supermarchéL’arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Douai le 27 juin 2013 est intéressant à plusieurs points de vue. Il concernera en particulier les entreprises dont l’activité pourrait être impactée par l’implantation d’un concurrent à proximité, et qui a reçu à cette fin une autorisation de construire.

En l’espèce, une société de produits alimentaires avait obtenu un permis de construire pour un magasin situé à 30mètres d’un autre magasin appartenant à une société de grande distribution . Le propriétaire exploitant du magasin existant a alors demandé au Tribunal administratif de Lille d’annuler le permis de construire.

En première instance, le Tribunal administratif a jugé la requête irrecevable au motif que la décision était « inexistante ». En réalité, le permis tacite qui est intervenu en cours d’instance n’avait pas été pris en compte par les premiers juges.

Dès lors, nous dit la Cour, si le requérant attaque un acte qui intervient en cours d’instance (comme un permis tacite qui nait au cours de la procédure), sa requête est régularisée. L’arrêt de la Cour censure donc tout d’abord le jugement en ce sens.

Mais même recevable sur ce terrain , encore fallait il que la société requérante présente un intérêt à agir pour contester le permis obtenu par la concurrente.

Et sur ce point, la Cour indique, par un considérant de principe qu' »en dehors du cas où les caractéristiques de la construction envisagée sont de nature à affecter par elles-mêmes les conditions d’exploitation d’un établissement commercial, [une société] ne justifie pas d’un intérêt à contester devant le juge de l’excès de pouvoir un permis de construire délivré à une entreprise concurrente, même située à proximité ; »

Cette décision, qui a les honneurs d’une publication aux lettres de la Cour administrative d’appel, rappelle ainsi deux éléments importants:

  • la seule qualité de propriétaire du magasin ne donne pas un intérêt à agir contre le permis obtenu par un concurrent;
  • quant à la qualité d’exploitante du magasin, il faut, pour être recevable, prouver que le permis obtenu par le concurrent soit de nature à affecter les conditions d’exploitation de l’établissement commercial.

Or, en l’espèce, il ressort de l’arrêt que la société concurrente se bornait à « faire état de l’accroissement du flux de circulation induit par la nouvelle construction, la SOCIETE AUCHAN FRANCE n’établit pas que celui-ci serait susceptible d’affecter les conditions d’exploitation de son commerce ; ».  A cet égard donc, un simple accroissement des conditions de circulation n’est pas vu comme « affectant les conditions d’exploitation » du magasin.

« 6. Considérant que la circonstance que le terrain d’assiette du magasin dont la SOCIETE A. est propriétaire est situé à trente mètres du projet de construction ne lui confère pas un intérêt de nature à lui donner qualité pour demander l’annulation des décisions de permis de construire contestées ; qu’en se bornant, par ailleurs, à faire état de l’accroissement du flux de circulation induit par la nouvelle construction, la SOCIETE A. n’établit pas que celui-ci serait susceptible d’affecter les conditions d’exploitation de son commerce ; qu’il suit de là que la société requérante ne justifie pas davantage d’un intérêt lui donnant qualité pour demander l’annulation des permis de construire contestés ; que sa demande ne peut, dès lors, qu’être rejetée ; »

Cette décision n’est pas neuve, mais illustre la position jurisprudentielle à l’égard des recours contre les autorisations d’urbanisme obtenues par un concurrent.

Ainsi, le Conseil d’Etat avait déjà en 2011 indiqué, s’agissant d’un recours d’une société de distribution contre un permis pour une grande surface concurrente « qu’en dehors du cas où les caractéristiques de la construction envisagée sont de nature à affecter par elles-mêmes les conditions d’exploitation d’un établissement commercial, ce dernier ne justifie pas d’un intérêt à contester devant le juge de l’excès de pouvoir un permis de construire délivré à une entreprise concurrente, même située à proximité« .

La solution fondatrice date déjà de 2002, et concernait à l’époque les enseignes de restauration rapide (CE, 22 février 2002, n°216088).

Les sociétés pouvant être lésées par le permis obtenu par un concurrent devront donc veiller à déterminer, avec soin et des éléments probants, en quoi les conditions d’exploitation de leur magasin sont affectées.

Cette décision s’inscrit, à la marge, dans un contexte de renforcement des conditions de recevabilité pour attaquer une décision d’urbanisme marqué par l’ordonnance n°2013-698 (article L600-1-2 CU: « Une personne autre que l’Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n’est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager que si la construction, l’aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de bail, ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L. 261-15 du code de la construction et de l’habitation. »).

Stéphanie Gandet

Avocat associé

Green Law Avocat