Sanction administrative : la suspension suspendue

Par Maître David DEHARBE (Green Law avocats)

Le contentieux des sanctions administratives est difficile, particulièrement en référé. Il a permis devant le Tribunal administratif de Toulouse un succès qui mérite d’être relevé.

Par une ordonnance du 2 octobre 2020 (consultable ici),  le juge du référé-liberté du Tribunal administratif de Toulouse suspend un arrêté de la préfète du Tarn fermant un parc animalier en urgence, sans mise en demeure préalable.

En l’espèce, la préfète du Tarn, par un arrêté du 22 octobre 2020, avait ordonné la fermeture d’un parc zoologique ainsi que le transfert des animaux de la faune sauvage captive, ceci dans un délai d’un mois.  Pour prononcer la fermeture et le transfert, l’autorité de police s’est fondée sur un rapport d’inspection réalisé le 19 octobre 2020 ayant relevé plusieurs non-conformités :

  • D’une part, au titre de la santé et de la protection animale, notamment en matière de conditions de détention, d’alimentation des animaux de la faune sauvage captive et domestiques
  • D’autre part, au titre de l’entretien général du parc, des enclos et autres lieux de détention des animaux
  • Enfin, au titre de la sécurité physique et sanitaire des visiteurs.

Le 26 octobre 2020, la SARL Parc zoologique des trois vallées et la SARL Zoo-parc des félins des trois vallées saisissent le juge des référé afin de suspendre cet arrêté. 

Le référé liberté permet, en vertu de l’article L521-1 du Code de justice administrative de demander au juge de prendre en urgence une mesure nécessaire à la sauvegarde des libertés fondamentales si l’administration y porte atteinte de manière grave et illégale.

Afin que le recours référé liberté soit accepté il faut donc réunir trois critères :

  • Justifier de l’urgence ;
  • Montrer qu’une liberté fondamentale est en cause ;
  • Montrer que l’atteinte portée à cette liberté est grave et manifestement illégale.

Les requérants justifaient la condition d’urgence nécessaire à la saisine du juge des référés par le fait que cet arrêté préjudicie de manière extrêmement grave et immédiate à leurs intérêts, notamment car la fermeture du parc entraine des conséquences économiques difficilement réparables pour les sociétés qui exploitent et détiennent cet établissement. 

La requête est instruite de façon accélérée, le juge des référés, statuant comme juge unique, doit se prononcer dans les 48h du dépôt de la requête.

En l’espèce le juge des référés rappelle qu’il « est de jurisprudence constante que la condition d’urgence est satisfaite quand un acte administratif a pour conséquence d’entraîner des conséquences économiques difficilement réparables ».

En effet, le Conseil d’État considère que la condition d’urgence posée à l’article L. 521-2 du Code de justice administrative doit être regardée comme remplie lorsque l’équilibre financier d’une entreprise est menacé à brève échéance (CE 28 oct. 2011, SARL PCRL Exploitation, req. n° 353553).

Et pour le juge toulousain « Dès lors, l’arrêté, dont la suspension est demandée, préjudicie de manière grave et immédiate aux intérêts des sociétés requérantes en ce qu’il porte atteinte à la liberté d’entreprendre et à la liberté du commerce et de l’industrie. Par suite, la condition d’urgence doit être regardée comme se trouvant satisfaite ».


Mais on le sait, le référé liberté, encore dit référé-sauvegarde, se singularise encore et surtout par son exigence d’une l’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :

La notion de liberté fondamentale n’est pas définie par le Code de justice administrative. Si elle est employée aussi bien par le Conseil constitutionnel, par la Cour européenne des droits de l’homme ainsi que par les juridictions judiciaires, le Conseil d’État n’en adopte pas une définition précise mais, limite la portée de sa jurisprudence casuistique en précisant qu’une liberté est ou non fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative.

Le droit de propriété est garanti par l’article 1er du premier protocole additionnel à la

convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi que par l’article 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.  Le Conseil d’État considère logiquement que le droit de propriété a le caractère d’une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative (CE, ord., 31 mai 2001, Commune d’Hyères-les-Palmiers, req. no 234226).


Le Conseil d’État a également reconnu à plusieurs reprises le caractère de libertés fondamentales à la liberté d’entreprendre et la liberté du commerce et de l’industrie qui en est une composante (CE, ord., 12 nov. 2001, Commune de Montreuil-Bellay, req. n° 239840 ; CE, ord., 25 avr. 2002, Sté Saria Industries, req. n° 245414 ; CE 26 mai 2006, Sté du Yatcht Club International de Marina Baie-des-Anges, req. n° 293501).

Au vue de cette jurisprudence il est donc logique que le juge des référés du TA de Toulouse considère que le droit de propriété ainsi que de la liberté d’entreprendre et de la liberté du commerce et de l’industrie sont des libertés fondamentales au sens de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative.

Des restrictions peuvent néanmoins s’opérer sur ces libertés fondamentales lorsque l’intérêt général le justifie.

Le juge précise : « Il en ressort que le respect de la liberté du commerce et de l’industrie impose que les personnes publiques n’apportent pas aux activités de production, de distribution ou de services exercées par des tiers des restrictions qui ne seraient pas justifiées par l’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi. ».

En l’espèce, l’article 206-2 du Code rural et de la pêche maritime était d’ailleurs invoqué par la préfète : « I. – Lorsqu’il est constaté un manquement aux dispositions suivantes (…) et sauf urgence, l’autorité administrative met en demeure l’intéressé de satisfaire à ces obligations dans un délai qu’elle détermine. Elle l’invite à présenter ses observations écrites ou orales dans le même délai en se faisant assister, le cas échéant, par un conseil de son choix ou en se faisant représenter. Si, à l’expiration de ce délai, l’intéressé n’a pas obtempéré à cette injonction, ou sans délai en cas d’urgence, l’autorité administrative peut ordonner la suspension de l’activité en cause jusqu’à ce que l’exploitant se soit conformé à son injonction. / II. – L’autorité administrative peut aussi, dans les mêmes conditions, suspendre ou retirer provisoirement ou définitivement le certificat de capacité ou l’agrément permettant l’activité en cause. / III. – Pendant la période de suspension de l’activité, l’intéressé est tenu d’assurer l’entretien des animaux qu’il détient ».


Le Code de l’environnement apporte également des restrictions, l’article L413-5 énonce : « Indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées en application du présent titre, des mesures administratives pouvant aller jusqu’à la fermeture de l’établissement peuvent être prescrites par l’autorité administrative. »

Les articles R413-48, R413-49 et R413-50 viennent préciser les modalités d’application de ces sanctions administratives (consistant pour l’essentiel, dans le cas de la police de la détention d’animaux captifs, en la suspension de l’activité et du certificat de capacité) , dont  sont friandes les polices environnementales.

Classiquement l’article R413-48  du code impose notamment au préfet de mettre au préalable en demeure l’exploitant de satisfaire à ses prescriptions techniques et de se conformer à ces règles dans un délai déterminé.

La mise en demeure de l’exploitant est donc une obligation pour le préfet. Mais en l’espèce,

la fermeture de l’établissement des requérants et le transfert des animaux ont été décidés en urgence sans mise en demeure, au motif qu’il convenait selon l’Inspection vétérinaire et Madame la Préfète de « faire cesser le risque encouru par les visiteurs en période de vacances scolaires »

Cependant, le juge des référé constate que ce rapport vétérinaire n’établit pas le risque allégué que pourrait encourir les visiteurs du parc : « Il résulte de l’instruction et des débats que la fermeture de l’établissement des requérants et le transfert des animaux ont été décidés en urgence, au motif qu’il convenait de « faire cesser le risque encouru par les visiteurs en période de vacances scolaires » sans mise en demeure sur le fondement du rapport d’inspection vétérinaire du 19 octobre 2020 qui démontrerait la réalité des non-conformités reprochées aux sociétés requérantes. Toutefois ce rapport d’inspection vétérinaire, qui n’est pas produit aux débats de façon complète, n’établit pas le risque allégué que pourraient encourir les visiteurs du parc. »

Dès lors pour le juge des référés du Tribunal administratif la suspension s’impose :  en ayant ordonné la fermeture de l’établissement sans mettre en demeure la société exploitante de se conformer à ses obligations réglementaires, alors que le dossier ne démontre pas l’existence du risque allégué encouru par les visiteurs éventuels du parc, l’arrêté litigieux s’avère entaché manifestement d’une illégalité qui porte atteinte aux libertés publiques.

Le juge des référé suspend donc l’arrêté du 22 octobre 2020.

Cette affaire nous démontre que le contentieux des sanctions administratives trouvant leur fondement dans le code de  l’environnement peut, même en référé, s’avérer pertinente,  lorsque les préfets se réclament arbitrairement d’un risque sanitaire et plus largement pour l’ordre public environnemental.

Le juge demeure ainsi le garant contre l’arbitraire administratif, d’ailleurs de plus en plus fréquent ces derniers mois, en rappelant que les restrictions aux libertés fondamentales par des personnes publiques doivent être justifiées par l’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi.