Le Conseil d'étatPar une décision en date du 23 octobre dernier, le Conseil d’État a précisé que le juge exerce un contrôle entier sur l’intérêt général d’un projet à l’origine de la révision simplifiée d’un document d’urbanisme (PLU ou POS).

En l’espèce, une commune avait mis en œuvre la révision simplifiée de son POS afin de permettre une opération privée ayant vocation à répondre à la demande de logements dans la commune. Plus précisément, cette révision devait placer en zone constructible la partie haute du parc d’un château auparavant classée en zone naturelle à protéger.

La commune avait agi sur le fondement des anciennes dispositions de l’article L. 123-13 du code de l’urbanisme, aux termes duquel la révision simplifiée n’était permise qu’à condition :

  • d’avoir pour seul objet la réalisation d’une construction ou d’une opération à caractère public ou privé ;
  • et que cette construction ou opération présente un intérêt général notamment pour la commune ou toute autre collectivité.

On notera que l’ordonnance n° 2012-11 du 5 janvier 2012 a remplacé la procédure de révision simplifiée par celle de mise en compatibilité prévue à l’article L. 123-14 du même code.

La décision commentée reste toutefois d’actualité, puisque :

–        d’une part, les nouvelles dispositions ont gardé le critère de l’intérêt général ;

–        d’autre part, les révisions simplifiées engagées avant le 1er janvier 2013 sur le fondement de l’article L. 123-13 peuvent être poursuivies après cette date (Rép. min. n° 2364 : JO Sénat Q, 3 janv. 2013, p. 26).

En l’espèce, la Cour administrative d’appel de Lyon avait annulé la délibération approuvant la révision au motif notamment que l’opération envisagée était dépourvue d’intérêt général (CAA Lyon, 12 avril 2011, n°09LY02545). Les juges d’appel avaient en effet relevé que d’autres zones, classées NA, étaient susceptibles de répondre aux besoins de la commune pour le projet litigieux, et qu’il n’était ni établi, ni même allégué que l’initiative privée serait défaillante sur les secteurs restant à ouvrir à l’urbanisation :

« Considérant que, s’il est vrai que le secteur en cause est placé dans la continuité du tissu urbain existant et que la commune enregistre une forte demande de logements, les requérants soutiennent sans être contredits que des zones NA, dont la commune a d’ailleurs pour partie la maîtrise foncière, restent à ouvrir à l’urbanisation et sont aptes à répondre aux besoins de la commune en la matière ; que, dans ces conditions, alors qu’il n’est pas allégué que l’initiative privée serait défaillante sur les secteurs restant à ouvrir à l’urbanisation, l’ouverture à l’urbanisation dudit secteur appartenant essentiellement à un seul propriétaire pour une opération de construction ne présentant pas de caractéristiques particulières, ne peut être regardée comme constituant, au sens des dispositions précitées de l’article L. 123-13 du code de l’urbanisme, une opération à caractère privé présentant un intérêt général justifiant l’emploi de la procédure de révision simplifiée ; que les requérants sont, par suite, fondés à soutenir que la délibération litigieuse est intervenue à l’issue d’une procédure irrégulière ; »

La commune s’étant pourvue en cassation contre cet arrêt, le Conseil d’Etat affirme que, compte-tenu de l’objet et de la portée de la procédure de révision simplifiée (qui permet de déroger aux exigences de la procédure de révision),  le contrôle exercé par le juge sur le caractère d’intérêt général de l’opération projeté doit être entier, et non restreint (c’est dire que la marge de manœuvre de l’autorité d’urbanisme est moindre que si le contrôle du juge était « restreint ») :

« Considérant qu’eu égard à l’objet et à la portée d’une révision simplifiée du plan local d’urbanisme, qui permet notamment d’alléger les contraintes procédurales s’imposant à la modification de ce document, il appartient à l’autorité compétente d’établir, de manière précise et circonstanciée, sous l’entier contrôle du juge, l’intérêt général qui s’attache à la réalisation de la construction ou de l’opération constituant l’objet de la révision simplifiée, au regard notamment des objectifs économiques, sociaux et urbanistiques poursuivis par la collectivité publique intéressée ; »

La Haute Juridiction confirme ensuite l’appréciation de la Cour administrative d’appel, et retient le défaut d’intérêt général de l’opération :

« Considérant que c’est au terme d’une appréciation souveraine des pièces du dossier exempte de dénaturation que la cour a relevé, d’une part, que si le secteur rendu constructible par la révision simplifiée se situait dans la continuité du tissu urbain existant et que la commune enregistrait une forte demande de logements, les zones NA, dont la commune avait d’ailleurs pour partie la maîtrise foncière, restaient à ouvrir à l’urbanisation et étaient aptes à répondre aux besoins de la commune en la matière, et d’autre part, qu’il n’était pas allégué que l’initiative privée serait défaillante sur les secteurs restant à ouvrir à l’urbanisation et que l’ouverture à l’urbanisation du secteur en cause appartenant essentiellement à un seul propriétaire pour une opération de construction ne présentait pas de caractéristiques particulières ; qu’il résulte de ce qui a été dit au point 4 qu’en prenant en compte ces divers éléments pour apprécier la légalité de la délibération litigieuse, la cour, dont l’arrêt est suffisamment motivé sur ce point, n’a pas commis d’erreur de droit ; qu’en écartant, compte tenu de ces circonstances, l’existence d’un intérêt général de nature à justifier le recours à cette procédure, la cour n’a pas entaché son arrêt d’une erreur de qualification juridique ; »

Il résulte de cette décision que les autorités procédant à une révision simplifiée ou à une mise en compatibilité doivent être extrêmement vigilantes à la caractérisation de l’intérêt général justifiant la procédure engagée, ne serait-ce que parce qu’il s’agit d’une procédure allégée, donc dérogatoire : Exceptio est strictissimae interpretationis (l’exception est d’interprétation très stricte).

 Ainsi que le rappelle le Conseil d’Etat, cette caractérisation doit en effet être « précise et circonstanciée ».

Lou Deldique

Green Law Avocat