Le Conseil d'étatPar deux avis en date du 18 juin 2014 (consultables ici et ici), le Conseil d’Etat a enfin pris position de manière explicite sur la question de l’applicabilité dans le temps de la réforme du contentieux de l’urbanisme issue de l’ordonnance du 18 juillet 2013.

En effet, ainsi que nous l’avions déjà exposé dans de précédents articles (voir ici et ici), le texte de l’ordonnance ne contient aucune disposition précisant ses modalités d’application aux instances juridictionnelles en cours, et cette question divisait les juges du fond depuis l’automne 2013.

 Pour rappel, s’il avait été facilement admis que les dispositions des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l’urbanisme relatives à l’annulation partielle et à la régularisation en cours d’instance d’un permis de construire étaient d’application immédiate (voir par exemple CAA Nantes, 17 janvier 2014, n° 13NT00947 et CAA Lyon, 4 février 2014, n°13LY00156), l’applicabilité aux litiges nés avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance des articles L. 600-1-2 et L. 600-1-3 qui redéfinissent l’intérêt à agir du requérant et fixent sa date d’appréciation « à la date d’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire » était encore très controversée.

Ainsi, certaines juridictions, appliquant la jurisprudence classique du Conseil d’Etat, avaient rejeté les fins de non-recevoir tirées de ces nouvelles dispositions au motif « qu’une disposition nouvelle qui affecte la substance du droit de former un recours pour excès de pouvoir contre une décision administrative est, en l’absence de dispositions expresses contraires, applicable aux recours formés contre les décisions intervenues après son entrée en vigueur, alors même que ces dernières statuent sur des demandes présentées antérieurement à cette entrée en vigueur ; » (CE, 11 juill. 2008, n° 313386).

Il s’agissait là de la position du TA de Rennes (TA Rennes, ord., 12 sept. 2013, n° 1303007), mais aussi de la Cour administrative d’appel de Marseille (CAA Marseille, 3 oct. 2013, req. n° 11MA04815, AJDA 2013. 2392).

D’autres juridictions, considérant de manière assez surprenante que les articles susvisés ne portent pas atteinte à la substance du droit de recours, avaient au contraire accepté de les appliquer aux affaires initiées avant la réforme (CAA Lyon, 5 novembre 2013, n° 13LY01020 ; TA Toulon, 26 sept. 2013, n° 1101385 ; TA Toulon, 19 déc. 2013, n° 1300797, AJDA 2014. 300).

Le Conseil d’Etat avait certes laissé entrevoir sa position dans un arrêt du 9 avril 2014 (CE, 9 avril 2014,  n°338363, consultable ici), qui semblait consacrer l’inapplicabilité de l’ordonnance du 18 juillet 2013 aux contentieux nés avant son entrée en vigueur, mais il ne s’était pas encore prononcé de manière explicite.

Les avis rendus le 18 juin 2014 mettent un terme au débat.

Saisie de deux demandes d’avis portant respectivement sur la faculté de mise en œuvre des dispositions de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme par le juge d’appel (CE, avis, 18 juin 2014, n° 376760) et sur l’applicabilité des dispositions des articles L. 600-1-2, L. 600-1-3, L. 600-5 et L. 600-7 du Code de l’urbanisme aux instances introduites avant l’entrée en vigueur de la réforme de juillet 2013 (CE, avis, 18 juin 2014, n° 376113), la Haute Juridiction confirme sa jurisprudence antérieure en distinguant :

  • les règles de procédures « classiques », qui sont immédiatement applicables aux litiges en cours ;
  • et les règles affectant la substance du droit de former un recours, qui ne peuvent être mises en œuvre que pour les litiges nés après leur entrée en vigueur.

Il résulte très logiquement de cette distinction que les dispositions nouvelles relatives à l’intérêt à agir (articles L 600-1-2 et L 600-1-3), qui affectent nécessairement le droit de recours en ce qu’elles restreignent l’intérêt à agir, ne sont applicables qu’aux recours formés contre les décisions intervenues après le 18 août 2013 :

 « S’agissant de dispositions nouvelles qui affectent la substance du droit de former un recours pour excès de pouvoir contre une décision administrative, elles sont, en l’absence de dispositions contraires expresses, applicables aux recours formés contre les décisions intervenues après leur entrée en vigueur. » (CE, avis du 18 juin 2014, n°376113)

En revanche, les dispositions des articles L. 600-5, L. 600-5-1 et L.600-7, qui portent sur l’annulation partielle ou la régularisation en cours d’instance et sur la possibilité pour le pétitionnaire de demander la condamnation du requérant à lui verser des dommages et intérêts pour recours abusif, sont d’application immédiate et peuvent donc être invoquées, par exemple, pour la première fois en appel. Le Conseil d’Etat considère ainsi qu’elles ne concernent que les pouvoirs du juge.

Pour les articles L.600-5 et L.600-7, l’avis n°376113 indique ainsi que :

« Ces nouvelles dispositions, qui instituent des règles de procédure concernant exclusivement les pouvoirs du juge administratif en matière de contentieux de l’urbanisme, sont, en l’absence de dispositions expresses contraires, d’application immédiate aux instances en cours, quelle que soit la date à laquelle est intervenue la décision administrative contestée. Elles peuvent être appliquées pour la première fois en appel. » (CE, avis du 18 juin 2014, n°376113)

 

En ce qui concerne l’article L.600-5-1, la solution de l’avis n°376760 est la même :

« Les dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, qui instituent des règles de procédure concernant exclusivement les pouvoirs du juge administratif en matière de contentieux de l’urbanisme, sont, en l’absence de dispositions expresses contraires, d’application immédiate aux instances en cours. Par conséquent, le juge d’appel peut, à compter de l’entrée en vigueur de ces dispositions, mettre en œuvre les dispositions de l’article L. 600-5-1, y compris dans le cas où il est saisi d’un jugement d’annulation qui a été rendu avant l’entrée en vigueur de ces dispositions. » (CE, avis du 18 juin 2014, n°376760)

On notera par ailleurs que ce second avis précise également que le juge d’appel qui, estimant que le vice ayant fondé l’annulation du permis litigieux en première instance peut être régularisé par un permis modificatif, souhaite mettre en œuvre les dispositions de l’article L. 600-5-1 et surseoir à statuer dans l’attente d’une régularisation, doit écarter tous les moyens soulevés devant la juridiction administrative, tant en première instance qu’en appel :

« Lorsque le juge d’appel estime qu’un moyen ayant fondé l’annulation du permis litigieux par le juge de première instance est tiré d’un vice susceptible d’être régularisé par un permis modificatif, et qu’il décide de faire usage de la faculté qui lui est ouverte par l’article L. 600-5-1, il lui appartient, avant de surseoir à statuer sur le fondement de ces dispositions, de constater préalablement qu’aucun des autres moyens ayant, le cas échéant, fondé le jugement d’annulation, ni aucun de ceux qui ont été écartés en première instance, ni aucun des moyens nouveaux et recevables présentés en appel, n’est fondé et n’est susceptible d’être régularisé par un permis modificatif et d’indiquer dans sa décision de sursis pour quels motifs ces moyens doivent être écartés. »

Aussi, seuls les moyens relatif au permis modificatif pourront être invoqués devant lui à compter de sa décision de sursis.

Ces précisions apportées par le Conseil d’Etat sont salutaires et referment le débat qui n’avait pas manqué de surgir en raison de l’imprécision du texte. Il restera encore à la jurisprudence administrative de s’affiner sur les conditions d’application des nouveaux pouvoirs du juge, notamment en matière de dommages et intérêts.

Lou DELDIQUE

Green Law Avocat