Feeding titmousesPar une intéressante décision n°13NC00141 en date du 13 février 2014, consultable ici, la cour administrative d’appel de Nancy prend position sur l’étendue des prescriptions que peut prendre l’Etat lors de la cessation d’activité d’une installation classée.

En effet, à l’occasion de la remise en état du site par l’exploitant, le Préfet peut, en vertu des dispositions de l’article R. 512-66-2 du code de l’environnement, prendre des arrêtés imposant toute mesure nécessaire à la protection des intérêts mentionnés à l’article L. 511-1, dont fait notamment partie la protection de la nature.

En l’espèce, une association de protection des oiseaux (la Ligue pour la protection des oiseaux de Champagne-Ardenne) avait attiré l’attention du Préfet de Champagne-Ardenne sur le fait que la mise à l’arrêt d’une sucrerie industrielle entre 2007 et 2009 avait eu pour conséquence de nuire à la richesse écologique du site.

Il peut sembler paradoxal que la cessation d’une activité industrielle puisse avoir des conséquences néfastes pour l’environnement, mais l’association faisait valoir que les bassins de décantation de l’exploitation présentaient un intérêt certain pour les oiseaux, qui s’y nourrissaient d’eaux à forte teneur nutritive.

L’association avait donc demandé au Préfet :

–          de l’indemniser des préjudices qu’elle estimait avoir subis du fait de la disparition des bassins de décantation après cession du terrain à un agriculteur qui les avait supprimés ;

–          de prescrire des mesures de remise en état du site afin de rétablir son équilibre écologique.

Il convient de préciser que le seul moyen de rétablir l’attractivité de la zone pour les oiseaux aurait été de maintenir l’activité industrielle. La cour administrative devait donc déterminer si une telle mesure pouvait être exigée par l’Etat ;

Les juges d’appel apportent une réponse négative à cette question.

Ainsi, ils considèrent tout d’abord  que le préfet ne pouvait légalement imposer une poursuite de l’activité industrielle, ni une mesure de remise en état tendant à la conservation des bassins, dès lors que la démolition avait été faite par le nouveau propriétaire du terrain et non par l’exploitant :

« Considérant, d’une part, que la Ligue pour la protection des oiseaux de Champagne-Ardennes soutient que, lors de l’arrêt de l’exploitation de la sucrerie, par la société Saint-Louis Sucre en 2001 et par la société Ardennes Chicorées SAS en 2007, le préfet des Ardennes aurait dû leur imposer le maintien de l’alimentation en eaux à forte teneur nutritive des bassins de décantation afin d’en maintenir l’attractivité pour les oiseaux qui les fréquentaient ; que ce résultat ne pouvant être atteint que par un maintien de l’exploitation industrielle de la sucrerie, le préfet des Ardennes ne pouvait légalement imposer de telles prescriptions à la société Saint-Louis Sucre et à la société Ardennes Chicorées SAS qui souhaitaient cesser leur activité ; 

Considérant, d’autre part, qu’il est constant que les bassins de décantation n° 1 à n° 9 de la sucrerie, qui constituaient le biotope des espèces d’oiseaux dont l’association appelante assure la protection, ont été vendus en 2009 à un agriculteur qui les a supprimés n’en ayant plus l’usage ; qu’en application des dispositions du dernier alinéa de l’article R. 512-39-4 du code de l’environnement, dont l’appelante invoque à juste titre l’application, le préfet des Ardennes ne pouvait imposer ni à la société Saint-Louis Sucre, ni à la société Ardennes Chicorées SAS des mesures complémentaires relatives à la remise en état du site, postérieurement à l’arrêt de l’exploitation de la sucrerie, dès lors qu’il n’est pas soutenu que lesdites sociétés auraient été à l’origine du changement d’usage du site et donc de la destruction des bassins de décantation ; »

Aucune faute n’a donc été commise par le Préfet dans l’exercice de ses pouvoirs de police des ICPE.

La Cour juge donc que le pouvoir de police du Préfet, qui, aux termes de l’article R. 512-66-2 du code de l’environnement, peut pourtant s’exercer «  à tout moment, même après la remise en état du site », ne va pas jusqu’à lui permettre d’imposer le maintien de l’activité. On remarquera au passage que cette demande faite par une association au nom du maintien d’un équilibre écologique qu’elle requalifie de zone humide, pour constituer un habitat favorable à une espèce protégée, n’est pas moins issue et tributaire d’une activité industrielle ; cela démontre une fois de plus combien l’environnement est une « notion caméléon » (M. Prieur) où les rapports entre l’homme et la nature sont complexes.

On retiendra également de cette décision que l’ancien exploitant ne peut être tenu responsable de l’action du nouveau propriétaire lorsque celle-ci a eu un effet négatif sur les écosystèmes du site. Cette solution a un fondement réglementaire certain acquis depuis l’intervention du décret d’application de la loi Bachelot sur ce point : « En cas de modification ultérieure de l’usage du site, l’exploitant ne peut se voir imposer de mesures complémentaires induites par ce nouvel usage sauf s’il est lui-même à l’initiative de ce changement d’usage » (inséré par l’article 12 du  décret n°2005-1170 du 13 septembre 2005 – JORF 16 septembre 2005 – à l’article 34-4 du décret procédure du 21 septembre 1977, puis codifié par l’alinéa 2 de l’article R512-39-4 du code de l’environnement). Ainsi celui qui change la destination du terrain d’assiette de l’ancienne exploitation devient débiteur de second rang de l’obligation de remise en état  C’est bien la seule solution certaine qu’ait posée le pouvoir réglementaire, la jurisprudence du Conseil d’Etat s’efforçant d’articuler des obligations du détenteur du site avec celles de l’ancien exploitant. Il avait en effet été jugé que le Préfet peut, au titre des installations classées, imposer la remise en état à tout détenteur d’un bien qui a été le siège de l’exploitation d’une installation classée, mais que la charge financière de la remise en état ne s’impose pas au détenteur du site qui n’a pas la qualité d’exploitant, d’ayant droit de l’exploitant ou qui ne s’est pas substitué à lui en qualité d’exploitant  (CE, 23 mars 2011, n° 325618 ; CE, 8 juill. 2005, n° 247976 ; CAA Bordeaux, 5e ch., 7 mai 2007, n° 03BX01955).

Pour fonder la méconnaissance fautive du droit des installations classées, l’association requérante prétendait encore fonder son action indemnitaire sur la violation par l’Etat de ses obligations communautaires. Mais dans un considérant assez tautologique qui méritera un commentaire plus approfondi, la Cour  rétorque que ce n’est pas que le défaut d’étude n’est pas la cause directe du préjudice que l’association dit avoir subi : « Considérant que, depuis 2003, les bassins de décantation de la sucrerie de Saint-Germainmont appartiennent à la zone de protection spéciale  » Vallée de l’Aisne, en aval de Château Porcien « , créée en application des dispositions de l’article L. 414-1 du code de l’environnement et formant un site Natura 2000 ; qu’en admettant que les travaux réalisés en 2009 par l’exploitant agricole qui a arasé et nivelé les levées de terres constituant les bassins de décantation n° 1 à n° 8 aient conduit à l’assèchement d’une zone humide, opération soumise à autorisation au sens des dispositions des articles L. 214-3 et R. 214-1 du code de l’environnement, et qu’ils devaient, de ce fait, faire l’objet d’une évaluation de leurs incidences éventuelles au regard des objectifs de conservation des sites Natura 2000 qu’ils étaient susceptibles d’affecter de façon notable, en application des articles L. 414-4 et R. 414-19 du code de l’environnement, la faute commise par le préfet des Ardennes, qui, d’après l’appelante, n’aurait pas prescrit fautivement une telle évaluation, n’est pas de manière directe et certaine la cause directe du préjudice dont elle demande réparation et qui consiste en la baisse de fréquentation du site par certaines espèces d’oiseaux ». Pourtant l’association posait très justement le problème de l’inscription des mesures compensatoires de remise en état dans une évaluation Natura 2000 préalable conditionnant l’exercice du pouvoir de police.

Enfin l’association tentait d’obtenir l’engagement de la responsabilité de l’Etat à raison de « certains dommages causés à l’environnement » au sens des dispositions du titre VI du livre Ier du code de l’environnement. Ici la Cour rappelle que la loi n°2008-757 du 1er août 2008 a choisi de transposer le droit communautaire afférent au préjudice environnemental non par un mécanisme de réparation mais de police, qui contient sur le strict terrain de la prévention la reconnaissance du préjudice écologique pure en droit administratif : « Considérant qu’aux termes de l’article L. 161-1 du code de l’environnement :  » I. Constituent des dommages causés à l’environnement au sens du présent titre les détériorations directes ou indirectes mesurables de l’environnement qui : (…) 3° Affectent gravement le maintien ou le rétablissement dans un état de conservation favorable : a) Des espèces visées au 2 de l’article 4, à l’annexe I de la directive 79/409/CEE du Conseil, du 2 avril 1979, concernant la conservation des oiseaux sauvages et aux annexes II et IV de la directive 92/43/ CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages ; b) Des habitats des espèces visées au 2 de l’article 4, à l’annexe I de la directive 79/409/CEE du Conseil, du 2 avril 1979, précitée et à l’annexe II de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, précitée ainsi que des habitats naturels énumérés à l’annexe I de la même directive 92/43 CEE du Conseil, du 21 mai 1992 ; c) Des sites de reproduction et des aires de repos des espèces énumérées à l’annexe IV de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, précitée (…) ; les articles L. 162-3 et suivants du même titre prévoient les modalités selon lesquelles sont prévenus ou réparés, par leurs auteurs, lesdits dommages ; qu’aux termes de l’article L. 162-2 du même code :  » Une personne victime d’un préjudice résultant d’un dommage environnemental ou d’une menace imminente d’un tel dommage ne peut en demander réparation sur le fondement du présent titre  » ; Considérant qu’en application de ces dernières dispositions, la Ligue pour la protection des oiseaux de Champagne-Ardenne n’est pas recevable à demander la condamnation de l’Etat à réparer le préjudice moral ou  » écologique  » que lui aurait causé son inertie dans la mise en œuvre des dispositions du titre VI du livre Ier du code de l’environnement ».

Maître Lou DELDIQUE  (Green Law Avocat)