Urbanisme / Eoliennes : l’avis d’un Maire « intéressé au projet » ne constitue pas un vice substantiel (CAA Douai, 10 sept. 2015, n° 14DA00417)

Windwheels in rural GermanyPar Lou Deldique,

Green Law Avocat

Une récente décision de la Cour administrative d’appel de Douai (CAA Douai, 10 sept. 2015, n° 14DA00417) illustre la tendance grandissante du recours à la « Danthonysation » par le juge, c’est à dire au fait de relativiser certains vices de procédure.

Rappelons que les principes issus de la jurisprudence dite « Danthony » permettent au juge de n’annuler les actes administratifs entachés d’un vice de forme ou de procédure que lorsque ce vice a exercé une influence sur le sens de la décision prise ou privé les intéressés d’une garantie (CE, 23 déc. 2011, n° 335477, voir notre récente analyse ici).

En l’espèce, des particuliers contestaient la légalité d’un arrêté préfectoral autorisant la construction d’éoliennes. Au soutien de ce recours, ils soutenaient notamment que la décision avait été adoptée à l’issue d’une procédure rendue irrégulière par la participation d’un élu intéressé.

En effet, le Préfet avait consulté le Maire de la commune d’implantation du projet en application de l’ancien article R. 421-26 du code de l’urbanisme, aux termes duquel : «  Le maire fait connaître son avis au responsable du service de l’Etat dans le département, chargé de l’urbanisme qui le communique, s’il est défavorable, au préfet. Cet avis est réputé favorable s’il n’est pas intervenu dans le mois de la réception de la demande. Il doit être dûment motivé s’il est défavorable, ou si, favorable, il est assorti d’une demande de prescriptions particulières » (NB : aujourd’hui, cette consultation est prévue à l’article L. 422-2 du code de l’urbanisme qui prévoit que : « Lorsque la décision est prise par le préfet, celui-ci recueille l’avis du maire ou du président de l’établissement public de coopération intercommunale compétent. »).

Or il s’est avéré que cet élu pouvait être vu comme personnellement intéressé par l’opération projetée puisqu’une parte des parcelles destinées à accueillir les éoliennes appartenaient à un groupement foncier agricole (GFA) dont il était associé, et étaient louées à une structure d’exploitation agricole dont il était également membre.

Le vice de procédure était donc sérieux, mais la Cour, tenant compte du contenu de l’avis, mais aussi du nombre de consultations réalisées dans le cadre de l’instruction de la demande de permis, estime qu’il ne pouvait être considéré comme substantiel au sens de la jurisprudence Danthony :

« Considérant qu’en application des dispositions précitées, le préfet du Pas-de-Calais a sollicité au cours de l’année 2003 l’avis du maire de la commune de C…, laquelle compte quelque quinze habitants et n’est pas dotée d’un document d’urbanisme, sur le projet présenté par la société I…pour la construction de six aérogénérateurs sur le territoire de cette commune ; qu’il ressort des pièces du dossier que le maire était personnellement intéressé à la réalisation de ce projet dès lors que trois des six parcelles concernées sont propriété d’un groupement foncier agricole dont il est l’un des associés et sont données en location à une exploitation agricole à responsabilité limitée dont il est également membre ; que, dans ces conditions, l’avis favorable qu’il a émis le 25 février 2003 sur le projet était entaché d’irrégularité ; que, toutefois, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie ; qu’en l’espèce, le préfet du Pas-de-Calais a procédé à une instruction de près de six années et recueilli dix-sept avis émanant de différents services ; que le maire de C… s’est borné à renseigner des rubriques relatives à des informations techniques portant sur les constructions existantes à proximité, les équipements de desserte des terrains, les participations d’urbanisme et concernant également l’aspect extérieur du projet, sans formuler de position personnelle ; que, dès lors, il ne ressort pas des pièces du dossier que l’avis du maire émis en tout début de procédure ait exercé une influence sur le sens des permis de construire ; qu’en outre, en l’absence de toute réponse, cet avis aurait été réputé, en tout état de cause, favorable ; que, dans les circonstances de l’espèce, l’irrégularité commise n’a pas davantage privé les intéressés d’une garantie ; »

Notons que cette décision semble nuancer la jurisprudence antérieure de la Cour, qui avait jugé en 2013 que l’omission de la consultation du Maire prévue par l’ancien article L. 421-2-1 du code de l’urbanisme constituait une irrégularité substantielle de nature à justifier l’illégalité du permis de construire (CAA Douai, 17 janvier 2013, n°11DA01541).

Et on peut également se demander si la solution aurait été la même si l’avis en cause avait été émis non pas par le maire, mais par le conseil municipal. En effet, l’article L. 2131-11 du Code général des collectivités territoriales dispose explicitement que : « Sont illégales les délibérations auxquelles ont pris part un ou plusieurs membres du conseil intéressés à l’affaire qui en fait l’objet, soit en leur nom personnel, soit comme mandataires. »

Une récente réponse ministérielle a d’ailleurs précisé qu’ : […] un élu municipal, propriétaire d’un terrain sur lequel il est prévu ou envisagé d’implanter une éolienne, qui participerait à une séance du conseil municipal au cours de laquelle un débat, en dehors de tout vote, aurait lieu sur le projet d’ensemble d’implantation d’éoliennes sur le territoire de la commune, pourrait effectivement être poursuivi pour prise illégale d’intérêts. Par ailleurs, le même élu qui participerait, en outre, à un vote visant à donner un avis sur le projet d’ensemble, pourrait être considéré comme un conseiller intéressé au sens de l’article L. 2131-11 du code général des collectivités territoriales. La délibération relative à cet avis serait alors illégale et susceptible d’entraîner l’illégalité d’autorisations relatives à la réalisation du projet d’ensemble dès lors que cet avis serait pris en considération dans le cadre de la procédure administrative. Ces éléments ne peuvent cependant être présumés et doivent être examinés au cas par cas par le juge compétent. » (Rép. Min., Q N° 68565, J.O.A.N. 31 mars 2015, p. 2551)

 

Dans cette hypothèse, une « Danthonysation » semble donc bien plus difficile à mettre en œuvre bien que le contexte actuel de chasse aux sorcières des élus favorables à l’éolien, non seulement pour les bénéfices qu’elles présentent en termes de production d’énergie à partir de source renouvelable, mais aussi de retombées fiscales locales, risquent de ne pas rendre cette question plus sereine.