Urbanisme – Recours contre l’avis négatif de l’ABF : le Conseil d’État donne le mode d’emploi (CE, 4 mai 2018, n°410790)

Sand Castle on BeachPar Maître Lou DELDIQUE, Avocat of counsel – GREEN LAW AVOCATS (lou.deldique@green-law-avocat.fr)

Par un arrêt en date du 4 mai 2018 (CE, 4 mai 2018, n°410790, consultable ici), le Conseil d’État a précisé les modalités d’exercice du recours administratif préalable obligatoire (appelé RAPO) qui doit être introduit lorsque l’architecte des Bâtiments de France (ABF) émet un avis négatif sur une demande de permis de construire.

Rappelons en effet que dans certains cas (prévus aux articles L 632-1 et suivants du code du patrimoine et R.425-1 et suivants du code de l’urbanisme) le permis de construire ne peut être délivré sans que l’ABF n’ait préalablement donné son accord (voir notamment : CAA Bordeaux, 23 mars 1998, n° 96BX02068 ; CAA Bordeaux, 12 févr. 2007, n° 04BX00894 ; CAA Bordeaux, 15 mars 2012, n° 11BX01635 ; CE, 11 mars 2009, n°307656 ; CE, 9 juill. 2010, n° 31146 ; CE, 19 février 2014, n°361769).

Dans la mesure où la décision de l’ABF lie l’autorité d’urbanisme, elle peut faire l’objet d’un recours spécifique, organisé par le code de l’urbanisme, qui prévoit que « le pétitionnaire peut, en cas d’opposition à une déclaration préalable ou de refus de permis fondé sur un refus d’accord de l’architecte des Bâtiments de France, saisir le préfet de région, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, d’un recours contre cette décision dans le délai de deux mois à compter de la notification de l’opposition ou du refus » (CU, art. R. 424-14 ; voir aussi l’art. R.423-68).

En l’espèce, l’architecte des Bâtiments de France avait émis un avis négatif sur un projet d’immeuble situé dans le champ de visibilité d’un jardin classé au titre des monuments historiques. Cet avis avait, naturellement, conduit le maire à refuser le permis de construire demandé.

Les pétitionnaires ont alors contesté la décision de l’ABF auprès du préfet de région, qui leur a demandé de lui transmettre la totalité du dossier de demande de permis de construire. Après réception du dossier complet, le préfet a confirmé l’avis défavorable de l’ABF, et le maire son refus.

En appel, il avait été jugé que la décision du préfet décision était intervenue tardivement, et qu’elle devait donc être considérée comme ayant infirmé l’avis de l’ABF :

«  Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que saisi d’un recours reçu le 12 novembre 2013 dirigé contre l’avis de l’ABF, le préfet de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur n’a pas répondu à l’issue du délai de deux mois qui lui était imparti par les dispositions précitées ; qu’aucune disposition législative ou réglementaire ne lui permettait, à cette date, de suspendre ce délai dans l’attente de la réception de pièces complémentaires ; que le délai d’instruction n’a notamment pu être ni suspendu, comme mentionné à tort par le courrier du préfet du 5 décembre 2013, ni interrompu sur le fondement des dispositions de l’article 2 du décret 2001-492 du 6 juin 2001 pris pour l’application du chapitre II du titre II de la loi susvisée du 12 avril 2000, qui n’est pas applicable, aux termes de l’article 18 de cette loi, aux demandes  » dont l’accusé de réception est régi par des dispositions spéciales  » tels que les recours administratifs prévus par l’article R. 424-14 du code de l’urbanisme ; que l’article R. 423-68 précité prévoit ainsi notamment que le préfet adresse notification du recours dont il est saisi au maire ; que, le 12 janvier 2014, à l’expiration du délai d’instruction précité, le recours de Mme F… et Mme D…contre l’avis de l’ABF doit être regardé comme ayant été admis ; que le courrier du préfet en date du 28 février 2014, selon lequel l’instruction serait suspendue dans l’attente de la réception des pièces complémentaires, n’a pu avoir pour effet de retirer cette acceptation tacite alors qu’une décision tacite accordant le permis de construire était née le 12 février 2014 du silence gardé par le maire ainsi qu’il sera dit au point 6 ; que cet avis tacite favorable s’est substitué à l’avis défavorable de l’ABF du 29 août 2013 ; […] que par suite, la commune de Bouc Bel Air n’est pas fondée à soutenir qu’elle était liée par l’avis défavorable de l’ABF du 29 août 2013 ; » (CAA Marseille,  23 mars 2017, n°15MA00964)

Après avoir rappelé que la saisine du préfet constitue un préalable obligatoire qui conditionne la recevabilité du recours dirigé contre le refus de permis (jurisprudence constante : CE, 30 juin 2010, n°334747 ; CE, 24 oct. 2012, n° 350031 ; CE, 19 févr. 2014, n° 361769), le Conseil d’État précise que « l’avis émis par le préfet, qu’il soit exprès ou tacite, se substitue à celui de l’ABF ».

Deux hypothèses doivent alors être distinguées :

  • « Lorsque le préfet infirme l’avis défavorable de l’architecte des Bâtiments de France, l’autorité compétente doit statuer à nouveau sur la demande de permis de construire dans un délai d’un mois à compter de la réception du nouvel avis, cette nouvelle décision se substituant alors au refus de permis de construire précédemment opposé »;

 

  • En revanche, « lorsque le préfet confirme l’avis défavorable de l’architecte des Bâtiments de France, l’autorité compétente n’a pas à se prononcer à nouveau sur la demande de permis de construire et le délai de recours contentieux contre le refus de permis de construire court à compter de la notification de la décision du préfet confirmant l’avis défavorable de l’architecte des Bâtiments de France ; […] si l’autorité compétente prend néanmoins une nouvelle décision de refus, cette dernière est purement confirmative du refus initialement opposé ; ».

Enfin, la Haute juridiction précise que la demande de communication du dossier complet est de nature à interrompre le délai dont le préfet dispose pour statuer sur le recours :

« Considérant, d’autre part, que lorsqu’un recours formé en application des dispositions qui viennent d’être rappelées contre l’avis défavorable de l’architecte des Bâtiments de France ne comporte pas le dossier complet de la demande de permis de construire, qui est seul de nature à mettre le préfet de région à même de se prononcer sur le recours dont il est saisi, il appartient au préfet d’inviter le pétitionnaire à compléter ce dossier, dans le délai qu’il fixe, et d’en informer l’autorité d’urbanisme compétente pour statuer sur la demande de permis de construire ; que le délai au terme duquel le recours est réputé admis, en vertu de l’article R. 423-68 du code de l’urbanisme, est alors interrompu et ne recommence à courir qu’à compter de la réception des pièces requises, conformément à l’article 2 du décret du 6 juin 2001, repris à l’article L. 114-5 du code des relations entre le public et les administrations ; »

 

En l’espèce, il en déduit que le délai avait été interrompu et que, contrairement à ce qu’avait jugé la Cour administrative d’appel, les pétitionnaires ne pouvaient par conséquent pas se prévaloir d’une décision implicite favorable :

«  Considérant que la cour a jugé que l’invitation faite par le préfet aux intéressées de compléter le dossier du recours dont elle l’avait saisi n’avait pu avoir pour effet d’interrompre le délai prévu à l’article R. 423-68 du code de l’urbanisme et qu’ainsi, un avis favorable tacite du préfet de région sur le projet était né et s’était substitué à l’avis défavorable de l’architecte des Bâtiments de France ; qu’elle en a déduit que, l’avis tacite du préfet ayant infirmé celui de l’architecte des Bâtiments de France, l’autorité compétente pour délivrer le permis de construire était tenue de se prononcer à nouveau sur la demande et que, faute de l’avoir fait dans le délai d’un mois imparti par l’article R. 424-14 du code de l’urbanisme, un permis de construire tacite était né ; que, par voie de conséquence, elle a jugé qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur les conclusions dirigées contre le refus initial opposé à la demande, le permis tacite s’y étant substitué ; qu’en se prononçant ainsi, la cour a entaché son arrêt d’erreur de droit au regard des règles rappelées aux points 3 et 4 de la présente décision ; que, par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, la commune de Bouc Bel Air est fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque ; »

Il est donc hautement recommandé de veiller non seulement à introduire le recours obligatoire si un avis contraignant de l’ABF est émis, mais plus encore d’être vigilant sur les délais et leur computation s’agissant de la décision à venir du Préfet.