Vector dew drops question markLa mise en œuvre des nouvelles règles procédurales instaurées en matière de contentieux de l’urbanisme par l’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 (voir notre article du 30 juillet 2013) divise les juridictions de première instance à la lecture de plusieurs jugements récents.

La question se pose en effet de savoir si ces règles peuvent réellement s’appliquer aux litiges en cours, ainsi que le texte le prévoit (ordonnance n° 2013-638, article 5).

L’entrée en vigueur de deux mesures phares de la réforme pose ainsi problème:

  • la possibilité pour le juge d’octroyer des dommages et intérêts en cas de recours abusif
  • et la restriction de l’intérêt à agir.
  • I. La recevabilité des conclusions reconventionnelles à caractère indemnitaire du bénéficiaire de l’autorisation contestée.

Ainsi que nous le mentionnions dans notre précédent article, le nouvel article L. 600-7 du code de l’urbanisme issu de l’ordonnance du 18 juillet 2013 et applicable depuis le 19 août, permet désormais au titulaire d’une autorisation, victime d’un recours qu’il estime abusif, de demander, par un mémoire distinct,  l’allocation de dommages et intérêts devant le juge administratif.

Deux conditions doivent être remplies :

– le droit de former le recours doit être mis en œuvre dans des conditions qui « excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant »,

– et les conditions dans lesquelles le recours est exercé doivent causer un « préjudice excessif au bénéficiaire du permis ». Nous avions déjà attiré l’attention de nos lecteurs sur les difficultés d’appréciation que ces conditions sont susceptibles de poser.

Cependant, c’est pour l’instant l’application dans le temps de cette disposition qui fait débat.

En effet, il est prévu qu’elle s’applique aux affaires en cours dès son entrée en vigueur, ce qui est classique s’agissant des lois de procédure (CE, 14 mai 1920, Dhoste : rec. p. 471 ; CE Sect., 7 mars 1975, Commune de Bordères-sur-l’Échez, requête numéro 91411 : rec. p. 179). Toutefois, la jurisprudence du Conseil d’Etat a nuancé ce principe : « une disposition nouvelle qui affecte la substance du droit de former un recours pour excès de pouvoir contre une décision administrative est, en l’absence de dispositions expresses contraires, applicable aux recours formés contre les décisions intervenues après son entrée en vigueur, alors même que ces dernières statuent sur des demandes présentées antérieurement à cette entrée en vigueur ; » (CE, 11 juill. 2008, n° 313386). 

Par conséquent, une juridiction amenée à connaître de conclusions reconventionnelles à caractère indemnitaire en application de l’article L. 600-7 doit préalablement déterminer si la nouvelle règle est de nature à affecter la substance du droit au recours. Si tel est le cas, le juge ne peut considérer les conclusions comme recevables.

Or c’est précisément sur ce point que  les Tribunaux administratifs sont partagés.

Ainsi, le Tribunal administratif de Strasbourg a considéré que l’article L. 600-7 modifie les termes du débat contentieux et affecte la substance du droit au recours (disponible ici: TA STRASBOURG), puisque le requérant s’expose à des conséquences financières excédant celles qui étaient prévisibles au jour de l’introduction du recours. Il en déduit que ces nouvelles dispositions ne peuvent s’appliquer aux recours intentés avant le 19 août 2013 (TA Strasbourg, 15 octobre 2013, n°1003775) :

« Considérant que si la SAS A. entend se prévaloir dans ses dernières écritures de la possibilité offerte par les dispositions de l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme afin de réclamer des dommages-intérêts au requérant du fait du recours contentieux introduit par ce dernier, lesdites dispositions, aux termes desquelles : « Lorsque le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager est mis en oeuvre dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant et qui causent un préjudice excessif au bénéficiaire du permis, celui-ci peut demander, par un mémoire distinct, au juge administratif saisi du recours de condamner l’auteur de celui-ci à lui allouer des dommages-intérêts (…) », modifient les termes du débat contentieux, l’auteur du recours s’exposant ainsi à devoir désormais subir éventuellement des conséquences financières excédant celles qui étaient jusqu’alors de mise dans ce type de contentieux, affectent nécessairement la substance du droit de former un recours contre une décision administrative ; que ces dispositions, en l’absence de dispositions expresses contraires, ne peuvent ainsi trouver à s’appliquer aux recours intentés antérieurement à leur entrée en vigueur ; que les conclusions indemnitaires de la SAS A. apparaissent, dès lors irrecevables ; »

Mais le TA de Dijon (TA Dijon, 10 oct. 2013, n° 1201224) ne suit pas ce raisonnement (disponible ici TA DIJON):  S’appuyant sur le rapport du groupe de travail à l’origine de la réforme et sur les travaux préparatoires, il a ainsi jugé que les conclusions indemnitaires introduites au titre du L. 600-7 dans le cadre d’une instance pendante doivent être jugées recevables au motif que :

–        d’une part, un recours indemnitaire était déjà possible devant le juge judiciaire avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance,

–        d’autre part, l’article L. 600-7 pose des conditions restrictives qui  doivent être strictement respectées.

« Considérant qu’il résulte des travaux préparatoires des dispositions de l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme, qui reprennent l’une des propositions faites par le rapport du groupe de travail « Construction et droit au recours : pour un meilleur équilibre » créé par lettre du 11 février 2013 de la ministre de l’égalité des territoires et du logement, qu’elles n’ont pas eu pour objet d’affecter le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager ; qu’en admettant même que la condamnation de l’auteur d’un tel recours, sur le fondement de ces dispositions, puisse être regardée comme affectant ce droit et les voies selon lesquelles il peut être exercé, d’une part, une telle condamnation pouvait déjà être prononcée par les juridictions de l’ordre judiciaire avant même l’entrée en vigueur de ces dispositions, d’autre part, lesdites dispositions subordonnent la condamnation qu’elles envisagent aux conditions cumulatives que la demande de condamnation ait été présentée par un « mémoire distinct » et que le recours en cause ait été « mis en œuvre dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant et qui causent un préjudice excessif au bénéficiaire du permis », enfin, il se déduit des travaux préparatoires des dispositions en cause que ces conditions doivent être strictement respectées ; que, dans un tel contexte, les dispositions de l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme ne peuvent pas être regardées comme ayant eu pour effet d’affecter de manière substantielle le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager ainsi que les voies selon lesquelles ce droit peut être exercé et, par suite, elles ne peuvent pas être regardées comme ayant eu pour effet de porter atteinte aux droits acquis par les parties ; qu’il suit de là, en l’absence de dispositions expresses contraires dans l’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013, que les dispositions de l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme sont applicables aux situations en cours à la date d’entrée en vigueur de ces dispositions ; »

  • II. Les difficultés liées à l’appréciation de l’intérêt à agir

Des difficultés similaires se posent pour l’entrée en vigueur des nouveaux articles L. 600-1-2 et L. 600-1-3 du code de l’urbanisme, qui redéfinissent l’intérêt à agir (C. urb., art. L 600-2-1) et fixe sa date d’appréciation « à la date d’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire » (C. urb., art. L. 600-1-3).

Classiquement, l’intérêt à agir s’apprécie au jour de l’introduction de la requête et non à celle de la délivrance de l’autorisation contestée (CE, 6 oct. 1965, Marcy : Rec. CE 1965, p. 493. – CE, 30 déc. 2002, n° 249860, Sté Cottage Wood : Rec. CE 2002, tables, p. 856, référé suspension ; CE, 11 févr. 2005, n° 247673), étant précisé par ailleurs qu’il était accepté qu’il naisse en cours d’instance.

Aussi, ces nouvelles dispositions ne devraient s’appliquer qu’aux recours déposés à partir du 19 août 2013, puisqu’elles affectent indéniablement la substance du droit de former un recours contre une autorisation d’urbanisme (CE, 11 juill. 2008, Association des amis des paysages bourganiauds, n°313386).

C’est ce qu’a jugé le TA de Rennes (TA Rennes, ord., 12 sept. 2013, n° 1303007, disponible ici: TA RENNES) en estimant que seuls les requérants contestant un permis délivré après le 19 août pourraient se voir opposer une fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir sur le fondement de l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme :

 « Considérant [.. .] que, par ailleurs, les dispositions de l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme, issues de l’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013, dont se prévaut la commune à l’appui de sa fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir de M. X., sont entrées en vigueur le 19 août 2013 ; que ces nouvelles dispositions qui affectent la substance du droit de former un recours pour excès de pouvoir contre une autorisation d’urbanisme ne sont, en tout état de cause, en l’absence de dispositions expresses contraires, applicables qu’aux recours formés contre les décisions intervenues après leur entrée en vigueur ; que, dès lors, la fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir de M. X. doit être écartée ; »

Cependant, on notera que le Tribunal administratif de Toulon s’est prononcé en sens contraire sur cette question  (TA Toulon, 26 sept. 2013, n° 1101385), ce qui montre bien que là encore, les juges du fond peuvent porter un regard différent sur la notion de « disposition affectant la substance du droit de former un recours pour excès de pouvoir ».

Il faudra certainement attendre la jurisprudence des Cours administratives d’appel pour voir ces règles de procédures fixées. D’ici là, on ne peut guère que regretter l’incertitude juridique qui découle de ces divergences jurisprudentielles pour les requérants…

Lou Deldique

Green Law Avocat