Natural grass exclamation markDura lex, sed lex…

L’arrêt de la Cour administrative d’appel de DOUAI du 23 janvier 2014 rappelle le caractère sévère des dispositions réglementaires prévoyant qu’en cas de conclusions défavorables du commissaire enquêteur, l’organe délibérant de la collectivité ou de l’établissement public de coopération intercommunale portant le projet doit prendre une délibération motivée réitérant la demande d’autorisation ou de déclaration d’utilité publique (CAA Douai 23 janvier 2014, commune de Creil, n°12DA01292).

Rappelons que lorsqu’à l’issue d’une procédure d’enquête publique environnementale, le commissaire-enquêteur assortit son avis d’une ou plusieurs réserves et qu’il s’avère que l’une au moins de ces réserves n’a pas été levée, son avis est alors regardé comme étant défavorable (CE 13 juillet 2007, société carrières et matériaux, rec. p. 972 ; CE 19 mars 2008, ministre des transports, rec. p. 852-973). Cette solution jurisprudentielle est également appliquée avec constance par le Conseil d’Etat lorsqu’il est conduit à se prononcer sur le sens des conclusions rendues par un commissaire enquêteur dans le cadre d’une procédure d’enquête régie par le code de l’expropriation pour cause d’utilité publique. A titre d’exemple, lorsque le commissaire enquêteur subordonne son avis favorable à la réalisation d’une ou plusieurs conditions et que l’une au moins de ces conditions n’est pas satisfaite, l’avis est alors considéré comme étant défavorable (CE 28 novembre 1980, ville de Chamonix et a., rec. p. 452 ; CE 29 décembre 1999, Ville de Toulon, req. no 186915).

Que ce soit en matière d’enquête publique environnementale ou en matière d’enquête publique régie par le code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, le sens des conclusions du commissaire enquêteur ne lie pas l’autorité compétente pour prendre la décision (à titre d’exemple : CE 29 avril 1998, association « Val d’Oise Environnement », req. n° 188678 : pour une enquête publique « loi sur l’eau » ; CAA Nancy 11 février 2010, M. Jean-Marie C, req. n° 09NC00474 : pour une enquête publique consécutive à la révision d’un document d’urbanisme).

Pour autant, le caractère défavorable des conclusions rendues par le commissaire enquêteur n’est pas dépourvu d’incidences sur un plan juridique.

  • Ainsi, en matière d’enquête publique environnementale, outre le fait qu’il conditionne en partie la recevabilité du référé-suspension d’une décision prise sur conclusions défavorables du commissaire-enquêteur (dit référé semi automatique), il oblige l’organe délibérant de la collectivité ou de l’établissement public de coopération intercommunale portant le projet à prendre une délibération motivée réitérant la demande d’autorisation ou de déclaration d’utilité publique (cf., article 123-16 du code de l’environnement).
  • Dans le droit de l’expropriation pour cause d’utilité publique, on trouve un dispositif de « réitération » analogue. Précisément, l’article R. 13-11 du code de l’expropriation dispose que « si les conclusions du commissaire enquêteur ou de la commission d’enquête sont défavorables à l’adoption d’un projet, le conseil municipal est appelé à émettre son avis par une délibération motivée dont le procès-verbal est joint au dossier transmis au sous-préfet ; celui-ci transmet ensuite l’ensemble des pièces au préfet, avec son avis. Faute de délibération dans un délai de trois mois à compter de la transmission du dossier au maire, le conseil municipal est regardé comme ayant renoncé à l’opération ».

Dans l’arrêt commenté, la Cour administrative d’appel de Douai a appliqué ces dispositions avec une logique implacable, ce qui l’a conduite à valider le jugement d’annulation de l’arrêté déclarant l’utilité publique du projet.

A cet égard, et tout d’abord, la Cour s’est inscrite dans le droit fil de la jurisprudence précitée du Conseil d’Etat en jugeant que « le commissaire enquêteur, appelé à se prononcer sur l’opération engagée par la commune de Creil et le projet de déclaration d’utilité publique soumis à enquête publique, a expressément subordonné le caractère favorable de son avis à la réalisation de trois conditions ; qu’il ne ressort pas des pièces du dossier, et il n’est pas allégué, qu’à la suite de la transmission du dossier du commissaire enquêteur à la commune, cette collectivité aurait satisfait l’intégralité des conditions posées par le commissaire enquêteur » (CAA Douai 23 janvier 2014, commune de Creil, précité ; considérant n° 2). Ainsi, les conclusions favorables sous réserves sont assimilées, en l’espèce, à des conclusions défavorables.

Tirant les conséquences du caractère défavorable des conclusions du commissaire enquêteur, la Cour a ensuite constaté que la commune portant le projet n’avait pas émis d’avis par une délibération motivée sur ces conclusions dans le délai de trois mois exigé par le dernier aliéna de l’article R. 11-13 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique. Elle en a déduit que la commune était réputée avoir renoncé à l’opération lorsque le préfet a pris l’arrêté déclarant cette opération d’utilité publique, qui était donc illégal.

Soulignons qu’au cas particulier, la commune avait pris une délibération décidant de la poursuite de l’opération, mais au-delà du délai de trois mois imparti par l’article R. 11-13 du code de l’expropriation. Dans ces conditions, elle ne pouvait être regardée comme ayant satisfait à l’obligation édictée par ces dispositions (dans le même sens : CAA Marseille 23 mai 2004, commune de Bouillargues, req. n° 99MA02339 et 99MA02384).

Auparavant, la Cour administrative d’appel de Douai avait rejeté la demande de sursis à exécution du jugement d’annulation de l’arrêté préfectoral prononcé par le Tribunal administratif d’Amiens (CAA Douai 12 mars 2013, commune de Creil, req. n° 12DA01292 en jugeant que « le moyen soulevé par la commune de Creil, tiré de ce que les conditions fixées par le commissaire enquêteur ne remettaient pas en cause son avis sur l’utilité publique du projet, cet avis devant être considéré comme favorable, ce qui dispensait la commune de devoir délibérer dans les trois mois, ne paraît pas, en l’état de l’instruction, sérieux et de nature à justifier, outre l’annulation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d’annulation accueillies par ce jugement ».

Dura lex, sed lex

Yann BORREL

Green Law Avocat