Urbanisme / Elaboration du PLU dans les communes littorales : les règles visant à protéger les espaces naturels doivent prévaloir (CAA Marseille, 26 septembre 2016, n°15MA03849)

Sand Castle on BeachPar Lou Deldique – GREEN LAW AVOCATS

Une récente décision de la Cour administrative d’appel de Marseille (CAA Marseille, 26 septembre 2016, n°15MA03849, consultable ici) apporte d’intéressantes précisions sur les exigences relatives aux documents d’urbanisme des communes littorales.

Rappelons en effet que dans ces communes littorales, qui sont définies à l’article L. 321-2 du code de l’environnement, des règles d’urbanisme spécifiques s’appliquent depuis l’entrée en vigueur de la loi du 3 janvier 1986 (aujourd’hui codifiée aux articles L. 121-1 et suivants du code de l’urbanisme).

La loi Littoral instaure notamment trois zones, qui sont chacune dotées d’un régime de constructibilité distinct :

  • l’ensemble du territoire communal, dans lequel existe une obligation d’urbanisation en continuité (C. urb., art. L. 121-8) ;
  • les espaces proches du rivage, dans lesquels l’extension de l’urbanisation doit être « limitée, justifiée et motivée » (C. urb., art. L. 121-13) ;
  • la bande littorale des cent mètres, qui est inconstructible par principe, sauf au sein des espaces déjà urbanisés (C. urb., art. L. 121-16).

Il convient de souligner que ces règles sont opposables aux autorisations individuelles d’occupation du sol, mais aussi aux documents d’urbanisme, qui doivent impérativement en tenir compte (CE, 13 nov. 2002, n° 219034 ; CE, 9 nov. 2015, n° 372531 ; CE, 3 oct. 2016, n° 391750).

En l’espèce, la commune de Bonifacio avait approuvé la modification de son plan local d’urbanisme (PLU) par une délibération en date du 20 décembre 2013, qui avait fait l’objet d’un recours en excès de pouvoir devant le juge administratif.

Deux reproches étaient adressés à la délibération contestée, qui entérinait une modification du zonage  et des règles applicables sur l’île de Cavallo :

  • d’une part, les requérants soutenaient qu’une évaluation de l’incidence du nouveau plan sur les zones Natura 2000 aurait dû être réalisée (l’île se situe en effet au sein d’une telle zone et à proximité d’une autre). Ce moyen n’était pas spécifique au statut de commune littorale de la ville de Bonifacio, mais dans les faits, ces communes présentent souvent une sensibilité écologique particulière, et sont donc plus susceptibles d’être concernées par les règles relatives aux zones Natura 2000 ;
  • d’autre part, ils estimaient que l’ouverture de la constructibilité dans des zones comprises dans la bande littorale de cent mètres méconnaissait les règles de la loi Littoral telles qu’exprimées à l’ancien article L. 146-4 du code de l’urbanisme (aujourd’hui recodifié à l’article L. 121-16).

S’agissant du premier moyen, la Cour considère sans surprise que la modification du plan, qui permettait une constructibilité encadrée dans certaines des zones urbaines et naturelles, était nécessairement soumise à évaluation environnementale, puisqu’elle pouvait avoir des incidences significatives sur les sites Natura 2000 :

«  Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que le territoire de l’île de Cavallo, seul habité de l’archipel des Lavezzi et ne comportant de constructions à usage résidentiel que depuis une cinquantaine d’années, est inclus en totalité dans la zone Natura 2000 FR 941002  » Iles Lavezzi /Bouches de Bonifacio « , et entouré par le périmètre d’une seconde zone Natura 2000  » Plateau de Pertusato/Bonifacio et îles Lavezzi  » et par celui de la réserve naturelle des Bouches de Bonifacio, tout en étant également couvert par une ZNIEFF de type 1 justifiée notamment par le rôle majeur de l’île pour les espèces du cormoran huppé de Méditerranée et du puffin cendré et par la présence d’une flore originale ; que la modification du plan local d’urbanisme en litige définit sur le territoire de l’île un nouveau zonage composé de six secteurs, principalement fondé sur un relevé des constructions existantes ou inachevées en 2012, et redéfinit entièrement les règles applicables dans les nouvelles zones urbaines et naturelles ainsi créées ; que précisément, tout en classant 45% du territoire en zone NR inconstructible au titre des espaces remarquables, elle institue notamment une constructibilité encadrée de plusieurs micro-zones UK2 afin de permettre l’achèvement ou la reconstruction d’une vingtaine de villas non habitées et la réalisation d’un projet en zone UK2a comportant 1 200 mètres carrés de surface de plancher ; que le plan local d’urbanisme modifié prévoit par ailleurs la possibilité de nouvelles constructions à usage technique et d’équipements collectifs, sportifs ou de loisirs dans les zones naturelles NNe, NNs et NNp ; qu’il n’est aucunement contredit que ces possibilités sont de nature à permettre une augmentation conséquente de la population fréquentant l’île de Cavallo ; que, dans ces conditions, la modification approuvée le 20 décembre 2013 était susceptible d’entraîner des incidences significatives sur un site Natura 2000 ; qu’elle entrait donc à ce titre dans le champ des dispositions précitées de l’article L. 414-1 du code de l’environnement ;

 Considérant qu’il suit de là que la modification du plan local d’urbanisme ne pouvait être soumise à enquête publique et approuvée sans comporter une évaluation de ses incidences analysant, conformément à l’article R. 414-21 du code de l’environnement, les effets notables des changements introduits sur l’état de conservation des habitats naturels et des espèces ayant justifié la désignation des sites Natura 2000 concernés et, en cas d’effets dommageables identifiés, les mesures de compensation prévues ; […] »

 

Dans la mesure où cette évaluation n’avait pas été réalisée, il ne faisait nul doute que la délibération était entachée d’un vice de procédure substantiel (voir pour d’autres exemples : CAA Nantes, 20 janv. 2012, n° 11NT01012 ;  CAA Marseille, 15 mars 2012, n° 10MA01798 ; CAA Douai, 13 juin 2013, n° 12DA00121).

 

Notons que la Cour invalide ici la solution retenue par le Tribunal administratif de Bastia en première instance, qui avait considéré que les modifications apportées au zonage n’étaient pas susceptibles d’avoir un impact significatif sur les zones Natura 2000, au motif que le nouveau document réduisait par ailleurs les espaces ouverts à l’urbanisation par le précédent plan et qu’il ne permettait en zone urbaine que la réalisation de travaux d’entretien et de réhabilitation sur les constructions existantes ou inachevées (TA Bastia, 16 juill. 2015, n° 1400159 et 1400161).

S’agissant du second moyen, la Cour, après avoir précisé que les zones concernées ne constituaient pas des espaces déjà urbanisés au sens de la loi Littoral, rappelle que l’interdiction posée par la loi Littoral est stricte, et que l’instauration d’une constructibilité restreinte ne peut donc être acceptée, pas plus que celle d’une possibilité de reconstruction à l’identique :

« Considérant qu’il ressort des pièces du dossier et qu’il est au demeurant constant que les secteurs de l’île de Cavallo situés dans la bande littorale de cent mètres à compter de la limite du rivage et classés en zone UK2 par la modification en litige ne constituaient pas à cette date des espaces urbanisés ; que le règlement de la zone UK2, correspondant à des  » espaces interstitiels  » supportant  » des constructions inachevées ou en état de ruine « , admet en son article 2 toute construction à usage d’habitation, dès lors que sont respectées des conditions d’emprise au sol non supérieure à celle relevée en 2012 et fixée à l’article 9, d’implantation sur le terrain dans le respect de sa topographie et de ses caractéristiques paysagères, d’interdiction de rapprochement des constructions du rivage de la mer par rapport à l’implantation des emprises relevée sur un plan figurant à l’article 9, et de prise en compte du libre accès aux plages et au chemin le long du littoral ; que ces dispositions ne peuvent être regardées comme permettant le simple aménagement ou la réhabilitation de constructions ou installations existantes, alors notamment qu’il est constant que la plupart des vestiges de bâtiments situés sur les parcelles classées en zone UK2 n’ont jamais été terminés et ne comprennent pour certains que des fondations et quelques murs ; qu’en outre, un sous-secteur spécifique UK2a au sud de l’île, entièrement inclus dans la bande littorale de cent mètres à compter du rivage au vu des plans de zonage figurant au dossier, doit permettre selon le règlement la construction d’une nouvelle emprise au sol globale de 1 200 mètres carrés conditionnée par la démolition de ruines dans un secteur avoisinant, possibilité dont il n’est ni démontré ni même soutenu qu’elle concernerait exclusivement la reconstruction ou l’aménagement de bâtiments existants ; que la commune de Bonifacio ne saurait invoquer utilement en toute hypothèse, pour justifier les possibilités de construction ainsi permises par le document d’urbanisme dans la bande de cent mètres, les dispositions l’article L. 111-3 du code de l’urbanisme qui, si elles s’appliquent nonobstant toute norme d’urbanisme contraire, portent quant à elles sur la seule reconstruction à l’identique d’immeubles préexistants régulièrement édifiés et détruits depuis moins de dix ans ; que, dans ces conditions, la société requérante est fondée à soutenir, contrairement à ce qu’ont estimé les premiers juges, que le règlement et la délimitation des zones UK2 approuvés par la délibération en litige sont incompatibles avec les dispositions précitées de l’article L. 146-4 III du code de l’urbanisme interdisant toutes constructions ou installations dans une bande de cent mètres de la limite du rivage de la mer ; »

 

Cette décision fait écho à de nombreuses décisions déjà rendues sur cette question : en effet, les juridictions administratives se montrent toujours très sévères lorsque le principe d’inconstructibilité dans la bande littorale des cent mètres est en cause (voir par exemple : CAA Lyon, 29 juin 1993, n° 92LY01477 ; CE, 20 oct. 1995, n° 151282 ; CAA Nantes, 30 avr. 2014, n° 12NT02766 ; CE, 21 mai 2008, n° 297744). Le Conseil d’Etat avait ainsi, en 2008, considéré que celui-ci s’applique même aux changements de destination des constructions (CE, 8 oct. 2008, n° 29346).