Immobilier: Un système de chauffage avec système de pompe à chaleur est un « ouvrage », protégé par la garantie décennales au sens de l’article 1792 du Code civil

géothermie sur symbole localisation orangeAurélien BOUDEWEEL- Green Law Avocat

 

Par un arrêt en date du 22 novembre 2016, la Cour d’appel de GRENOBLE (CA GRENOBLE, 22 novembre 2016, 1ère civile, n°14/02120) a considéré que l’installation d’une pompe à chaleur est bien un ouvrage au sens de l’article 1792 du Code civil, ce qui emporte un système de garantie intéressant.

En l’espèce, des particuliers avaient selon devis d’une société spécialisée dans la matière confié le remplacement de leur chauffage central au gaz par une installation de chauffage par géothermie verticale avec une pompe à chaleur, devant fonctionner avec des capteurs solaires. Les travaux ont été entièrement achevés le 2 octobre 2008 et réglés pour la somme de 12.897,38 euros.

Postérieurement, et devant la survenance de désordres, les particuliers avaient assigné l’assureur de la société, entre-temps placée en liquidation judiciaire, afin que soit ordonnée une mesure d’expertise judiciaire.

Devant le refus d’intervention de l’assureur, les particuliers avaient assigné cette dernière au titre de la garantie décennale.

Par un jugement en date du 20 mars 2014, le Tribunal de grande instance de GRENOBLE avait d’abord débouté les particuliers de leurs demandes.

La Cour d’appel de GRENOBLE vient cependant de leur donner raison.

Rappelons que l’article 1792 du Code civil énonce que

« Tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination.

Une telle responsabilité n’a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d’une cause étrangère ».

La mise en jeu de la garantie décennale prévue par l’article 1792 du Code civil suppose la démonstration de trois éléments cumulatifs :

  • L’existence d’un « ouvrage » au sens juridique du terme,
  • La réception de cet ouvrage,
  • Une atteinte à la solidité ou d’une impropriété à sa destination.

La Cour d’appel de GRENOBLE a donc réformé le jugement et a retenu la qualification d’ouvrage. On notera qu’elle prend en compte

  • L’importance technique de l’installation,
  • La complexité du circuit et le nombre de circuits,
  • Une analyse préalable des besoin du client,
  • L’intervention de bureaux d’études spécialisés
  • Le montant des travaux,
  • L’objectif poursuivi par les travaux.

« (…) A titre liminaire, la cour observe, qu’en première instance, la société X ne contestait pas que la pompe à chaleur litigieuse constituait un ouvrage au sens de l’article susvisé.

En l’espèce, les travaux réalisés par la société Y, visant à remplacer totalement le chauffage initial au gaz propane, au regard, de première part, de l’importance technique de l’installation constituée de deux circuits, d’un plancher chauffant en rez de chaussée, de radiateurs au premier étage, d’une pompe à chaleur avec raccordement aux sondes géothermiques au passage du mur et raccordement au kit solaire avec circulateur, nécessitant une analyse des besoins des utilisateurs et une adéquation à ces derniers avec intervention d’un bureau d’étude thermique et fluide outre un maître d’œuvre, de seconde part, du coût élevé des travaux, soit la somme de12.897,38€, et, enfin, de l’objectif d’assurer le chauffage de l’ensemble de l’immeuble, doivent être considérés comme un ouvrage de construction au sens des dites dispositions (…) ».

Puis la Cour tire les conséquences du cadre juridique ainsi rappelé, en retenant que le dysfonctionnement rend l’ouvrage impropre à sa destination :

« Aux termes de l’article 1792-6 du Code Civil, la réception est l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserve.

Si aucun procès-verbal de réception n’a été établi par écrit et signé entre les parties, il ressort des pièces du dossier que l’ouvrage a été réalisé dans son intégralité, qu’il a été mis en fonctionnement et que le maître d’ouvrage avait réglé, au moment de sa livraison, la totalité du prix.

Ces éléments caractérisent l’existence de la volonté non équivoque des maîtres de l’ouvrage de le recevoir.

A la date d’achèvement des travaux, malgré une mise en route laborieuse, le système de chauffage fonctionnait, de sorte qu’il doit être retenu qu’une réception tacite des travaux est intervenue, sans réserve, le 2 octobre 2008 (…)

L’expert, qui conclut à la nécessité de faire réaliser une étude hydraulique et de régulation pour adapter la nouvelle installation géothermique à l’existant, retient le non-respect des règles de l’art dans la mise en œuvre de la pompe à chaleur, une négligence dans la direction et la surveillance des travaux et une imputabilité des désordres à la société Y.

L’expert retient une impropriété du système de chauffage installé à sa destination, qui était d’assurer un chauffage satisfaisant dans l’habitation, sans consommation d’énergie excessive et sans surveillance de tous les instants des maîtres de l’ouvrage.

Par voie de conséquence, la société Y engage sa responsabilité au titre de la garantie décennale.

Le jugement déféré sera réformé sur ce point (…) ».

L’arrêt de la Cour d’appel de GRENOBLE met en évidence la difficulté d’appréciation des juridictions du fond quant à la notion « d’ouvrage », laquelle est soumise à une appréciation souveraine au cas par cas.

Notons toutefois qu’il est aujourd’hui admis que le système de climatisation installé dans un immeuble accueillant un parc des expositions constituait un ouvrage « par sa conception, son ampleur et l’emprunt de ses éléments d’équipement à la construction immobilière » (Cass. 3e civ., 28 janv. 2009, n° 07-20.891  : JurisData n° 2009-046846).

Il en a été jugé de même pour « une pompe à chaleur dont l’installation impliquait des raccordements aérauliques et électriques et un ancrage de l’unité dans la structure de gros-œuvre » (CA Dijon, 21 avr. 2015, n° 13/01661 : JurisData n° 2015-012960).

En revanche, l’installation d’une climatisation sur un immeuble existant a été vue comme relevant du régime de la responsabilité de droit commun, lorsqu’elle n’a pas nécessité de travaux particuliers. C’est également le cas dans l’hypothèse où une pompe à chaleur dont les éléments ne sont pas incorporés à l’existant mais reposent sur des supports et que leur pose a fait l’objet de travaux techniquement limités (CA Colmar, 17 févr. 2014, n° 14/0128  : JurisData n° 2014-002852).

L’enjeu est important puisqu’une garantie décennale est applicable lorsque la notion d’ouvrage est reconnue. Les victimes peuvent alors agir contre les constructeurs d’ouvrage dans ce délai et à condition de remplir les autres conditions légales pour qu’elle soit mise en œuvre.

L’arrêt de la Cour d’appel de GRENOBLE nous rappelle également :

  • L’importance de bien veiller, lors de la commande de tels travaux, que les sociétés sont bien assurées pour les travaux concernés (attestation à jour, confirmation du paiement des cotisations à la date des travaux) ;
  • La nécessité de bien démontrer l’existence d’une atteinte à la solidité ou d’une impropriété à sa destination. A cet égard, il ne peut être que vivement recommandé de solliciter une mesure d’expertise judiciaire si le constat est trop technique ;
  • Que la réception de l’ouvrage peut être démontrée par la réalisation complète et le paiement de travaux en l’absence de signature de procès-verbal de réception.