CAA Marseille, 31 mars 2011, Association chabanaise pour la qualité de vie, n°09MA01499

Cet arrêt (CAA marseille 09MA01499 éolien  doit retenir l’attention à plusieurs égards.

L’intérêt public attaché à l’implantation d’un parc éolien en zone de montagne 

Afin d’assurer le maintien des activités agricoles et la protection de paysages particulièrement sensibles, l’urbanisation en montagne doit se réaliser en continuité avec les bourgs, villages, hameaux, groupes de constructions traditionnelles et d’habitations existants (article L. 145-3 du code de l’urbanisme).

Ce texte prévoit toutefois la possibilité de construire, en dehors des parties urbanisées de la commune, des « installations ou d’équipements publics incompatibles avec le voisinage des zones habitées ».

Dans deux décisions ayant déjà fait l’objet d’un commentaire sur ce blog (Conseil d’Etat, 16 juin 2010, n°311840, Leloustre, Publié au recueil Lebon ; Conseil d’Etat, 16 juillet 2010, n° 324515, Association pour la protection des paysages et ressources  de l’Escandorgue et du Lovedois), le Conseil d’Etat a considéré qu’un parc éolien constitue bien une opération d’urbanisation au sens de l’article L. 145-3 du code de l’urbanisme et se trouve donc soumis de jure à la règle de l’urbanisation en continuité en zone de montagne.

Toutefois, le Conseil d’Etat ajoutait que, « dans les circonstances de l’espèce, eu égard à l’importance et à la destination du parc éolien », le parc éolien remplissait les conditions posées par le texte pour être qualifié d’ «installation ou équipement public incompatible avec le voisinage des zones habitées » et être à ce titre autorisé à s’implanter en dehors des parties urbanisées.

Certains parcs éoliens peuvent ainsi se voir reconnaître un caractère d’équipement public, au regard de leur importance et de leur destination.

On peut s’en féliciter car nombreuses ont été les hésitations des Cours à ce sujet. Les éoliennes se sont vues reconnaître le caractère d’équipement collectif lorsque l’électricité produite est destinée à être revendue à EDF (Cour Administrative d’Appel de Nantes 29 juin 2010 N° 09NT01328) ou d’installation nécessaire à un équipement collectif (Cour Administrative d’Appel de Nancy, 1ère chambre – formation à 3, 02/07/2009, 08NC00125) mais refuser un caractère public à défaut pour les installations d’être « directement affectées à l’exécution même du service public de l’électricité » (arrêt de la CAA Nantes précité).

Or, on pouvait opposer à ces arguments que la revente à EDF de l’électricité produite par une éolienne constitue l’activité exclusive de celle-ci (obligation d’achat de la totalité de l’énergie produite prévue à l’article L. 314-1 du code de l’énergie).

Mieux encore, le Conseil d’Etat avait qualifié d’ouvrage public certains ouvrages de production d’électricité :

« Les ouvrages auxquels sont imposées ces contraintes (contraintes particulières de fonctionnement ndlr) en raison de la contribution déterminante qu’ils apportent à l’équilibre du système d’approvisionnement en électricité doivent être regardés comme directement affectés au service public et ils ont par suite le caractère d’ouvrage public. Leurs propriétaires, même privés, sont ainsi, dans cette mesure, chargés d’exécuter ce service public. En l’état actuel des techniques et eu égard aux caractéristiques d’ensemble du système électrique, présentent le caractère d’ouvrage public les ouvrages d’une puissance supérieure à 40 MW qui sont installés dans les zones interconnectées du territoire métropolitain.» (Conseil d’Etat, avis, 29 avril 2010, n° 323179, publié au recueil Lebon).

Désormais, l’appréciation sera portée par les juges du fond, lesquels disposeront d’une certaine liberté pour faire droit à la qualification d’équipement public, compte tenu du caractère relativement imprécis des critères dégagés par le Conseil d’Etat.

L’arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille du 31 mars 2011, « Association chabanaise pour la qualité de vie », n°09MA01499 est ainsi le premier à apporter de réelles précisions quant à la mise en oeuvre de ces critères. Celui rendu par la Cour administrative d’appel de Lyon fut très décevant, la Cour se contentant de reprendre le considérant de principe du Conseil d’Etat sans motiver plus avant son raisonnement (Cour administrative d’appel de Lyon, 1ère chambre – formation à 3, 12/10/2010, 08LY02786).

La Cour de Marseille, au regard du critère déterminant de la destination de l’installation, s’attache à déterminer l’existence d’un besoin réel identifié permettant de conférer un intérêt public aux projets de parcs éoliens.

En l’espèce, elle ne reconnaît pas la qualification d’équipement public et annule le permis de construire 5 éoliennes au motif :

« qu’en l’espèce, ce projet, qui se limite à la construction de cinq éoliennes en dehors des zones urbanisées, sans qu’il existe à la date de la décision attaquée de plan relatif à la concentration de ce type d’équipements dans le secteur de Châteauneuf Val Saint-Donnat, ni de zone définie de développement de l’éolien, entraîne un mitage de l’espace non urbanisé, dont il n’est pas démontré qu’il réponde à un besoin réel identifié permettant, comme il est soutenu, de regarder cette installation comme présentant un intérêt public ; que, par suite, les caractéristiques de ce projet ne lui permettent pas de déroger à la règle d’urbanisation en continuité et le permis de construire en litige méconnaît l’article L.145-3 du code de l’urbanisme ; »

La Cour n’a pas retenu l’existence d’un intérêt public, le projet ne répondant pas à un « besoin réel identifié ».

Mais quel pourrait être ce besoin ? On ne doute pas que si le parc alimentait directement l’ensemble des habitants d’une commune, l’intérêt public serait constitué.

Qu’en sera t-il pour un parc éolien bénéficiant d’un contrat d’achat d’électricité avec EDF ? Les juges du fond lui reconnaîtront-ils d’office le caractère d’équipement public, comme ils y ont vraisemblablement été incités par le Conseil d’Etat dans son avis du 29 avril 2010 (infra) ? On le souhaite !

La Cour n’a pas omis de se référer au second critère relatif à l’importance de l’installation, mais de façon négative, puisqu’il est relevé que « ce projet, (…) se limite, à la construction de 5 éoliennes ». Le caractère réduit de la taille de l’installation ne permet pas non plus de considérer celle-ci comme un équipement public.

On peut être surpris par le fait que le permis annulé en l’espèce portait sur un projet de 5 éoliennes, tandis que dans l’affaire Leloustre (citée infra), le permis validé par le Conseil d’Etat autorisait la construction de 8 éoliennes.

Comment peut-on justifier que des parcs éoliens, de tailles semblables (5 ou 8 aérogénérateurs), portés tous deux par des entrepreneurs privés, et dont le rachat d’électricité par EDF n’est pas certain, peuvent se voir pour l’un, reconnaître le caractère d’équipement public, et pour l’autre non?

La prudence de la Cour laisse craindre que l’intérêt public ne soit reconnu à l’avenir que de façon exceptionnelle, les projets d’envergure en sortant incontestablement favorisés.

L’insécurité juridique est désormais de mise pour les pétitionnaires souhaitant implanter de l’éolien en zone de montagne, freinant ainsi les espérances nées de la décision Leloustre.

Un mirage obsédant … le mitage éolien

L’arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille est une nouvelle illustration de l’obsession du mitage éolien, déjà décriée à l’occasion du commentaire de la décision du Conseil d’Etat du 16 juillet 2010, n° 324515, Association pour la protection des paysages et ressources  de l’Escandorgue et du Lovedois.

Plusieurs juridictions, à l’instar des CAA de Marseille et Nancy, allèguent d’un prétendu mitage de l’espace non-urbanisé engendré par les projets éoliens pour annuler des autorisations d’urbanisme ou des Zones de Développement Eolien.

Ce postulat fait ainsi systématiquement obstacle à l’implantation d’éoliennes alors même qu’il s’avère contraire à l’esprit de l’article L. 145-3 du code de l’environnement qu’il vient pourtant appuyer. La dérogation prévue par le III de cette disposition consiste en effet à permettre à des installations « incompatibles avec le voisinage des zones habitées » de s’implanter en dehors des lieux urbanisés.

En outre, si le mitage se caractérise par une dissémination spontanée ou insuffisamment contrôlée de constructions implantées en zone rurale entraînant une détérioration du paysage, comment un parc éolien de 5 éoliennes peut-il à lui seul miter le paysage ?

D’ailleurs et plus fondamentalement peut-être, on peut même considérer que par nature les éoliennes ne peuvent avoir un effet de mitage.

Certes de par leur envergure et les enjeux en termes de sécurité leur implantations doit intervenir dans des zones agricole à l’égard des habitations … Mais pour autant les éoliennes ne sont pas des constructions qui impliqueraient une réelle activité humaine (à l’instar des activités artisanales, industrielles de production ou de stockage ou d’exploitation du sous-sol ou encore tertiaire et d’habitation). L’emprunte territoriale des éoliennes est ainsi parfaitement assimilable à celui opéré par les lignes électriques pour lesquelles la question du mitage n’est pas posée et alors que les éoliennes pour leur part font l’objet d’une étude d’impact et d’un permis pour préserver les enjeux paysagers.  Faut-il le rappeler ? Personne n’habite dans les éoliennes !

Désormais, où s’implanteront des parcs éoliens qui sont par nature et du fait de la loi (périmètre des 500m) incompatibles avec le voisinage des zones habitées, s’ils sont également interdits à l’extérieur des parties urbanisées sous prétexte d’un mitage du paysage ?

Anaïs de Bouteiller

Avocat au Barreau de Lille

Green Law Avocat