 2015, a déclaré l’article L. 15-2 du code de l’expropriation conforme à la Constitution, malgré une réserve d’interprétation.

En ce qui concerne la conformité de l’article L. 15-2 à l’article 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, le Conseil constitutionnel a en effet considéré que le législateur avait précisément déterminé les circonstances particulières dans lesquelles la consignation valait paiement :

« Considérant toutefois que la prise de possession du bien exproprié est subordonnée au paiement par l’expropriant de la totalité de la somme fixée par le juge de première instance, soit entre les mains de l’exproprié, soit par consignation de la fraction de l’indemnité d’expropriation qui n’est pas versée à l’exproprié ; que la mise en œuvre d’une faculté de consignation est soumise à une autorisation juridictionnelle ; qu’il incombe à la juridiction compétente pour délivrer cette autorisation de fixer le montant de la consignation sans que celui-ci puisse être supérieur à l’écart entre la proposition faite par l’expropriant et l’indemnité fixée par le juge de première instance ; que cette consignation valant paiement ne peut être autorisée que lorsque le juge constate l’existence d’indices sérieux laissant présumer qu’en cas d’infirmation l’expropriant ne pourrait recouvrer tout ou partie des sommes qui lui seraient dues en restitution ».

Néanmoins, afin de satisfaire tout à fait aux exigences constitutionnelles d’indemnité préalable à la prise de possession, le Conseil constitutionnel a émis une réserve d’interprétation. Ainsi, « lorsque l’indemnité définitivement fixée excède la fraction de l’indemnité fixée par le juge de première instance qui a été versée à l’exproprié lors de la prise de possession du bien, l’exproprié doit pouvoir obtenir la réparation du préjudice résultant de l’absence de perception de l’intégralité de l’indemnité d’expropriation lors de la prise de possession ».

En ce qui concerne la conformité de l’article L. 15-2 à l’article 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, le Conseil constitutionnel a considéré que : « la différence de traitement entre les personnes expropriées, selon qu’il existe ou non des indices sérieux laissant présumer qu’en cas d’infirmation du jugement de première instance fixant le montant de l’indemnité d’expropriation l’expropriant ne pourrait recouvrer tout ou partie des sommes qui lui seraient dues en restitution, est en rapport direct avec l’objectif d’intérêt général poursuivi par cette mesure conservatoire ». Cette solution est parfaitement cohérente et respecte le bilan des intérêts en présence : la limitation posée par l’article poursuit un but d’intérêt général, la protection des deniers publics, mais, pour autant, est très encadrée et préserve les libertés individuelles et le droit de propriété.

En conséquence, il est possible de considérer que les nouvelles dispositions de l’article L. 331-3 du code de l’expropriation, doivent être considérées conformes à la Constitution dès lors qu’elles sont quasiment identiques à celles sur lesquelles le Conseil constitutionnel s’est prononcé aux termes de sa décision 2014-451 QPC du 13 février 2015. Néanmoins, la réserve d’interprétation formulée par le Conseil constitutionnel nous paraît encore valable pour les nouvelles dispositions. Par suite, le mécanisme de la consignation semble donc suffisamment encadré à ce jour et ne devrait plus être amené à évoluer… à moins que cette réserve d’interprétation ne soit, à terme, insérée dans le texte du code de l’expropriation…