Dépollution des réseaux amiantés sur le domaine routier : qui est « producteur de déchets » excavés ?

Replacement of drainage pipes to prevent flooding. digging works

Par Yann BORREL, avocat of counsel, GREEN LAW AVOCATS

yann.borrel@green-law-avocat.fr

Le « producteur de déchet » n’est pas toujours celui que l’on croit. L’arrêt que la Cour administrative d’appel de Lyon a rendu le 20 septembre 2018 en offre un parfait exemple (CAA Lyon, 20 septembre 2018, req. n° 16LY02141).

La Cour devait tout particulièrement apprécier la légalité du quatrième alinéa de l’article 1.8.1 du règlement de voirie relatif à la gestion des déblais de la Métropole de Lyon :  : « (…) Si à l’occasion d’une fouille réalisée sous la maîtrise d’ouvrage de l’intervenant, pour les besoins de travaux conduits sous sa maîtrise d’ouvrage, celui-ci découvre des sols pollués chimiquement ou biologiquement, la gestion des déblais issus de l’excavation du sol sera à la charge de l’intervenant. Il devra procéder à l’identification de la nature et du niveau de pollution de ces déblais préalablement à leur traitement dans un centre d’enfouissement ou de traitement agréé. La charge financière de ces actions sera supportée par l’intervenant. ».

La Cour a jugé qu’au regard du principe pollueur-payeur, l’entreprise concessionnaire qui fait effectuer, sous sa maîtrise d’ouvrage, des travaux sur le domaine public routier en vue d’accéder aux réseaux qu’elle exploite, a le statut de « producteur des déchets » excavés (cf. considérant n° 14). Il s’ensuit qu’elle a notamment la charge d’assurer la gestion des déchets jusqu’à leur élimination ou valorisation finale (cf. C. env., art. L. 541-2).

De prime abord, cette analyse ne va pas de soi. En effet, le « producteur de déchet » est défini à l’article L. 541-1-1 du code de l’environnement comme étant « toute personne dont l’activité produit des déchets (producteur initial de déchets) ou toute personne qui effectue des opérations de traitement des déchets conduisant à un changement de la nature ou de la composition de ces déchets (producteur subséquent de déchets) ». L’on aurait pu être tenté de considérer que le producteur de déchet est, au regard de ces dispositions, le propriétaire du domaine public routier, voire le concédant du réseau exploité.

La Cour a réfuté cette analyse en considérant que « la société GRDF n’est pas fondée à soutenir que la charge de la gestion de ces déchets amiantés devrait être supportée par la métropole en sa seule qualité de propriétaire de la voirie, dans la mesure où elle n’est pas à l’initiative des travaux entrepris ou à entreprendre desquels sont issus les déchets à traiter » (cf. considérant n° 14).

L’on comprend, à la lecture de ce considérant, que le producteur de déchet est celui qui est à l’initiative des travaux entrepris ou à entreprendre desquels sont issus les déchets à traiter, à savoir le maître d’ouvrage. Et il est vrai que le droit des déchets, qui est ancré dans le droit de l’Union européenne, s’affranchit des qualifications juridiques qui sont propres au droit interne.

De ce point de vue, l’arrêt nous semble cohérent par rapport à la décision de la Cour administrative d’appel de Nancy en date du 19 mai 2016. Dans cette décision, la C.A.A de Nancy a jugé qu’une entreprise spécialisée dans le secteur d’activités des travaux de terrassement et effectuant des travaux de démolition ne pouvait pas être regardée comme étant un « producteur de déchet » (req. CAA Nancy 19 mai 2016, req. n° 15NC01039). Cette solution est logique, si l’on considère que l’entreprise de travaux n’a pas la qualité de maître d’ouvrage de ceux-ci. La Cour a également jugé que l’entreprise de travaux avait en revanche la qualité de « détenteur de déchet » dès lors qu’elle se trouvait en possession des déchets provenant des chantiers de démolition. Pour rappel, le « détenteur de déchet » est défini réglementairement comme étant le « producteur des déchets ou toute autre personne qui se trouve en possession des déchets » (cf. C. env., art. L. 541-1-1).

La différence de qualification juridique entre « producteur de déchet » et « détenteur » n’est pas anodine si l’on prend la peine d’examiner les obligations respectives de l’un par rapport à l’autre en droit général des déchets, ainsi que dans le droit sectoriel des déchets (dans la réglementation sur les transferts transfrontaliers, notamment).

Quoi qu’il en soit, la solution de l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Versailles est en phase avec la doctrine de l’administration, comme de la pratique. Déjà, une circulaire ministérielle du 15 juin 2000 (aujourd’hui abrogée) indiquait que « les collectivités territoriales (…) ont un intérêt évident à la bonne gestion des déchets du bâtiment et des travaux publics, à plusieurs titres : [….] en tant que maître d’ouvrage, elles sont elles-mêmes producteurs de déchets de chantier, dont elles doivent assurer la gestion » (cf. Circulaire du 15 février 2000 relative à la relative à la planification de la gestion des déchets de chantier du bâtiment et des travaux publics (BTP), NOR : ATEP99802431C). Dans le même sens, les rédacteurs du Guide de valorisation hors site des terres excavées issues de sites et sols potentiellement pollués dans des projets d’aménagement, sous l’égide de la D.G.P.R du Ministère de l’Ecologie, ont défini le « producteur de déchet » comme pouvant être « l’exploitant d’une installation classée ou maître d’ouvrage selon la nature et le périmètre au sein duquel ont lieu les travaux d’excavation » [téléchargeable]. Les rédacteurs du Guide d’accompagnement de la Maîtrise d’ouvrage et de la Maîtrise d’œuvre, dans le cadre du projet DEMOCLES, partagent cette analyse [téléchargeable].

Reste néanmoins une dernière difficulté qui ne semble pas avoir été plaidée par les demandeurs en l’espèce mais qui n’en interroge pas moins : aussi longtemps qu’une terre polluée n’est pas excavée elle ne constitue pas un déchet, cette solution étant désormais consacrée tant par le droit communautaire (cf. la « Directive Cadre sur les Déchets » 2008/98/CE du 19 novembre 2008) que national (L-541-4-1 dans le Code de l’Environnement) pour faire échec à la jurisprudence « Van de Walle » du 7 septembre 2004 de la CJCE. Aussi dans le cas où « la découverte des sols pollués chimiquement ou biologiquement » n’a pas encore impliqué leur excavation, ce ne peut être la police des déchets qui préside à leur qualification et à leur gestion pour imposer des obligations aux gestionnaires de réseaux sous-viaires.

C’est alors dans les obligations de gestion du domaine public routier qu’il faut rechercher le fondement des sujétions imposées aux concessionnaires des réseaux sous-viaires. Comme l’a rappelé le Conseil d’Etat ,  « les autorités compétentes pour édicter ces règlements peuvent subordonner l’exercice du droit dont il s’agit aux conditions qui se révèlent indispensables pour assurer la protection du domaine public routier dont elles ont la charge et en garantir un usage répondant à sa destination » (CE, 13 mars 1985, n°42630 42631 42691 42695, publié au recueil Lebon). C’est d’ailleurs sur cette base légale que la même Cour avait pu apprécier un autre règlement : « que le droit d’occupation du domaine public routier reconnu aux sociétés ERDF et GRDF ne peut s’exercer que dans les conditions prévues par les règlements de voirie ; que si les autorités compétentes pour édicter ces règlements peuvent subordonner l’exercice du droit dont il s’agit aux conditions qui se révèlent indispensables pour assurer la protection du domaine public routier dont elles ont la charge et en garantir un usage répondant à sa destination, c’est à la condition de ne pas porter une atteinte excessive au droit permanent d’occupation des concessionnaires de distribution d’énergie » (CAA Nantes, 5ème chambre, 30/01/2017, 15NT01184, Inédit au recueil Lebon). Dans un tel cadre ce sont les contours d’une obligation de remise en état du domaine qui sont à discuter devant le juge administratif.