3D - ImmigrationLa réforme opérée par l’ordonnance n°2013-638 du 18 juillet 2013 a notamment introduit la possibilité pour une personne (particulier mais surtout personne morale), de solliciter la condamnation d’un requérant ayant intenté un recours abusif à des dommages et intérêts. Le nouvel article L600-7 du code de l’urbanisme prévoit dorénavant que :

« Lorsque le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager est mis en œuvre dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant et qui causent un préjudice excessif au bénéficiaire du permis, celui-ci peut demander, par un mémoire distinct, au juge administratif saisi du recours de condamner l’auteur de celui-ci à lui allouer des dommages et intérêts. La demande peut être présentée pour la première fois en appel.

Lorsqu’une association régulièrement déclarée et ayant pour objet principal la protection de l’environnement au sens de l’article L. 141-1 du code de l’environnement est l’auteur du recours, elle est présumée agir dans les limites de la défense de ses intérêts légitimes. »

La décision rendue par la Cour administrative d’appel de Marseille le 20 mars 2014 fait partie des premières décisions de fond rendues sur cette question, après que la Cour ait rejeté la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par le requérant à l’encontre de ces dispositions.

En l’espèce, une société en nom collectif (SNC) ayant obtenu un permis de construire pour avait fait l’objet d’une plusieurs recours de particuliers voisins mais aussi de sociétés commerciales implantées dans le voisinage. Dans l’instance n°13MA02236, c’est l’une des personnes physiques requérantes qui avait vu sa demande de première instance rejetée pour absence d’intérêt à agir contre le permis de construire obtenu.

En appel, la SNC demandait évidemment la confirmation de cette décision, mais sollicitait également que le requérant soit condamné à des dommages et intérêts, et invoquait à ce titre le nouvel article L 600-7 du code de l’urbanisme.

Sentant probablement le vent tourner, le requérant souleva une question prioritaire de constitutionnalité à l’encontre du texte, qu’il estimait contraire à l’article 38 de la Constitution, et à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Sur ce point, la Cour administrative d’appel rejette la QPC en l’estimant dénuée de sérieux car elle considère, « d’une part, que la loi du 1er juillet 2013 sert de fondement à l’ordonnance susvisée du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme dont est issu l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme ; que, dès lors, les dispositions de la loi du 1er juillet 2013 ne sont pas directement applicables au litige ; que ces dispositions, d’autre part, en se bornant à habiliter le Gouvernement à adopter des mesures de nature législative pour accélérer les projets de construction, ne sont pas de nature, par elles-mêmes, à porter atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit ; que, par suite, la question soulevée par M. C… ne présente pas un caractère sérieux ; qu’il n’y a donc pas lieu de la transmettre au Conseil d’Etat ; ».

Ainsi rédigée, cette motivation ne semble pas totalement fermer la porte à une QPC soulevée dans d’autres contentieux…

Une fois la QPC rejetée, la Cour a ensuite analysé la demande indemnitaire.

  • Il a tout d’abord tranché une question qui se pose systématiquement dans les litiges en cours lors de l’entrée en vigueur de la réforme du contentieux de l’urbanisme par ordonnance du 18 juillet 2013 (voir notre analyse à ce sujet), en estimant que « les dispositions de l’article L.600-7 du code de l’urbanisme n’ont pas eu pour objet et ne sauraient avoir pour effet d’affecter le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager ; qu’ainsi, en l’absence de dispositions expresses contraires dans l’ordonnance susvisée du 18 juillet 2013, elles sont applicables aux litiges en cours à la date d’entrée en vigueur de ces dispositions ; »
  • Sur le fond, la demande de dommages et intérêts a cependant été rejetée pour défaut de lien de causalité. La Cour a retenu que le permis ayant fait l’objet de plusieurs recours par d’autres requérants, le préjudice subi par la SNC, probablement promoteur immobilier au vu des chefs de préjudices allégués, n’était pas « directement causé » par ce particulier. On ne doute pas cependant que le préjudice ait pu être réalisé, mais encore faut il que le requérant auteur d’un recours abusif au sens du L 600-7 (c’est à dire excédant la défense de son intérêt légitime et causant un préjudice excessif au bénéficiaire du permis) en soit à l’origine. En l’espèce, il y a malheureusement une multiplicité des causes, conduisant paradoxalement à ce que le promoteur ne soit pas indemnisé…:

« Considérant que la SNC ….fait valoir que le recours de M. C… a eu pour effet de reporter la réalisation du projet et pour conséquence le désistement de 132 clients réservataires, que l’ensemble immobilier en cause est un projet d’envergure dont le chiffre d’affaires s’élève à 90 millions d’euros et que, dans ces circonstances, le recours a engendré un préjudice financier que la SNC évalue à la somme de 3 860 723 euros ; que, toutefois, ainsi que le soutient le requérant, le permis de construire attaqué a fait l’objet d’autres recours, dont un a fait l’objet d’un arrêt de la Cour en date du 31 octobre 2013 et trois de jugements du tribunal administratif de Marseille en date du 13 février 2014 ; qu’ainsi, les préjudices allégués par la SNC ne sont pas uniquement imputables au recours de M. C… ; que le lien de causalité n’est, dès lors, pas établi entre ce dernier et le préjudice du bénéficiaire du permis ; que, par suite, les conclusions à fin d’allocation de dommages et intérêts présentées par la SNC …..doivent être rejetées ; »

Les parties à un litige en matière d’urbanisme devront donc se garder d’avoir à recourir à ce type de demande indemnitaires lorsque plusieurs requérants s’attaquent à une même décision. Le juge civil pourrait s’avérer plus sensible aux préjudices économiques et commerciaux d’une société, dans un second temps, et une fois l’ensemble des recours rejetés….

Mais cela ne nous empêche pas de dissuader le recours à ce type de menace qui s’avèrent dorénavant systématique en cas de recours contre un permis de construire alors que là n’est pas son objet.

Stéphanie Gandet- avocat associé

Green Law Avocat