Serres photovoltaïques: le juge vérifie au cas par cas le lien direct avec l’exploitation agricole (CAA Marseille, 3 avr.2015)

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Stéphanie Gandet (Green Law Avocat)

Dans un arrêt intéressant, la Cour administrative d’appel de Marseille (CAA Marseille, 3 avril 2015, n°13MA02539) confirme que le simple fait d’implanter en toiture une centrale solaire ne fait perdre à une serre son lien avec l’activité agricole. Mais c’est l’occasion également de se rendre compte du caractère très concret du contrôle opéré par le juge quant à la qualification agricole de ce type de bâtiment, dans un contexte où les grandes productions (maraichères et horticoles notamment) sous serres représentent une solution d’optimisation du foncier et de valorisation des terres agricoles.

Les faits étaient simples : une société s’était vue refuser en 2011 par un Maire la délivrance d’un permis de construire pour l’implantation de serres agricoles intégrant une unité de production photovoltaïque au sein d’un projet de Land Art, et le Tribunal administratif de NIMES avait rejeté sa demande d’annulation.

Saisie en appel, la Cour administrative d’appel de MARSEILLE a considéré que l’arrêté de refus était illégal car la construction de serres agricoles était bien admise dans la zone NC qui prévoyait ici une constructibilité limitée aux ouvrages directement liés aux activités agricoles en ces termes :

« le paragraphe liminaire consacré au caractère de la zone NC, qui éclaire les dispositions réglementaires du plan d’occupation des sols communal, la définit comme englobant « des espaces naturels à protéger en raison de la valeur économique des sols et du sous-sol. Elle est réservée au maintien et au développement d’activités agricoles ainsi qu’à l’exploitation de carrières et doit à ce titre être protégée de toute occupation et utilisation des sols non liées directement à ce type d’activité » ; qu’aux termes de l’article NC 1 de ce règlement, relatif aux occupations et utilisations du sols admises : « Sont admis (…) : (…) 3) les serres de production ; (…) » ; qu’aux termes de l’article NC 2 du même règlement : « Sont interdites toutes les formes d’utilisation et d’occupation des sols non mentionnées à l’article NC 1 ci-dessus. » »

La jurisprudence de la CAA de Marseille s’inscrit pleinement dans la méthodologie du juge administratif en matière de constructibilité de bâtiments agricoles dotés de toiture solaire.

Premièrement, il est de principe que le simple fait d’implanter en toiture une centrale photovoltaïque ne peut faire perdre à la construction son caractère agricole. La toiture est en effet vue comme un accessoire de la destination principale.

Deuxièmement et surtout, le juge vérifie au cas par cas, en fonction des pièces qui lui sont soumises, si la construction a bien un usage agricole. C’est en la matière que la rédaction du règlement des documents d’urbanisme locaux peut faire varier les solutions jurisprudentielles car le lien requis entre la construction et l’activité est parfois qualifié de « nécessaire », de « directement lié », voir « d’indispensable ».

En l’espèce, le POS prévoyait seulement que les constructions devaient être directement liées à l’activité agricole.

La Cour procède alors à une analyse de l’usage futur des constructions et il est intéressant de noter qu’elle s’attache à un faisceau d’indices :

  • le montage contractuel entre le pétitionnaire (une SARL dédiée au solaire, soit la SPV) et les sociétés d’exploitation agricole qui bénéficieront d’un bail.
  • le projet de production agricole permis par la construction des serres et les incidences financières attendues pour chacune des sociétés agricoles. Les pièces comptables sont ici essentielles et il sera recommandé au pétitionnaire de présenter des documents solides et validés par un tiers (comptable, expert comptable) ;
  • les pièces produites par l’administration pour éventuellement réfuter la qualification de bâtiments directement liée à l’activité agricole. En l’espèce, le Maire se contentait de se prévaloir d’un avis de la Chambre d’agriculture indiquant qu’ « un retour d’expériences suivies par l’INRA de Sophia Antipolis montrerait les limites à l’exploitation de serres photovoltaïques pour la production agricole ». La Cour a ainsi considéré que le Maire ne contredisait pas utilement la démonstration du pétitionnaire du permis de construire.

« Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que le terrain d’assiette du projet est composé de parcelles, d’une superficie totale de quelques 22 hectares, qui sont la propriété d’une structure dont l’un des associés, M.B…, exploite le domaine viticole des Aveylans, classé en appellation d’origine contrôlée  » Costières de Nîmes  » ; que le projet consiste à installer sur ce terrain, que la pétitionnaire SARL Art Solar se propose d’acquérir, 90 948 m² de serres qui seront ensuite données à bail à trois exploitants agricoles ; qu’ainsi, la SCEA  » Château des Aveylans  » prévoit d’en exploiter 4 hectares en vue d’y développer, en agriculture biologique, des cultures de fruits et légumes, lesquelles permettraient à la SCEA, en se diversifiant tout en poursuivant une exploitation du domaine viticole sur 10 hectares, de se procurer, selon le compte prévisionnel d’exploitation versé au dossier, un résultat net annuel de l’ordre de 108 000 euros sur les quatre premières années en employant huit à dix personnes ou équivalents temps plein ; que l’EARL  » Terres Longues « , prévoit d’exploiter également quatre autres hectares de serres pour y produire principalement, en primeur, 200 tonnes de melon supplémentaires par rapport à sa production actuelle, que le gérant de l’EARL écoule sans difficulté ; que, d’après le compte prévisionnel versé au dossier, cette production supplémentaire générerait un résultat net annuel de l’ordre de 120 000 euros sur les quatre premières années ; qu’enfin, la SARL Equateur, gérée par le même ingénieur agronome exploitant la SCEA  » Château des Aveylans « , se propose d’utiliser l’hectare de serres restant en recherche et développement dans l’agriculture biologique ;

  1. Considérant que la commune ne conteste pas utilement l’ensemble de ces éléments en se bornant à produire un avis de la chambre d’agriculture du Gard daté du 3 janvier 2011 selon lequel  » un retour d’expériences suivies par l’INRA de Sophia Antipolis montrerait les limites à l’exploitation de serres photovoltaïques pour la production agricole  » ; que, par suite, la destination agricole de ces serres ne peut être regardée comme dénaturée par l’installation des panneaux photovoltaïques qui en constituent la couverture ; que la circonstance que l’électricité produite par les serres ne servira pas seulement à leur fonctionnement, mais également à alimenter le réseau de distribution publique n’enlève rien au fait que ces serres participeront, conformément à la vocation de la NC sus-rappelée, au maintien d’une activité agricole sur le terrain d’assiette du projet, alors qu’en raison des difficultés de la filière viticole, la SCEA  » Château des Aveylans  » a arraché 20 hectares de vignoble sur les 30 existants en 2003 ;»

Enfin, et c’est une particularité de ce dossier, la Cour considère que le fait qu’un projet de Land Art soit également prévu n’ôte pas aux serres leur lien direct avec l’activité agricole :

« Considérant que la destination agricole du projet ne peut pas non plus être mise en doute par le fait que le projet comporte également la création, d’une part de 600 m² de locaux comprenant sanitaires, vestiaires et téléphones/fax, d’autre part de places de stationnement qui couvrent une superficie totale de 3530 m², soit moins de 4% de la superficie couverte par les serres, et qui sont présentés comme nécessaires notamment aux véhicules de transport des marchandises pour le chargement et déchargement des cultures ; que si le projet prévoit par ailleurs 9 hectares de surfaces plantées avec différentes essences de plantes et fleurs mellifères, ces espaces plantés ne peuvent pas être regardés comme une utilisation des sols non liée directement à l’activité agricole, quand bien même les graminées, romarins et lavandes, qui les composeront en partie, seront plantés sous forme de végétation structurée inscrivant le site des serres photovoltaïques dans une démarche qui se veut également artistique, relevant du Land Art ; ».

 

C’est ainsi que le refus de permis ainsi que le jugement du Tribunal sont annulés par la Cour.

En revanche, le pétitionnaire ne semble pas avoir demandé l’injonction de délivrer le permis ni même de statuer à nouveau sur la demande, alors qu’il lui appartient d’en faire la demande s’il souhaite que la juridiction prononce une telle injonction (articles L911-1 et L911-2 du code de justice administrative). Cette omission a des conséquences limitées cependant, puisque l’article L 600-2 du code de l’urbanisme permet, indépendamment d’une éventuelle injonction, à un pétitionnaire de confirmer sa demande de permis et ainsi bénéficier des règles alors applicables à la date du refus annulé.

« Considérant qu’il résulte de ces dispositions qu’une demande d’autorisation confirmée par le pétitionnaire dans le délai de six mois suivant la notification du jugement d’annulation d’une décision de refus permet, sans exclusive, de bénéficier des dispositions d’urbanisme applicables à la date de la décision annulée ; que la circonstance que, dans ce délai et avant confirmation de la demande par le pétitionnaire, une décision a été régulièrement prise sur le fondement des dispositions d’urbanisme applicables postérieurement à la date d’intervention de la décision annulée est sans incidence sur l’exercice du droit garanti par l’article L. 600-2 ; qu’il convient toutefois de préciser que la circonstance que l’annulation d’un refus d’autorisation de construire soit assortie d’une injonction au maire de procéder à un réexamen de la demande, n’exonère pas le pétitionnaire qui entend conserver le bénéfice de ces dispositions, de l’obligation qui lui incombe, en vertu des mêmes dispositions, de devoir confirmer sa demande ou sa déclaration dans les six mois suivant la notification de l’annulation ; (CAA Marseille, 29/01/2010, n°07MA04472 ; voir aussi CAA Marseille, 18 octobre 2013, n°12MA02154 ; CAA Marseille, 26 mai 2014, n°12MA00113) ;

 

Il ne pourra donc qu’être recommandé de:

  • bien noter le délai de 6 mois qui court à compter de la notification au pétitionnaire de la décision annulant le refus de permis de construire, afin de confirmer la demande de permis ;
  • se ménager les preuves des règles de droit et des circonstances de fait existant à la date du premier refus afin d’anticiper sur un éventuel nouveau refus. Il est courant en effet de voir des autorités d’urbanisme (Maire ou Préfet) chercher à gagner du temps en opposant un second refus, fut-il illégal.