Urgence climatique et éolien : la CAA de Nancy sauve la filière bois !

Par Maître Lou DELDIQUE, avocat associé, lou.deldique@green-law-avocat.fr

Le juge des référés de la Cour administrative d’appel de Nancy vient de rendre une décision (CAA Nancy, ord. réf., 19 janvier 2021, n°20NC03078), qui marquera sans nul doute un tournant dans la jurisprudence éolienne :

En effet, après plusieurs tentatives vaines, le cabinet Green Law Avocats a plaidé avec succès devant le juge des référés de la CAA de Nancy un projet éolien particulièrement novateur et vertueux de la société InnoVent. Opérateur éolien bien connu en France, pour avoir permis à ce jour la production de 1000 GWH par an d’électricité renouvelable sur le territoire national, InnoVent développe depuis 2016 un projet d’éoliennes dotées de mâts en bois.

Outre son caractère novateur, le recours au bois dans la fabrication des éoliennes présente de multiples avantages : appel à un savoir-faire national, en collaboration avec la filière bois française, division drastique des émissions de CO2 (normalement nécessaire à la production de béton,  qui est ici divisée par 10,  et d’acier, ici divisée par 2), etc.

Pour donner un ordre d’idées le projet jugé par la CAA de Nancy promet de faire une économie en émission de GES équivalente à 1000 A/R Paris New-York en avion par rapport à des mâts aciers ! L’éolien industriel traditionnel qui constitue déjà par définition une énergie renouvelable, en étant adossée à la filière bois ferait en plus de ses aérogénérateurs des puits carbone !

Compte-tenu de l’importance de la filière bois dans la région Grand-est, l’opérateur a choisi d’installer ses premières éoliennes dotées de mâts 100 % bois en Haute-Marne. Elle a donc demandé au préfet d’autoriser la modification de son projet d’Essey-les-Ponts en conséquence, et a obtenu le permis de construire modificatif nécessaire en mars 2017.

Toutefois, fin 2018, après avoir rencontré de nombreuses difficultés techniques et opérationnelles, la société INNOVENT s’est vu contrainte de renoncer aux modèles initialement envisagés et d’installer des mâts hybrides bois/acier.

Elle a donc de nouveau demandé au préfet de la Haute-Marne d’autoriser les modifications relatives à la structure du mât de ses éoliennes.

Or l’État a cette fois :

  • Considéré que la modification présentait un caractère substantiel en raison de son impact paysager, puisque les mâts hybrides risquaient selon le service instructeur de créer un effet d’incohérence avec les mâts en acier traditionnels déjà construits sur le même site ;
  • Et donc refusé de donner acte du porter à connaissance (effectué cette fois sous le régime des ICPE, puisqu’entre-temps la loi n° 2018-727 du 10 août 2018, dite « loi ESSOC », avait modifié l’article 15 de l’ordonnance n°2017-80 du 26 janvier 2017 relative à l’autorisation environnementale de manière à faire entrer les éoliennes autorisées par un permis de construire et bénéficiant de l’antériorité ICPE dans le régime de l’autorisation environnementale lorsqu’elles sont modifiées ; voir aussi : CE, 14 juin 2018, n°409227).

C’est la décision qui était contestée devant la Cour administrative d’appel de Nancy et dont la suspension était demandée au juge des référés.

En effet, le retard pris dans le développement du projet exposait la SPV porteuse du projet, la société FE SAINTE ANNE, à d’importantes conséquences économiques tenant tant aux sommes immobilisées pour la réalisation des travaux qu’à la perte de son tarif d’achat, et elle avait avait donc intérêt à ne pas attendre que le juge du fond se prononce.

Rappelons à cet égard que l’article L. 521-1 du code de justice administrative conditionne l’obtention de la suspension d’un acte administratif à deux conditions cumulatives :

  • La démonstration d’une urgence à suspendre les effets de l’acte ;
  • Et celle d’un doute sérieux quant à sa légalité.

La demande de suspension de la société FE SAINTE ANNE a toutefois d’abord été rejetée par le juge des référés, qui a, en juin 2019, considéré que la condition d’urgence n’était pas satisfaite, au motif que la requérante était responsable du retard pris dans l’avancement de son projet en changeant de stratégie technologique (CAA Nancy, ord. réf., 25 juin 2019, n°19NC01381).

Le Conseil d’Etat a alors été saisi d’un pourvoi en cassation et il a, par une décision du 19 octobre 2020 (CE, ord. réf., 19 octobre 2020, n°432575, consultable ici), cassé la première ordonnance en considérant qu’ « En se bornant à porter cette appréciation sur l’origine de la modification refusée par le préfet, sans rechercher concrètement si les effets de l’acte litigieux étaient de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l’exécution de la décision soit suspendue, le juge des référés a entaché son ordonnance d’une erreur de droit. Il en résulte, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, que l’ordonnance attaquée doit être annulée. »

C’est dans ce contexte que, renvoyée devant la Cour administrative d’appel de Nancy, l’affaire devait donc être réexaminée en janvier 2021.

Cette fois, le juge des référés a reconnu l’urgence pour les motifs suivants :

« Il ressort des pièces du dossier que l’exécution de la décision attaquée fait obstacle à la reprise des travaux d’implantation des éoliennes dont la société FE Sainte-Anne souhaite modifier les mâts et lui impose de déposer une nouvelle demande d’autorisation afin de mener à bien son projet, qu’elle risque ainsi de perdre le bénéfice de l’obligation d’achat de l’électricité produite à un tarif particulièrement favorable ; que le retard apporté à l’exploitation de ces éoliennes lui crée un préjudice économique important et retarde la mise en service d’une installation utile à la lutte contre la pollution et contre le réchauffement climatique et que la modification du projet, consistant à doter les aérogénérateurs de mâts composés à la fois de bois et d’acier, au lieu de mâts entièrement en bois comme dans le projet antérieur, n’aurait qu’un très faible impact sur le paysage. L’autorisation environnementale n’est pas devenue caduque après l’intervention de la décision en litige, dès lors que cette décision constitue un fait de l’administration qui a, en tout état de cause, interrompu le délai de caducité. Dans ces conditions et à supposer même que la société FE Sainte-Anne serait en partie à l’origine de l’urgence dont elle se prévaut, cette société justifie de l’urgence qui s’attache à la suspension de l’exécution de la décision contestée. »

Sur le doute sérieux, le juge considère que la décision contestée est manifestement illégale, notamment parce que l’importance de l’impact paysager du changement de mâts n’était pas avérée. En effet, l’opérateur avait démontré que la différence d’aspect des nouvelles éoliennes ne serait en réalité qu’à peine perceptible, puisque la base des machines sera, depuis la plupart des points de vue, masquée par la végétation et le relief du paysage. Au demeurant, ledit paysage avait déjà été jugé en 2014 comme ne présentant « aucun intérêt ou caractère particulier » par la Cour elle-même à l’occasion d’un contentieux concernant le même projet (CAA Nancy, 12 juin 2014, n°13NC01092).

Notons que ce point, s’il n’était pas évoqué dans la décision du Conseil d’Etat, l’avait en revanche été dans les conclusions du Rapporteur public, qui indiquait que : 

« Le ministre pour sa part faisait valoir un impact sur la protection des sites et des paysages, ainsi que cela résulte d’un rapport de l’inspection des installations classées en date du 23 janvier 2019 et de l’avis de l’Architecte des Bâtiments de France.

Devant vous, c’est notamment l’impact du projet de 3 éoliennes en mat hybride à coté du projet voisin de 4 éoliennes en métal qui est mis en avant.

Le mat acier a une base circulaire de 10,9 m de diamètre soit un périmètre de section de 34,25 m ; le mât hybride a une base carrée de 19.1m de côté soit un périmètre de section de 76,4 m.

L’appréciation de l’inspection, comme de celle des autres administrations consultées, se fonde uniquement sur le manque de cohérence qui résulterait de la coexistence d’éoliennes dont la base du mât serait différente. Il n’est pas évident de valider une telle position, et statuant comme juge des référés, ce point parait pouvoir justifier de regarder le moyen comme de nature à créer un doute sérieux. » (Concl. S. HOYNCK, sous CE, ord. réf., 19 octobre 2020, n°432575)

Mais ce qui doit retenir l’attention c’est la prise en compte de l’urgence climatique par le juge, qui reconnait la contribution du projet « à la lutte contre la pollution et contre le réchauffement climatique », s’inscrivant ainsi dans la continuité de récentes décisions du juge administratif sur la politique de réduction des émissions de gaz à effet de serre du Gouvernement (CE, 19 novembre 2020, n°427301, voir notre analyse ici) ou sur la qualité de l’air (TA Lille, ord. réf., 5 octobre 2018, n°1807948 ; TA Cergy-Pontoise, 6 mars 2018, n°1610910 et 1702621).

La Cour administrative d’appel de Bordeaux avait d’ailleurs récemment reconnu, à propos d’un parc éolien, « l’intérêt public qui s’attache au développement des énergies renouvelables dans le respect des objectifs chiffrés fixés notamment au plan national à l’article L. 100-4 du code de l’énergie pour répondre à l’urgence écologique et climatique » pour suspendre l’exécution d’un refus d’autorisation et délivrer une autorisation environnementale à titre provisoire (CAA Bordeaux, juge des réf., 9 janv. 2020, n° 19BX04305 ; voir a contrario : CAA Douai, 6 nov. 2019, n° 19DA02414)

Rappelons en effet que si l’urgence écologique et climatique a été reconnue par la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat qui a modifié l’article L. 100-4 du code de l’énergie, on n’a pour l’instant pas observé d’inflexion significative dans la politique de l’État en matière de développements des ENR, puisque bon nombre de préfectures persistent à refuser les projets éoliens sans même chercher à tenir compte de leur contribution à la lutte contre  le réchauffement climatique…

La prise de position du juge des référés de la CAA de Nancy est donc particulièrement opportune et doit absolument être saluée comme contribuant au développement de la filière éolienne, mais aussi de celle du bois.