Urbanisme: Censure du PLU d’une commune de montagne autorisant de nouveaux logements de tourisme alors que ceux existant sont sous-occupés (TA Grenoble, 19 oct.2017)

Industrial excavator loading soil material at winter snow construction siteMe Stéphanie Gandet – avocat associé

Maxence Temps –juriste stagiaire

Le tribunal administratif de Grenoble, par un jugement du 19 octobre 2017, a annulé la délibération approuvant le plan local d’urbanisme d’une commune de montagne, notamment pour avoir ouvert à l’urbanisation des secteurs afin de construire des logements de tourisme en dépit de la sous-occupation de ce type de logements sur la commune.

C’est l’occasion d’aborder deux questions importantes, dont l’une spécifique aux communes de montagne.

Le phénomène des « lits froids » est un phénomène qui touche un certain nombre de stations de sports d’hiver françaises. A travers cette expression, on vise le fait que certaines communes de montagne voient leurs logements inutilisés une grande partie de l’année, ce qui porte préjudice à la bonne situation économique desdites communes.

Afin de lutter contre ce phénomène, le législateur avait créé en 2000 les « opérations de réhabilitation de l’immobilier de loisirs », un dispositif permettant aux collectivités territoriales d’aider (y compris financièrement) les propriétaires à rénover leurs biens à condition qu’ils les mettent sur le marché de la location touristique. Cependant le nombre d’opérations de réhabilitation réalisées est resté très faible.

Malgré cette problématique, certaines communes continuent de souhaiter, pour des raisons souvent légitimes, de créer des logements neufs, dans l’espoir de faire venir de nouveaux investisseurs.

C’est ce qu’a envisagé une commune de montagne. Par une décision en date du 11 novembre 2015, le conseil municipal a approuvé son document d’urbanisme, ouvrant à l’urbanisation certaines parcelles de son territoire, afin d’accueillir de nouvelles surfaces d’hébergements touristiques.

Cette décision fût l’objet de contestations par la FRAPNA Isère et plusieurs habitants de la commune. Le 19 octobre 2017, le Tribunal Administratif de Grenoble a censuré le PLU de la commune concernée.

Deux moyens ont été retenus pour justifier cette annulation.

  • Tout d’abord, concernant la légalité externe de la délibération, le tribunal a estimé qu’est viciée une procédure d’enquête dans laquelle l’avis exprès tardif de l’autorité environnementale est versé au dossier peu de temps avant la clôture, alors même qu’un avis tacite existait.

En effet, dans le cadre d’une procédure de révision d’un PLU, l’article L.121-12 du code de l’urbanisme (version abrogée au 1er janvier 2016) prévoit que le projet de PLU est transmis à l’autorité environnementale pour avis.

Une fois l’autorité environnementale saisie, l’article R121-15 prévoit qu’elle rend son avis selon les règles suivantes (version abrogée au 1er janvier 2016) :

« L’autorité administrative de l’Etat compétente en matière d’environnement formule un avis sur l’évaluation environnementale et le projet de document dans les trois mois suivant la date de sa saisine. L’avis est, dès sa signature, mis en ligne sur son site internet et transmis à la personne publique responsable. Il est, s’il y a lieu, joint au dossier d’enquête publique ou mis à la disposition du public. A défaut de s’être prononcée dans le délai indiqué à l’alinéa précédent, l’autorité administrative de l’Etat compétente en matière d’environnement est réputée n’avoir aucune observation à formuler. Une information sur cette absence d’avis figure sur son site internet. »

En l’espèce, l’autorité environnementale n’avait pas formulé d’avis dans les trois mois suivants sa saisine. Conformément aux dispositions de l’article R121-15 mentionnées ci-dessus, l’autorité environnementale était donc réputée n’avoir aucune observation à formuler. A ce titre, l’absence d’avis était mentionnée sur le site internet de l’autorité environnementale.

Cependant, l’autorité environnementale semble avoir tout de même présenté ses observations, postérieurement à l’avis tacite rendu en application de l’article R121-15. Ce nouvel avis a été versé au dossier soumis à enquête publique 4 jours avant la clôture de ladite enquête.

Les requérants faisaient valoir que ce délai n’avait pas permis une information suffisante de la population.

De façon assez étonnante, la juridiction a considéré que cela avait vicié la procédure:

« Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que le projet de plan local d’urbanisme a été adressé à la préfecture de l’Isère le 29 avril 2015 ; que le préfet[…] en sa qualité d’autorité environnementale, n’a présenté ses observations en cette qualité que le 28 août 2015, soit quatre jours avant la clôture de l’enquête publique ; que si la commune d’H… oppose que l’autorité environnementale doit être présumée n’avoir eu aucune observation à formuler en application de l’article R. 121-15 du code de l’urbanisme précité, alors que son site internet mentionnait cette absence d’avis dès le 13 aout 2015, la production en toute fin d’enquête publique d’une note préfectorale remettant en cause différents aspects de l’étude environnementale laquelle reprend globalement une note de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) adressée au préfet de l’Isère le 22 juillet 2015, sans toutefois reprendre ses conclusions, est de nature à établir que l’absence d’avis ne reflète pas l’avis réel de l’autorité environnementale ;

 que dès lors la Frapna est fondée à soutenir qu’en versant au dossier 4 jours avant le terme de l’enquête publique qui se déroulait du 29 juillet au 2 septembre 2015, une note préfectorale contredisant l’absence d’avis présumé de l’autorité environnementale, la commune d’H… a entaché d’irrégularité la délibération attaqué ; que cette irrégularité a nécessairement eu pour effet de nuire à l’information du public et d’exercer une influence sur le sens de la délibération attaquée »

Le juge a ainsi considéré que l’avis tacite n’était pas le seul dont il fallait tenir compte et de façon assez artificelle, il considère que l’avis exprès émis (tardivement) par l’autorité environnementale disqualifiait en quelque sorte l’avis tacite.

En l’espèce l’avis de l’autorité environnementale a été produit plus de 3 mois après sa saisine, qui plus est pendant le déroulement de l’enquête publique : cela a donc conduit à vicer la procédure, faute pour le public à avoir eu accès pendant une période suffisante à cet avis.

Cette analyse nous semble vider de son sens la disposition réglementaire relative à l’avis tacite de l’autorité environnementale, tout en faisant peser un risque procédural nouveau sur les projets qui voient l’autorité environnementale émettre spontanément un avis hors délai.

 

  • Le second moyen, concerne l’erreur manifeste d’appréciation des auteurs du PLU. En effet, les juges se sont attachés à examiner si la commune avait bien mis en équilibre les différents intérêts visés à l’article L.121-1 du code de l’urbanisme, en particulier le renouvellement urbain et l’usage économe des espaces naturels.

A ce titre, l’article L.121-1 du code de l’urbanisme prévoit :

« Les schémas de cohérence territoriale, les plans locaux d’urbanisme et les cartes communales déterminent les conditions permettant d’assurer, dans le respect des objectifs du développement durable :

1° L’équilibre entre :

a) Le renouvellement urbain, le développement urbain maîtrisé, la restructuration des espaces urbanisés, la revitalisation des centres urbains et ruraux ;

b) L’utilisation économe des espaces naturels, la préservation des espaces affectés aux activités agricoles et forestières, et la protection des sites, des milieux et paysages naturels ;c) La sauvegarde des ensembles urbains et du patrimoine bâti remarquables ;

d) Les besoins en matière de mobilité.

1° bis La qualité urbaine, architecturale et paysagère, notamment des entrées de ville »

Au visa de l’article L 121-1 du code de l’urbanisme, le Tribunal administratif de Grenoble a rappelé qu’il appartient au juge dans le cadre d’un contrôle restreint (CE, 23 mars 1979, n° 09860), de vérifier qu’il n’y a pas d’erreur manifeste d’appréciation.

« qu’il appartient aux auteurs d’un plan local d’urbanisme de déterminer le parti d’aménagement à retenir pour le territoire concerné par le plan, en tenant compte de la situation existante et des perspectives d’avenir et de fixer en conséquence le zonage et les possibilités de construction ; qu’ils peuvent être amenés, à cet effet, à modifier le zonage ou les activités autorisées dans une zone déterminée, pour les motifs énoncés par les dispositions citées ci-dessus ; que leur appréciation sur ces différents points ne peut être censurée par le juge administratif qu’au cas où elle serait entachée d’une erreur manifeste ou fondée sur des faits matériellement inexacts »

Pour ce faire, le juge a cherché à vérifier si la commune avait bien mis en équilibre les différents intérêts visés à l’article 121-1 du code de l’urbanisme, en particulier le renouvellement urbain et l’usage économe des espaces naturels. Pour ce faire, le juge a examiné in concreto le règlement, ainsi que les orientations d’aménagement et de programmation (OAP).

Dès lors, le Tribunal administratif de Grenoble a pu estimer que l’ouverture à l’urbanisation de plusieurs hectares de nouveaux secteurs consacrés au logement touristique constituait une erreur manifeste d’appréciation alors que la commune est affectée par une sous-utilisation des constructions existantes.

« Considérant qu’il ressort de ce qui a été dit précédemment que l’étude diagnostic est insuffisante, ce qui conduit à entacher les extensions d’urbanisation des zones Aua et Aub d’erreur manifeste d’appréciation ; qu’il ressort des pièces du dossier que la réhabilitation des « lits froids » n’est pas appréhendée et n’a fait l’objet d’aucune étude prospective ; que l’avenir des « lits chauds » et les conditions de leur pérennisation n’est pas davantage étudiée ; que l’objectif de 40 à 45 % de résidences de tourisme n’est justifié que par la comparaison à d’autres stations de sports d’hiver du département de la Savoie, au demeurant peu comparables ; que le développement de l’hôtellerie de luxe n’est pas d’avantage justifié ; que les principes de mixité sociales ne sont pas respectés ; que la reconversion estivale de la station n’est pas envisagée, l’approche économique de son fonctionnement portant quasiment exclusivement sur l’activité hivernale ; que des secteurs, notamment celui des Passeaux et pour une superficie de presque trois hectares, sont destinés aux logements permanents, notion étrangère à la police de l’urbanisme qui ne peut donc être appréhendée utilement par le règlement contesté ; qu’ainsi les requérants sont fondés à soutenir que les équilibres décrits par les dispositions précitées n’ont pas été respectés ; que le moyen tiré de l’erreur manifeste d’appréciation commise sur la mise en œuvre de l’article L. 121-1 du code de l’urbanisme doit être accueilli »

Le TA de Grenoble a ainsi considéré que l’ouverture à l’urbanisation de plusieurs hectares de nouveaux secteurs consacrés au logement touristique constituait une erreur manifeste d’appréciation alors que la commune est affectée par une sous-utilisation des constructions existantes.

Plus généralement, le Tribunal de Grenoble a considéré que le plan local d’urbanisme ne respectait pas l’équilibre voulu par la loi entre développement urbain et protection de l’environnement en vertu de l’article L121-1 du code de l’urbanisme.

Il convient dès lors, pour les communes situées en zone de montagne, de justifier lors de l’élaboration ou la modification de leur PLU, de la bonne prise en compte des intérêts visés à l’article L121-1 du code de l’urbanisme. A cet égard, il sera nécessaire pour la commune lors de ces différentes procédures, d’étudier les possibilités de réhabilitation des lits froids, mais également de justifier les choix en matière d’urbanisme : le nombre de résidences de tourisme, le développement de l’hôtellerie de luxe, la prise en compte des principes de mixité sociale, la reconversion estivale de la station…

En d’autres termes, Il conviendra donc pour la commune, de prêter une attention particulière à la justification de ses choix en matière d’urbanisme, sauf à risquer une censure juridictionnelle.