Le champs électromagnétique d’une nouvelle ligne THT n’affecte pas la vie privée et familiale ou le domicile des tiers

Par Mathieu DEHARBE (Juriste chez Green Law Avocats) et Maître David DEHARBE (Avocat associé)

Dans sa décision rendue dans deux affaires (CEDH, requêtes n°41892/19 et 41893/19, 7 juillet 2022, téléchargeable ci-dessous) , la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) déclare mal fondées, à l’unanimité, les requêtes de riverains s’opposant à un projet de remplacement d’une ancienne ligne électrique existant entre les communes d’Avelin et de Gravelle dans la région Nord Pas-de-Calais.

Pour mémoire après que le Conseil d’État rejette leur recours dirigé contre l’arrêté ministériel déclarant le projet d’utilité publique, les riverains saisissent la CEDH en se prévalant d’une violation de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH), en particulier son article 2 (droit à la vie) et son article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile).

Sur le fondement des stipulations précitées, les requérants soutiennent que le projet fait peser un risque sur la santé des riverains du fait des champs magnétiques engendrés et affectera la jouissance de leur domicile.

Au regard de la jurisprudence de la CEDH, les stipulations de l’article 8 de la CESDH s’appliquent lorsqu’une personne est exposée à une pollution ou une nuisance ayant une répercussion
directe et grave sur sa vie privée, sa vie familiale ou son domicile (CEDH, Hardy et Maile, 14 février 2012, n°31965/07, § 187-188).

Également et selon une jurisprudence constante de la Cour, ces mêmes stipulations s’appliquent en cas de danger environnemental lorsque les effets dangereux d’une activité auxquels un individu risque d’être exposé ont été déterminés dans le cadre d’une procédure d’évaluation de l’impact sur l’environnement, de manière à établir un lien suffisamment étroit avec sa vie privée et familiale ou son domicile (CEDH, Taşkın et autres c. Turquie, n°46117/99, 10 novembre 2004, § 112-113 ; CEDH, Hardy et Maile, 14 février 2012, n°31965/07, § 189-192 ; CEDH, Cordella et autres c. Italie, n°54414/13 et 54264/15, 24 janvier 2019, § 157 et 172) même lorsque l’activité dangereuse est encore à l’état de projet (CEDH, Hardy et Maile, 14 février 2012, n°31965/07).

Pour autant en se fondant sur cette jurisprudence établie, la Cour observe que les requérants ne se plaignent pas des effets environnementaux d’une infrastructure existante mais des effets qu’aurait une ligne à très haute tension (THT) en projet, destinée à remplacer la ligne THT actuelle (CEDH, Thibaut c. France, 7 juillet 2022, requêtes n°41892/19 et 41893/19, §39).

Quant au danger environnemental que représenterait le projet de ligne THT, la Cour relève que les requérants font essentiellement valoir que l’exposition aux champs électromagnétiques générés par les lignes THT augmente les risques de leucémie infantile (CEDH, 7 juillet 2022, requêtes n°41892/19 et 41893/19, §40).

Concernant les données scientifiques sur l’impact des champs électromagnétique des ligne THT, la Cour et le Conseil d’État constatent que plusieurs études concordantes avaient, malgré leurs limites, mis en évidence une corrélation statistique significative entre le facteur de risque invoqué par les requérants et l’occurrence de leucémie infantile supérieure à la moyenne (CE, 19 octobre 2018, req n°411536, § 14 ; CEDH, Thibaut c. France, 7 juillet 2022, requêtes n°41892/19 et 41893/19, §41).

Sur ce point, les deux Hautes juridictions en déduisent que l’existence d’un tel risque devait être regardée comme une hypothèse suffisamment plausible en l’état des connaissances scientifiques pour justifier l’application du principe de précaution (CE, 19 octobre 2018, req n°411536, §6 ; CEDH, 7 juillet 2022, requêtes n°41892/19 et 41893/19, §41).

D’ailleurs, la Cour rappelle que des lignes directrices publiées par la commission internationale de protection contre les rayonnements non ionisants que les études épidémiologiques montraient que l’exposition quotidienne à un champ magnétique de faible intensité (supérieur à 0,3-0,4 microteslas) était associée à un risque accru de leucémie infantile établi (CEDH, Calancea et autres c. République de Moldova, 6 février 2018, n°23225/05, § 19 ; CEDH, 7 juillet 2022, requêtes n°41892/19 et 41893/19, §42).

De même, la CourEDH mentionne que le Centre international de recherche sur le cancer avait classé ces champs magnétiques comme probablement cancérigènes pour l’homme, sans établir un lien de causalité entre les champs magnétiques et la leucémie infantile ou d’autres effets à long terme (CEDH, Calancea et autres c. République de Moldova, 6 février 2018, n°23225/05, § 19 ; CEDH, 7 juillet 2022, requêtes n°41892/19 et 41893/19, §42).

En l’espèce, la Cour remarque que les requérants sont adultes, qu’ils n’indiquent pas s’il y a des enfants dans leur foyer, et que leur domicile ne se trouve pas à proximité immédiate du tracé du projet mais à un peu plus de 115 mètres (CEDH, 7 juillet 2022, requêtes n°41892/19 et 41893/19, §43).

Par ailleurs, les requérants ne produisent aucun élément dont il ressortirait que la réalisation du projet les exposerait à un champ électromagnétique excédant des normes internes ou internationales (CEDH, 7 juillet 2022, requêtes n°41892/19 et 41893/19, §44).

Enfin, les requérants n’étayent pas leurs allégations relatives au risque auquel ils seraient personnellement exposés pour contester la solution du Conseil d’État considérant : qu’« il ne ressort[ait] pas des pièces du dossier que le projet litigieux soit de nature à entraîner une augmentation significative et durable du champ électromagnétique aux abords de la ligne », et que « les mesures prises [par le maître d’ouvrage] ne [pouvaient] être regardées comme manifestement insuffisantes au regard de l’objectif consistant à parer à la réalisation du dommage susceptible de résulter de l’exposition résiduelle à des champs électromagnétiques de très basse fréquence » (CE, 19 octobre 2018, req. n°411536, §15).

Dans ces conditions, la Cour juge que le grief de l’article 8 de la CESDH est manifestement mal fondé, en ce que les requérants ne démontrent pas que la réalisation du projet de ligne THT les exposerait à un danger environnemental tel que leur capacité à jouir de leur vie privée et familiale ou de leur domicile en serait directement et gravement affectée (CEDH, 7 juillet 2022, requêtes n°41892/19 et 41893/19, §47 et 48).