TITRE D’AUTRUI N’EXCUSE PAS TOUJOURS PÉNALEMENT L’EXPLOITATION DE FAIT DE L’ICPE (Cass, 13 janvier 2015)

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Maître Yann BORREL (Green Law Avocat)

Le titulaire d’un marché public portant sur l’exploitation matérielle d’une installation classée peut-il se soustraire à la responsabilité pénale résultant de l’absence d’autorisation d’exploiter ? A cette question, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a apporté une réponse négative, dans une décision qui sera publiée au Bulletin des arrêts de cette Chambre (Cour de cassation13.01.2015).

Au soutien de cette solution, la juridiction pénale suprême a jugé dans un attendu de principe que « si le titulaire de l’autorisation administrative est exploitant de l’installation, la personne exerçant effectivement l’activité dispose également de cette qualité ». En d’autres termes, elle a considéré que la qualité d’exploitant d’une ICPE, loin d’être réservée au seul titulaire de l’autorisation d’exploiter, inclut la situation du prestataire qui prend en charge les opérations matérielles d’exploitation. Elle en a déduit que le prestataire de services d’exploitation ne pouvait se soustraire aux exigences légales et à la responsabilité pénale résultant de leur irrespect en faisant valoir qu’il n’agirait qu’en qualité de simple exécutant. Pour ces deux raisons, cet arrêt devra retenir l’attention des exploitants.

La notion d’exploitant d’une ICPE est contextuelle et a, depuis toujours, suscité de fortes interrogations. Dans un article de doctrine publié en 2012 (« La qualité d’exploitant d’installation classée : ombres et lumières », BDEI 2012 p. 42), Michel Baucomont a estimé « qu’au vu de l’ensemble des lacunes ou imprécisions présentes dans la réglementation des installations classées (…), il conviendrait alors de refondre la notion d’exploitant en l’élargissant : serait exploitant, au sens du dispositif, toute personne ayant la qualité d’opérateur technique à l’égard d’une installation classée, ou toute personne ayant la qualité de bénéficiaire direct ou indirect à son égard et y exerçant des pouvoirs de direction ou de contrôle à caractère économique ou technique ».

En qualifiant d’exploitant, le prestataire en charge des opérations matérielles d’exploitation, l’arrêt rendu par la Chambre criminelle, le 13 janvier 2015, paraît répondre, du moins en partie, à ce souhait de clarification exprimé par la doctrine. Ce faisant, la Chambre fait évoluer sa jurisprudence. En effet, dans un arrêt rendu dix ans plus tôt, seul le donneur d’ordre, titulaire de l’autorisation initiale, s’est vu qualifier d’exploitant, bien qu’il ait confié à un « sous-traitant » la réalisation des prestations d’exploitation (Cass. Crim. 13 décembre 2005, pourvoi n° 05-82161, a contrario). En définitive, la qualité d’exploitant d’une ICPE, traditionnellement reconnue au titulaire de l’autorisation d’exploiter (Cass. Crim. 7 janvier 2003, pourvoi n° 02-81032), inclut désormais sans ambiguïté la situation de l’opérateur qui prend en charge les opérations matérielles d’exploitation, bien que ce dernier agisse pour le compte d’un donneur d’ordre et sous sa direction.

Encore convient-il de nuancer la portée de la solution apportée par la Chambre criminelle le 13 janvier 2015. En toute rigueur, celle-ci ne vaut que pour l’appréciation de la responsabilité pénale en matière d’exploitation d’une installation classée sans autorisation, comme c’était le cas en l’espèce. Rappelons que dans l’affaire commentée l’activité de stockage de déchet était dument autorisée alors que celles de compostage et de transite de déchets ne l’étaient pas, pour se trouver effectivement exploitées par le titulaire du marché poursuivi au sein du site de la personne publique adjudicatrice. Bref, la Cour nous semble apprécier in concreto l’exploitation sans titre d’une installation classée au sein d’un site comportant une autre installation classée et elle dument autorisée. De ce point de vue il n’y a pour nous aucune substitution de la responsabilité de l’exploitant de fait à celle de l’exploitant en titre pour une même installation. Bref, l’exploitant de fait de l’installation irrégulière ne peut se cacher derrière l’exploitant titré pour une autre installation sur le même site.
D’ailleurs et selon le juge administratif dès lors qu’une installation est régulièrement autorisée, l’exploitant responsable, au regard de la police administrative, de ne pas s’être conformé à un arrêté de mise en demeure de respecter des prescriptions de fonctionnement ou de remise en état ne pourra être que le titulaire du titre (CE 29 mars 2010, communauté de commune de Fécamp, req. n° 318886 ; CE 6 décembre 2012, société Arcelormittal France, req. n° 333977) et non, son prestataire en charge des opérations d’exploitation.

Dans l’arrêt commenté, la Chambre criminelle a confirmé l’arrêt de la Cour d’appel qui a jugé, en substance, que le prestataire de services d’exploitation d’une ICPE (ici, le titulaire d’un marché public) ne pouvait se soustraire à la responsabilité pénale résultant de l’absence de titre d’autorisation en faisant valoir qu’il n’agirait qu’en qualité de simple exécutant. Au soutien cette solution, la Cour d’appel a considéré non seulement jugé que le prestataire, spécialisé dans le traitement des déchets, avait la qualité d’exploitant sur le site (cf. supra) mais aussi que

• le dirigeant de la société prestataire était un professionnel de l’environnement et ne pouvait méconnaître la réglementation applicable ;
• le prestataire avait délibérément laissé se poursuivre les activités non autorisées sur le site.
• il appartenait au prestataire, avant de contracter avec la personne publique, de vérifier que cette dernière disposait bien des autorisations requises.

La particularité de la présente affaire tient sans nul doute au fait que la personne publique cocontractante (un syndicat intercommunal) disposait d’un titre d’autorisation pour exploiter une partie des installations présentes sur le site lui appartenant. Elle avait conclu un marché public de service avec un prestataire, portant non seulement sur l’exploitation de l’installation « couverte » par le titre d’autorisation (un centre de stockage de déchets ménagers), mais également sur l’exploitation de deux installations non autorisées (une installation de compostage et une station de transit d’ordures ménagères). Le titulaire du marché a été poursuivi et condamné pour l’exploitation non autorisée de ces deux dernières installations.

Le principal enseignement à tirer de cet arrêt tient au fait qu’avant de déposer son offre, un candidat à l’attribution d’un marché public (ou d’une délégation de service public) portant sur l’exploitation d’une I.C.P.E. doit auditer avec la plus grande attention la conformité des autorisations détenues par la personne publique adjudicatrice à la législation relative aux I.C.P.E.. En effet, il s’infère de l’arrêt commenté que si la personne publique ne dispose pas des autorisations requises, son cocontractant s’expose à des sanctions pénales. Le cas échéant, le candidat aurait tout intérêt à ne pas participer à la consultation.