Méthanisation : les jurisprudences de 2020 s’affinent en matière de permis de construire et d’ICPE

Par Stéphanie Gandet, avocat associé, spécialisée en droit de l’environnement

L’année sur le point de s’écouler a donné lieu à plusieurs décisions juridictionnelles intéressantes pour la filière biogaz, de plus en plus l’objet de recours contre les permis de construire et les titres en matière d’installations classées (déclaration, enregistrement et autorisations ICPE)…

….et ce alors même que selon l’ADEME à l’horizon 2030, les quantités de biométhane injectées dans le réseau de gaz naturel pourraient représenter 14 % de la consommation de gaz.

Le développement est donc important et représente de réelles opportunités pour le monde agricole mais aussi industriel.

Fortement impliqué en faveur des porteurs de projet, avec le souci du sérieux dans les dossiers réglementaires, le cabinet les défend actuellement contre une cinquantaine de recours.

Des jurisprudences avec un écho médiatique variable

Comme souvent, dans le bruit médiatique on a tendance à davantage entendre les décisions négatives que les décisions positives, qui sont pourtant nombreuses.

Ainsi, le jugement du Tribunal administratif de Limoges du 12 novembre 2020 « LIMOUSIN NATURE ENVIRONNEMENT » qui a été largement diffusée par certains groupes est en soi une décision intéressante mais isolée, qui ne créé pas de jurisprudence générale qui s’appliquerait aux autres dossiers, puisqu’il s’agit d’une décision (i) fondée sur des textes qui ne sont plus en vigueur, (ii) après une analyse au cas par cas du TA de Limoges qui ne trouverait pas à être dupliquée partout.

Un tel jugement ne peut donc occulter les méthodologies précises mises en œuvre par d’autres juridictions, dont des juridictions d’appel sur des sujets souvent soulevés en matière de projets biogaz.

Panorama de décisions intéressantes pour la filière biogaz en 2020

Ci dessous est présenté un panorama des décisions marquantes cette année en matière de :

  1. Recours contre les autorisations environnementales d’unité de méthanisation;
  2. Recours contre les arrêtés d’enregistrement ICPE;
  3. Recours contre les permis de construire;
  4. Référé suspension contre un arrêté d’enregistrement (destiné à en suspendre les effets)

Ces décisions s’inscrivent dans la même lignée jurisprudentielles déjà commentée en 2019 (voir notre analyse ici).

Rejet d’un référé suspension destiné à stopper les travaux d’une unité de méthanisation (jurisprudence cabinet)

Le juge des référés, saisi en urgence par les requérants, a été amené à trancher des questions relatives au risque de pollution (TA Toulouse, 23 septembre 2020, n°2003620, ordonnance définitive).

Le juge des référés était saisi d’une demande de suspension d’un arrêté d’enregistrement d’exploiter une unité de méthanisation  (porté par un collectif agricole).

Il a rejeté successivement chaque argument.

  • Ainsi, s’agissant de l’existence d’une source ou d’un cours d’eau, le juge des référés du Tribunal se fonde sur les pièces techniques produites et ne se contente pas d’allégations des requérants pour déterminer si la distance réglementaire est respectée et pour évaluer le risque environnemental.

Précisément, une différence est opérée entre un cours d’eau et un drain agricole enterré.

Cette décision illustre également l’importance des engagements pris par l’exploitant en matière de mesures de maîtrise des risques (maintien de drains, création d’une noue d’infiltration).

  • Un argument classique des requérants est relatif à la décision de ne pas basculer un dossier d’enregistrement en autorisation.

Dans l’espèce tranchée à Toulouse, le juge considérant finalement que le Préfet n’a pas commis d’illégalité manifeste en ne décidant pas de basculement en autorisation au regard de plusieurs éléments

Il est intéressant de noter que le juge a notamment estimé que « si 9,5 hectares, soit 0.8% des surfaces d’épandage, sont situés dans le périmètre de protection rapprochée d’un captage, les arrêtés préfectoraux définissant ces périmètres et les activités prohibées ou encadrées sur ces surfaces n’interdisent pas les épandages agricoles et les parcelles en cause font déjà l’objet d’épandages de lisiers ou de fumiers non traités. »

Les projets portés par plusieurs agriculteurs donnent souvent lieu à une assistance d’un AMO commun et sont, étrangement, attaqués comme étant « un seul projet ». Mais sur cet argument là aussi, le juge des référés au TA de Toulouse a écarté l’argument en retenant que la simple proximité et une AMO commune ne rendait pas les projets « unique » et ne rendait pas nécessaire une autorisation environnementale pour l’ensemble des projets.

  • Enfin, sur le contenu du dossier d’enregistrement, l’ordonnance de référé souligne que :

«  la production journalière de biogaz n’a pas à être précisée dans le dossier d’enregistrement avant mise en service de l’installation, […]

la production d’un inventaire faunistique ou floristique n’est pas exigée dans le cadre d’un dossier d’enregistrement ».

Rejet d’un recours contre une autorisation environnementale (CAA Nantes, n°18NT03612, 7 février 2020jurisprudence cabinet)

La CAA de NANTES (CAA Nantes, n°18NT03612, 7 février 2020) a aussi confirmé la légalité d’une une autorisation unique valant autorisation d’exploiter et permis de construire une unité de méthanisation industrielle

Les juges d’appel ont confirmé le premier jugement obtenu en rejetant les arguments relatifs

  • à l’impact sur les zones Natura 2000 en retenant que :

« S’il est fait état d’une possible dégradation de ces habitats par le projet en litige, la note examine ensuite les mesures prises pour éviter toute détérioration en ce qui concerne les rejets aqueux, les déversements accidentels, les rejets atmosphériques et, enfin, l’ensemble des déchets générés par la nouvelle unité de méthanisation. Elle conclut, alors que l’ensemble des rejets liés au projet sera maîtrisé et compte tenu de la distance séparant le site Natura 2000 de l’emprise du projet en litige, que « les incidences directes et indirectes permanentes liées à la destruction et l’altération des habitats communautaires de la ZSC xxxx peuvent donc être considérées comme non significatives »

  • l’impact environnemental et la nécessité de consulter le CNPN est aussi analysé précisément par les juges d’appel qui s’attachent à vérifier la probabilité et la gravité des impacts, en tenant compte des mesures prises par l’exploitant.

  • la suffisance de l’étude d’impact relative au projet de méthanisation a été analysée sous plusieurs angles, notamment la présence éventuelle de nappes d’eau souterraines et de source dont l’existence ne peut être établie par un sourcier (téléradiesthésie) alors qu’un bureau d’études a analysé techniquement le site (sujet récurrent…) :

« Si les requérants produisent, en appel, des « éléments complémentaires » puis trois addendum rédigés par leurs soins selon lesquels la source à proximité du projet ne serait pas visible dès lors qu’elle a fait l’objet d’un busage, ils n’apportent au soutien de leur allégation aucun élément de nature à en établir le bien-fondé. L’existence de cette source ne saurait résulter des seules déclarations d’un sourcier se présentant comme « M. X » ou d’annotations sur des cartes de ce « M. X » ou d’une autre personne se présentant comme ayant effectué une analyse par téléradiesthésie. De même, M. P… et autres ne sauraient se prévaloir de l’analyse de l’hydrogéologue qui ne porte pas sur le site d’implantation du projet mais sur deux étangs qui seraient alimentés par des eaux souterraines, ce qui n’est pas de nature à établir l’existence de la source alléguée par les requérants à proximité immédiate du site. Dans ces conditions, il y a lieu d’écarter le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article 4 de l’arrêté du 10 novembre 2009 ».

  • la suffisance des prescriptions en matière de plan d’épandage est analysée par les juges d’appel qui retiennent l’exclusion de certaines zones située en captages AEP, les périodes et distances d’épandage (« Des dispositions particulières aux modalités d’épandage de certaines parcelles agricoles, citées à l’article II. 6.2.5, sont, en outre, prévues afin de limiter les risques de transfert d’azote vers les ressources en eau.« ).

Rejet contre une autorisation environnementale d’une unité de méthanisation (CAA Nantes, n° 18NT04486, 13 mars 2020)

La même Cour à Nantes a confirmé l’analyse faite par les premiers juges qui avaient jugé légale une autorisation environnementale portant sur une unité industrielle (CAA Nantes, n° 18NT04486, 13 mars 2020, jurisprudence cabinet définitive).

Il en ressort que:

  • l’avis du CODERST n’a pas à être motivé ;
  • les capacités techniques et financières de l’exploitant sont appréciées au cas par cas, selon les pièces complémentaires fournies devant le juge administratif.
  • l’étude de dangers est suffisante, dès lors que : « Cette étude de danger comportait notamment une analyse des risques fondée sur une méthodologie adéquate. A cet égard, contrairement à ce que soutiennent xxxx, la notion de « barrières de protection », utilisée par cette analyse pour classer les scénarios d’accidents majeurs, était explicitée aux pages 272 à 279 du dossier de demande, lesquelles permettaient de justifier en quoi ces barrières pouvaient réduire la probabilité d’accident. Par ailleurs, il ressort de cette étude que les scénarios d’accidents majeurs, identifiés de façon pertinente, excluent que les effets des dangers identifiés excèdent l’emprise du site. Dans ces conditions et compte-tenu de sa localisation à plus de 300 mètres des principales installations de l’usine de méthanisation, l’existence de la route nationale n°12, sur laquelle circulent plus de 30 000 véhicules par jour, n’avait pas nécessairement à être prise en compte par l’étude de dangers. »

Rejet d’un recours un arrêté de permis de construire (CAA Bordeaux 2 juillet 2020)

Dans un dossier où le permis de construire était contesté, la CAA de Bordeaux (CAA Bordeaux, 2 juillet 2020, n°18BX04317) a rejeté l’argument de tiers soutenant que « l’installation de méthanisation projetée serait disproportionnée pour traiter les seules déjections du cheptel exploité par le GAEC », puisque cela ne suffit pas à démontrer (si cela était établi) en quoi le Préfet a été induit en erreur :

« Il ne ressort pas des pièces du dossier de demande de permis de construire que l’installation projetée serait de nature à avoir des conséquences dommageables pour l’environnement. En se bornant à faire valoir que l’installation de méthanisation projetée serait disproportionnée pour traiter les seules déjections du cheptel exploité par le GAEC xxxx, les requérantes ne mettent pas à même la cour d’apprécier dans quelle mesure l’absence de précision sur les éventuelles importations de produits provenant d’autres exploitations aurait faussé l’appréciation de l’autorité administrative quant aux impacts du projet sur l’environnement. »

Rejet d’un recours contre un arrêté d’enregistrement ICPE d’une unité de méthanisation agricole (TA Rennes, 19 novembre 2020, jurisprudence cabinet)

Le Tribunal administratif de Rennes a rejeté un recours d’une SCI et d’un particulier contre un arrêté d’enregistrement ICPE (jugement n°1900032 du 19 novembre 2020) et a donné d’intéressants éclairages sur les points suivants.

  • Tout d’abord, la demande d’enregistrement n’a pas à faire l’objet d’un basculement en procédure d’autorisation, en fonction de la sensibilité du milieu et de la localisation du projet.

Le Tribunal valide ici la décision du Préfet de ne pas basculer, en dépit du fait que l’unité est à 370 mètres en contrebas d’un château, classé monument historique, compte tenu d’un 2nd avis favorable de l’ABF, de l’absence de preuve d’impact visuel et du fait qu’en plus des obstacles végétaux existants et des prescriptions de l’architecte des bâtiments de France, l’exploitant prévoit d’implanter des haies et talus arborés à proximité de l’installation pour permettre une meilleure intégration paysagère.

La proximité avec des zones Natura 2000 et le classement de certaines parcelles d’épandage en zone vulnérable à la pollution des nitrates d’origine agricole sont analysés et ne sont pas vus comme suffisants pour rendant nécessaire un basculement :

  • Le site de méthanisation est à 2,8km de la zone Natura 2000 ;
  • Les parcelles d’épandages sont à 100 mètres d’une telle zone mais l’exploitant que nous avions défendu a produit un porter  à connaissance démontrant l’absence d’impact possible sur la Natura 2000 « compte tenu notamment de la circonstance que le projet est implanté sur un site qui exploite déjà un élevage et produit des substrats de types fumier et lisier, stockés sur place, et que l’unité de méthanisation qui ne doit engendrer ni nuisances sonores, ni nuisances olfactives supplémentaires, retraitera les substrats existants » ;
  • La seule proximité avec une rivière et d’une zone inondable ne suffit pas à caractériser une sensibilité du milieu ;
  • Si la commune d’implantation est également classée en zone vulnérable à la pollution des nitrates d’origine agricole et en zone d’action renforcée au titre du programme d’action régional de protection des eaux contre les nitrates d’origine agricole, ces seules circonstances ne permettent pas, par elles-mêmes, de caractériser une sensibilité environnementale de ce secteur au regard de l’activité de méthanisation de l’exploitant.
  • Ensuite, le fait que l’unité de méthanisation soit à proximité d’un élevage ne suffit pas en soi pour justifier un basculement en autorisation au titre du « cumul des incidences » (qui est l’un des 3 cas où le basculement d’un dossier en enregistrement peut être justifié en autorisation).
  • Par ailleurs, le Tribunal se prononce aussi sur la conformité à l’arrêté ministériel de prescriptions en jugeant que

« aucune disposition de l’arrêté du 12 août 2010 n’impose de contrôler la teneur des autres gaz produits par les unités de méthanisation et la composition des fumées issues de la cogénération émises dans l’air. La hauteur prévue de la cheminée d’évacuation des gaz produits est, par ailleurs, suffisante pour favoriser la dispersion des gaz rejetés. Dès lors, le moyen tenant au respect des exigences de l’arrêté du 12 août 2010 relatives à la composition du biogaz et la prévention de son rejet dans l’air doit être écarté. « 

  • enfin, s’agissant des contrôles de pathogène dans le digestat avant épandage, le Tribunal a fait droit à notre argumentaire, en jugeant que :

« Si les requérants soutiennent que s’agissant de la caractérisation de la valeur ergonomique des digestats, l’exploitant se contente de prévoir le contrôle avant épandage des seules bactéries Escherichia coli ou Enterococcaceae et Salmonella mais pas d’une éventuelle contamination par le Clostridium perfringens, qui constitue pourtant un risque pathogène connu, les dispositions de l’arrêté du 12 août 2010 susvisé n’imposent pas davantage de procéder à un tel contrôle ».

Jurisprudence confirmant que les installations de production de biogaz sont des installations d’intérêt collectif

Comme en 2019, il a été confirmé en appel (CAA Bordeaux, 5e ch., 9 juill. 2020, n° 18BX03330) que produisant de l’énergie de source renouvelable destinée au réseau public, les installations de production de biogaz sont des installations « nécessaires à des équipements collectifs » même si la chaleur peut être utilisée pour chauffer le digesteur:

« Il ressort des pièces du dossier que l’électricité produite grâce au processus de méthanisation sera revendue à Electricité de France pour une vente au public, ainsi que l’a relevé le préfet dans l’arrêté en litige. Dès lors, eu égard à ses caractéristiques et à la finalité de satisfaction d’un besoin collectif qu’elle poursuit, l’unité de méthanisation constitue une installation nécessaire à des équipements collectifs au sens des dispositions citées au point précédent, ainsi que le soutient le ministre dans sa requête. La circonstance que la chaleur également produite par l’unité sera intégralement utilisée pour le chauffage du digesteur et pour le séchoir à fourrages est à cet égard sans incidence. Il ne ressort d’aucune des pièces du dossier qu’elle serait incompatible avec les activités agricoles de l’unité foncière ou qu’elle porterait atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages, en particulier la ZNIEFF xxx située à 200 mètres et le site inscrit du bourg de la commune situé à 600 mètres. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que le projet porterait atteinte à une aire de loisir située à proximité à la date de l’arrêté en litige. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que le projet rejetterait des effluents susceptibles de rejoindre la nappe phréatique et les cours d’eau environnants.«