sans-titreC’est la question que des parlementaires de l’Union européenne ont posée, en substance, à la Commission européenne le 27 février dernier.

 

Le « TRIMAN » est un pictogramme harmonisé qui devra être appliqué en France sur tous les produits recyclables qui sont soumis à un dispositif de responsabilité élargie des producteurs. L’objectif poursuivi par la mise en place de cette signalétique commune est d’informer de manière simple les consommateurs résidant en France que le produit acheté ne doit pas être jeté dans la poubelle des ordures ménagères résiduelles car il relève d’une consigne de tri (Rép. min. publiée dans le JO Sénat du 7 mai 2014, page 3707). Il s’inscrit dans une perspective plus large d’amélioration des taux de recyclage et de réduction des quantités de déchets partant en incinération ou en stockage.

 

Ce dispositif, qui est issu de l’article 199 de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, a été codifié à l’article L. 541-10-5 du code de l’environnement. Initialement, il devait s’appliquer au plus tard le 1er janvier 2012. Néanmoins, cette échéance n’a pas été respectée, en l’absence de publication d’un décret d’application de cette disposition. C’est dans ce contexte que les parlementaires ont décidé, aux termes de l’article 19 de la loi n° 2014-1 du 2 janvier 2014 habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises, de modifier la rédaction du deuxième alinéa de l’article L. 541-10-5 du code de l’environnement afin de reporter, du 1er janvier 2012 au 1er janvier 2015, l’entrée en vigueur du dispositif. A cette occasion, les parlementaires ont exclu les emballages ménagers en verre du champ d’application du dispositif. La raison avancée est que l’apposition d’un logo « TRIMAN » sur les emballages ménagers en verre n’aurait eu qu’un impact limité, dans la mesure où le dispositif de collecte des verres est déjà bien connu de la part des consommateurs français (cf., rapport n° 1653 fait par M. J-M. Clément à l’Assemblée nationale sur le projet de loi habilitant le gouvernement à simplifier et à sécuriser la vie des entreprises ; cf., également, sur cette question : Rép. min. à la question n° 8026, publiée dans le JO Sénat du 5 juin 2014).

 

Dans sa version issue de la loi du 2 janvier 2014 précitée, l’article L. 541-10-5, alinéa 2 du code de l’environnement énonce qu’« à l’exclusion des emballages ménagers en verre, tout produit recyclable soumis à un dispositif de responsabilité élargie des producteurs mis sur le marché à compter du 1er janvier 2015 fait l’objet d’une signalétique commune informant le consommateur que ce produit relève d’une consigne de tri. Un décret en Conseil d’Etat précise les conditions d’application du présent alinéa ».

 

Alors que le dispositif peine apparemment à recueillir l’assentiment des industriels, le gouvernement pourrait éprouver des difficultés à publier le décret d’application qui permettra de le rendre opérationnel. La publication au journal officiel (cf., page 76 77), le 26 octobre 2012, de la réponse de Monsieur Barnier à la question posée par les parlementaires de l’Union européenne, ne va sans doute pas faciliter la tâche du gouvernement [http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=OJ:C:2014:320:FULL&from=FR]. Ce dernier pouvait s’attendre à rencontrer des difficultés. Il avait pris le soin de notifier un projet de décret d’application aux services de la Commission européenne, dans le cadre de la directive 98/34/CE du 22 juin 1998, qui prévoit une obligation d’information à la Commission des normes et des réglementations techniques nationales qui sont susceptibles de constituer des obstacles à la libre circulation. Dans sa réponse rendue au nom de la Commission européenne, Monsieur Barnier a indiqué que le dispositif « TRIMAN » pourrait constituer une entrave au principe de libre circulation des marchandises posé par le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

 

L’article 34 de ce Traité que « les restrictions quantitatives à l’importation ainsi que toutes mesures d’effet équivalent, sont interdites entre les États membres ». Selon une jurisprudence constante, constitue une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative, toute mesure susceptible d’entraver, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire (CJCE, 24 nov. 1993, Keck et Mithouard, CJUE C-267/91 et C-268/91, point 11). La Cour de justice de l’Union européenne considère toutefois que n’est pas apte à constituer une entrave, l’application à des produits en provenance d’autres Etats membres de dispositions nationales qui limitent ou interdisent certaines modalités de vente, pourvu qu’elles s’appliquent à tous les opérateurs concernés exerçant cette activité sur le territoire national, et pourvu qu’elles affectent de la même manière, en droit comme en fait, la commercialisation des produits nationaux et ceux en provenance d’autres Etats membres (CJCE, 24 nov. 1993, Keck et Mithouard, CJUE C-267/91 et C-268/91, point 16). Il se déduit de la réponse de la Commission européenne que le dispositif « TRIMAN » pourrait échapper à la qualification de modalité de vente et constituer une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative à l’importation. En la matière, la jurisprudence est pour le moins nuancée. A titre d’exemple, la Cour a jugé qu’une simple obligation générale d’identifier des emballages pris en charge par une entreprise agréée aux fins de leur élimination était susceptible d’être qualifiée de modalité de vente (CJCE, 6 juin 2002, Sapod Audic c/ Eco-Emballages, point 70, C-159/00, point 73). Tel ne serait pas le cas, en revanche, d’une obligation édictée par un Etat membre, en l’absence d’harmonisation des législations des Etats au niveau de l’Union et en l’absence de justification par un but d’intérêt général, d’appliquer aux marchandises en provenance d’autres Etats membres, un marquage ou encore un étiquetage spécifiques.

 

A supposer même que le dispositif « TRIMAN » constitue une entrave au principe de libre circulation des marchandises, celui-ci ne contreviendrait pas nécessairement au droit de l’Union. En effet, la Réponse de la Commission européenne a rappelé qu’un dispositif qualifié de mesure d’effet équivalent pourrait être justifié par les « raisons » éditées à l’article 36 du Traité ou par l’une des dérogations que la Cour a créées de manière prétorienne. A cet égard, la protection de l’environnement apparaît comme l’une des exigences de nature à justifier certains obstacles à la libre circulation des marchandises. Si le « TRIMAN » est susceptible de se heurter au principe de libre circulation des marchandises, il pourrait néanmoins se rattraper à l’exigence de protection de l’environnement… En tout cas, une chose est sûre : ce petit logo n’a pas fini de faire parler de lui…

Maître YANN BORREL (Green Law Avocat)