Mise à distance des éoliennes pour les générations futures : suspense au Parlement

Little boy stretches roulette.Par
Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat)

Tous les jours, les médias répètent qu’il faut abandonner l’énergie nucléaire et les énergies fossiles, qu’il faut multiplier le recours aux énergies renouvelables, que le projet de loi sur la transition énergétique doit constituer une avancée fondamentale pour l’environnement, qu’il est nécessaire d’agir pour le climat et qu’à cette fin, la 21ème conférence sur le climat qui se déroulera fin 2015 à Paris doit être un succès…

Dans un contexte où les préoccupations environnementales reviennent manifestement sur le devant de la scène, le Sénat semble pourtant en avoir décidé autrement en mettant un frein au développement de l’énergie éolienne terrestre.

Pourtant, le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte présenté au nom de M. Valls par Mme Royal affichait initialement des objectifs ambitieux.

Ainsi, l’exposé de ses motifs précisait notamment que :
« Le projet de loi fixe les objectifs, trace le cadre et met en place les outils nécessaires à la construction par toutes les forces vives de la nation – citoyens, entreprises, territoires, pouvoirs publics – d’un nouveau modèle énergétique français plus diversifié, plus équilibré, plus sûr et plus participatif.
Il vise à engager le pays tout entier dans la voie d’une croissance verte créatrice de richesses, d’emplois durables et de progrès.
Une croissance qui lutte contre le réchauffement climatique, combat le chômage et réduit la facture énergétique de la France, qui s’élève à près de 70 milliards d’euros au détriment de notre balance commerciale et de nos finances publiques.
Une croissance non prédatrice qui protège la biosphère et nous permet de vivre en harmonie avec ses écosystèmes dont nous sommes partie intégrante.
Une croissance qui valorise de nouvelles technologies et permet de conquérir de nouveaux marchés dans le domaine des énergies renouvelables et des transports propres.
[…]
Ce texte exprime la conviction que la France dispose de puissants atouts pour réussir une mutation énergétique qui n’est pas une contrainte à subir mais une chance à saisir. »

Son article 38 devait notamment procéder au toilettage et à la clarification de diverses dispositions du code de l’énergie.

Ce projet de loi a été déposé par le Gouvernement devant l’Assemblée nationale et, dans un premier temps, examiné par elle.
Le texte adopté par l’Assemblée Nationale le 14 octobre 2014 a ajouté après cet article 38 un article 38 bis A concernant l’implantation des éoliennes au regard des documents d’urbanisme et un article 38 bis concernant le moment auquel doit s’apprécier la compatibilité d’une installation classée avec les documents de planification d’urbanisme.

Il n’était toutefois nullement question de modifier la distance d’implantation entre les habitations et les éoliennes.

Dans un second temps, le projet de loi dans sa version adoptée par l’Assemblée nationale a été transmis au Sénat.

Avant d’être examiné en séance plénière, le projet de loi a été transmis à une commission chargée de l’étudier, de proposer des modifications (amendements) et d’élaborer le « texte de la commission ».

Un amendement a été déposé sur le texte de la Commission par plusieurs sénateurs dont M. Germain.

Cet amendement visait à ajouter un nouvel article après l’article 38 bis A afin d’imposer une distance de 1000 mètres entre les habitations et les éoliennes industrielles, contre 500 mètres actuellement.

Aux termes de cet amendement, la deuxième phrase du cinquième alinéa de l’article L.553-1 du code de l’environnement devait désormais être rédigée ainsi :
« La délivrance de l’autorisation d’exploiter est subordonnée à l’éloignement des installations d’une distance de 1000 mètres par rapport aux constructions à usage d’habitation, aux immeubles habités et aux zones destinées à l’habitation définies dans les documents d’urbanisme en vigueur à la date de publication de la même loi. »

L’exposé des motifs de cet amendement faisait état du fait que la distance de 500 mètres actuellement retenue était « largement sous-évaluée ». A cet égard, l’exposé des motifs se faisait l’écho des protestations « rapportées quasiment rapportées quotidiennement dans la presse régionale, de la part de populations rurales ou périurbaines qui manifestent leur désarroi. Les recours sont presque systématiques. »

Pour justifier l’insuffisance de la distance actuelle, étaient aussi invoqués « une atteinte substantielle au droit de propriété et au droit de jouissance des riverains », l’impact sur la santé et la dévalorisation des biens immobiliers.

Cet amendement avait donc pour objectif de concentrer les éoliennes industrielles dans les zones inhabitées et ce, afin de « préserver le point de départ des vocations écologistes : la beauté de la nature et de nos paysages qui participent de notre exception culturelle ».

Cet amendement a été discuté en séance publique le 17 février dernier.

M. Germain, qui défendait l’amendement, a alors justifié sa position par les considérations suivantes : « En définitive, c’est un sujet de biodiversité : nous souhaitons protéger le périurbain et le rural. Évidemment, l’urbain de passage qui voit au loin ces éoliennes les trouve belles et majestueuses. C’est vrai ! Mais, pour ceux qui vivent à côté, ces éoliennes géantes sont parfaitement intolérables, sans parler de la dévalorisation de leurs biens immobiliers. »

M. Nègre, au nom de la Commission du développement durable, a déplacé le débat en soulignant un point très intéressant sur les distances entre les éoliennes et les habitations :

Il a ainsi énoncé :
« J’ai ainsi découvert que l’Académie nationale de médecine a recommandé en 2006 une distance de protection de 1 500 mètres et que la Royal Society of Medecine a mis en évidence un impact des éoliennes sur la santé perceptible jusqu’à 10 000 mètres de distance.
J’ai également appris que le land de Bavière a décidé, après réflexion, que la distance par rapport à l’éolienne devait être égale à la hauteur de celle-ci multipliée par dix. […]
Au Danemark, la distance doit être égale à trois fois la hauteur totale de l’éolienne.[…]
En revanche, en Espagne, il n’existe pas de distance minimale, c’est étudié au cas par cas.
Aux États-Unis, les comtés de Californie ont instauré des distances variant de une à quatre fois la hauteur de l’éolienne, trois fois étant la norme standard.
En Suède, il n’y a pas de distance minimale, mais certaines communes imposent une installation à 750 mètres des habitations et d’autres à 1 000 mètres.[…]
En Écosse, la distance prescrite est de 2 000 mètres. En revanche, au Pays de Galles, elle est de 500 mètres. »

Eu égard au caractère très hétérogène des distances retenues selon les pays, il a alors estimé :
« je crois qu’il serait beaucoup plus efficace d’attendre que les scientifiques nous disent ce qu’il en est, puisque les distances minimales proposées aujourd’hui présentent de vrais écarts.
Nous avons la chance d’avoir saisi l’ANSES. Nous disposerons ainsi à la fin de l’année d’un rapport qui nous permettra d’asseoir notre décision sur des bases scientifiquement, mais aussi moralement et honnêtement acceptables.
Si nous voulons avoir, demain, des énergies renouvelables fondées sur l’éolien, il nous faut être prêts à faire passer le message, ce qui suppose que nous disposions de quelques éléments d’information complémentaires. »

Bien qu’il souligne que le seuil de 500 mètres ne lui paraisse pas pertinent, il a néanmoins considéré à juste titre qu’« Il ne faudrait pas que, dans huit mois, l’ANSES nous dise que nous nous sommes trompés ! »

En conséquence, au nom de la Commission du développement durable, il a émis un avis défavorable sur cet amendement.

Le Gouvernement, également partisan d’attendre l’avis de l’ANSES, a lui aussi émis un avis défavorable sur cet amendement.

Néanmoins, en dépit de ces deux positions pourtant raisonnables, laissant la parole aux experts dans un domaine où le législateur ne dispose pas des connaissances scientifiques nécessaires, l’amendement a été adopté par le Sénat.

Le texte ainsi amendé a été voté le 3 mars 2015.

Le débat n’est pas terminé pour autant. En effet, pour l’examen de ce texte, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée prévue par l’article 45 de la Constitution : ainsi, après une seule lecture de chacune des Assemblées, le Premier ministre a la faculté de provoquer la réunion d’une commission mixte paritaire (CMP) chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion. D’après les dernières informations, cette CMP devrait se dérouler à huis clos le 10 mars prochain.

L’article 45 de la Constitution dispose ensuite que :
« […] Le texte élaboré par la commission mixte peut être soumis par le Gouvernement pour approbation aux deux assemblées. Aucun amendement n’est recevable sauf accord du Gouvernement.

Si la commission mixte ne parvient pas à l’adoption d’un texte commun ou si ce texte n’est pas adopté dans les conditions prévues à l’alinéa précédent, le Gouvernement peut, après une nouvelle lecture par l’Assemblée nationale et par le Sénat, demander à l’Assemblée nationale de statuer définitivement. En ce cas, l’Assemblée nationale peut reprendre soit le texte élaboré par la commission mixte, soit le dernier texte voté par elle, modifié le cas échéant par un ou plusieurs des amendements adoptés par le Sénat. »

En conséquence, le débat n’est pas clos. Il n’est pas certain que le Sénat aura le dernier mot. Tout dépendra du vote des Assemblées sur le texte établi par la Commission mixte paritaire ou, le cas échéant, de la décision finale de l’Assemblée nationale.

*

In fine, à ce stade des débats, plusieurs points de vue peuvent être pris sur ce travail parlementaire
Il est d’abord certain qu’à l’heure actuelle, l’augmentation de la distance d’éloignement entre les éoliennes et les habitations est fixée de façon hasardeuse et ne repose sur aucun fondement scientifique fiable. Le législateur est, certes, le porte-parole de la volonté du peuple et peut se faire l’écho de riverains qui ont une perception statique des paysages. Néanmoins, dans la mesure où un rapport scientifique sera rendu d’ici la fin de l’année, rien ne le contraint à se précipiter à prendre une disposition qui devra peut-être être modifiée sous peu. Il peut aussi faire preuve de retenue, de patience et prendre une décision qui, en plus de répondre aux attentes de la population, sera éclairée.
Surtout, avant de choisir d’imposer en CMP une nouvelle distance d’éloignement, les parlementaires ne devront pas ignorer l’essentiel : l’étude d’impact à laquelle chaque projet éolien est soumis permet une appréciation au cas par cas des impacts des parcs. Rappelons aussi cette évidence : la perception visuelle et auditive de l’éolienne dépend pour l’essentiel du relief, des vents dominants et des écrans végétaux et artificiels sur le territoire en cause. D’ailleurs, loin de retenir une distance fixe, le Conseil d’Etat, pour apprécier au titre du R. 111-2 du code de l’urbanisme le risque de ruine des aérogénérateurs pour la sécurité, a toujours pris en compte et fait référence, s’agissant de l’exposition permanente au risque, « à la topographie des lieux, ainsi qu’à la localisation et aux caractéristiques des ouvrages » (Conseil d’État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 27/07/2009, n°317060).
Enfin, pendant un instant, les parlementaires devront aussi avoir à l’esprit l’effet d’une telle mise à distance des éoliennes sur les projets en cours. Il ne nous semble pas que la France qui a déjà pris un retard certain par rapport à l’objectif des 19. 000 MW éoliens pour 2020 (objectif du Grenelle) puisse se permettre de faire peser sur la filière une nouvelle épée de Damoclès.
Quoiqu’il en soit, une chose est sûre : le 10 mars, la CMP pourrait graver dans le marbre de la loi une distance dont les générations futures seront comptables …