Protestations électorales : feu vert !

Par Maître David DEHARBE (Green Law avocats)

Les préoccupations environnementales ont marqué les élection municipales de 2020 : les coalitions menées par Europe Écologie les Verts étant élues dans les grandes villes comme Lyon, Bordeaux, Strasbourg, échouant de peu à Lille mais gagnant également des villes non négligeables comme Poitiers, Besançon ou Annecy.

Notons également qu’à Marseille le suspens dure encore un peu : si la liste conduite par l’écologiste Michèle Rubirola est arrivée en tête, elle n’a qu’une majorité relative en nombre de sièges de conseillers municipaux et le Printemps marseillais doit encore obtenir le soutien de l’ancienne socialiste Samia Ghali.

Reste que ce verdissement des majorités municipales dans les villes ne doit pas faire perdre de vue l’autre donnée fondamentale et inquiétante de ce scrutin municipal : le taux de participation officielle au second tour des élections municipales s’établit à 41,6 % après un premier tour avec 44,66 de participation ce qui est un record historique ! Et pour cause pendant toute l’histoire de la Vème République le taux de participation au 2ème tour des élections municipales a toujours été contenu entre 79,68 % (1983) et 62,13 % (2014)…

Validant le report du second tour des municipales et les mesures prises à cet effet par ordonnances, le Conseil constitutionnel a pu juger  (CC, 17 juin 2020, n° 2020-849QPC) que ce choix de convoquer le corps électoral avant la fin du mois de juin ne favorisait pas en lui-même l’abstention, tout en précisant prudemment qu’il appartiendrait « au juge de l’élection [autrement aux tribunaux administratifs et in fine au Conseil d’Etat] d’apprécier si le niveau de l’abstention a pu ou non altérer, dans les circonstances de l’espèce, la sincérité du scrutin ».

Le droit ne s’use en tout cas que si on ne s’en sert pas ! Si l’abstention entame le droit de vote et la démocratie représentative, il n’appartient qu’à ceux jugeant mal élus leurs nouveaux conseillers d’en débattre devant le juge.

A ce titre, rappelons que le contentieux des élections municipales obéit à des règles spécifiques notamment pour ce qui concerne l’intérêt à agir des requérants et les délais de recours (I°) et se caractérise également par des pouvoirs importants attribués au juge (II°).

I/ Règles spécifiques du contentieux des élections municipales

    La compétence en premier ressort des tribunaux administratifs pour connaître de la contestation des élections municipales

Comme le prévoit l’article L249 du Code électoral, c’est le tribunal administratif du lieu de l’élection qui statue en premier ressort sur la contestation des opérations électorales de la commune.

Le Conseil d’Etat est quant à lui compétent pour statuer sur les recours dirigés contre la décision du tribunal administratif, ouverts au préfet ou aux parties intéressées.

    L’intérêt à agir pour contester les élections municipales

L’article L248 du Code électoral dispose que :

« Tout électeur ou tout éligible a le droit d’arguer la nullité des opérations électorales de la commune devant le tribunal Administratif/ Le préfet, s’il estime que les conditions et les formes légalement prescrites n’ont pas été remplies, peut également déférer les opérations électorales au tribunal administratif ».

 Dès lors, présentent un intérêt à agir pour contester l’élection des conseillers municipaux :

    Les électeurs de la commune qui ne sont pas radiés des listes électorales au jour où ils déposent leurs réclamations (Cf. CE, 31 juillet 1996, Elections municipales de Milly-sur-Thérain, n° 172743) ;

    Tout candidat à l’élection, y compris les candidats proclamés élus à leur propre élection (CE, 14 mai 1969, Elections municipales partielles de la Rivière, Lebon p. 252) ;

    Le Préfet, lequel doit se fonder exclusivement sur les inobservations des conditions et des formes légalement prescrites pour l’élection (Cf. CE, 21 juin 1985, Elections d’Ambarès, Lebon p. 558).

Seules des personnes physiques sont fondées à former des protestations électorales ; les recours formés par des personnes morales ne sont pas recevables. Sont ainsi exclus de la possibilité de former un recours :

    Les partis politiques (Cf. CE, 17 octobre 1986, Elections cantonales de Sevran, n° 70266) ;

    Les syndicats de salariés (Cf. CE, 12 mai 1978, Elections municipales de Notre Dame de Gravenchon, n° 08601) ;

    Les associations (Cf. CE, 29 juillet 1998, Elections régionales d’Aquitaine, n° 195094).

Par ailleurs, on soulignera que le ministère d’avocat n’est pas obligatoire en matière de contentieux des élections municipales tant devant les tribunaux administratifs que devant le Conseil d’Etat (Cf. Art. L97 du code électoral).

    Précisions sur le délai

Les réclamations contre les opérations électorales dans la commune doivent être consignées dans un procès-verbal, sinon être déposées à peine d’irrecevabilité, au plus tard à 18 heures le cinquième jour suivant l’élection, à la sous-préfecture, ou à la préfecture. Ces protestations sont alors immédiatement adressées au Préfet qui les fait enregistrer au greffe du tribunal administratif. Elles peuvent également être déposées directement au greffe du tribunal administratif, dans le même délai (cf. article R119 du code électoral).

Ces observations doivent être signées et il est exigé du requérant qu’il exprime clairement sa volonté de saisir le juge sans se borner à critiquer le déroulement du scrutin (Cf. CE, 7 décembre 1983, Elections municipales de Briot, n° 51788).

Les recours formés par le Préfet doivent être exercés dans un délai de quinzaine à dater de la réception du procès-verbal.

Dans tous les cas, notification est effectuée, dans les trois jours de l’enregistrement de la protestation, auprès des conseillers dont l’élection est contestée qui sont avisés en même temps qu’ils ont 5 jours aux fins de déposer leurs défenses au greffe (bureau central ou greffe annexe) du tribunal administratif et d’indiquer s’ils entendent ou non user du droit de présenter des observations orales.

A compter de l’enregistrement de la réclamation, le tribunal administratif prononce sa décision dans un délai de 2 mois, décision qui sera notifiée dans un délai de 8 jours à compter de cette date aux candidats intéressés et au préfet. Ce délai est porté à 3 mois en cas de renouvellement général (Cf. Art. R120 et R121-1 du code électoral). On notera que, faute de statuer dans le délai de 2 mois qui lui est imparti, le tribunal administratif est dessaisi au profit du Conseil d’Etat (cf. art. R121 du code électoral).

Le recours contre la décision du tribunal administratif est ouvert soit au préfet, soit aux parties intéressées, et doit être déposé à peine d’irrecevabilité au Conseil d’Etat dans le délai d’un mois à partir de la notification de la décision, qui doit comporter l’indication de ce délai (Cf. Art. R123 du code électoral).

Il importe de préciser que la saisie du tribunal administratif aux fins de contester les opérations électorales n’emporte aucun effet suspensif. Comme le précise l’article L250 du code électoral, les conseillers municipaux proclamés élus demeurent en fonction jusqu’à ce qu’il soit définitivement statué sur les réclamations. En revanche, l’appel contre le jugement rendu du tribunal administratif a un effet suspensif.

II/ Des pouvoirs étendus pour le juge de l’élection

Le contentieux électoral étant de pleine juridiction, le juge bénéficie de pouvoirs d’appréciation et de décision étendus.

Il lui est ainsi loisible de statuer ultra petita, pour appréhender les conséquences réelles des irrégularités commises sur la sincérité du scrutin. Par exemple, le juge saisi d’une demande d’annulation de l’élection des seuls conseillers municipaux élus en surnombre peut décider d’annuler l’ensemble des opérations s’il estime que c’est la régularité et la sincérité de l’ensemble du scrutin qui ont été viciés (CE, 18 septembre 2002, Elections municipales de la Houssaye-Béranger).

Au titre de ses pouvoirs, le juge peut réformer le résultat d’un scrutin, annuler une élection voire sanctionner des candidats.

    Le pouvoir de rectifier le résultat des élections

Le juge dispose également de la possibilité de rectifier le résultat des élections. Cette possibilité ne pourra être prononcée que dans l’hypothèse où le juge peut corriger les erreurs ou irrégularités du scrutin sans qu’il soit besoin de procéder au renouvellement du vote.

Tel est par exemple le cas dès lors que les résultats erronés du second tour ont été transcrits au procès-verbal de l’opération électorale (Cf. CE, 14 novembre 2014, n° 382056).

Lorsqu’il est possible pour le juge d’identifier les erreurs et les irrégularités du scrutin, il peut également procéder à la réattribution des suffrages qui ont été mal décomptés ou écartés à tort (Cf. CE, 20 février 2012 Elections municipales de Saint-Elie, n° 235473).

Le juge peut en outre proclamer les résultats en lieu et place du bureau de vote (Cf. CE, 3 février 1982 Elections cantonales de Vincennes-Fontenay Nord, Lebon p. 48). Tel est le cas en cas de fraude caractérisée (Cf. CE, 14 septembre 1983, Elections municipales de la Queue-en-Brie, n° 51535).

A l’inverse, lorsque les erreurs ou irrégularités invoquées par protestations électorales ou par le déféré préfectoral ne sont pas fondées, le juge se contentera de confirmer le résultat des élections (par ex. par un jugement du 16 juin 2020, le tribunal administratif de Nîmes a jugé que les bulletins de vote comportant le nom de femme mariée d’une candidate enregistrée en préfecture de son nom de jeune fille ne sont pas des bulletins nuls dès lors que l’erreur n’est pas intentionnelle et que les électeurs votaient pour une liste complète : TA 16 juin 2020, MB, n° 2000989)).

    Le pouvoir d’annuler une élection

Lorsque les erreurs et irrégularités du scrutin ne peuvent pas être corrigées, le juge pourra prononcer l’annulation totale ou partielle de l’élection.

Est ainsi annulée l’élection d’un candidat déclaré par la suite inéligible puisqu’il ne remplissait pas les conditions prévues par le code électoral pour être élu (Cf. CE, 27 mai 2016, Elections régionales de Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées, n° 395414).

L’annulation sera justifiée lorsque les erreurs et irrégularités alléguées auront une incidence sur la sincérité du scrutin (Cf. CE, 14 novembre 2014, n° 382056 ; CE, 24 septembre 2008, Elections des conseillers municipaux de la Commune de Martys, n° 317786). Ainsi pour un exemple récent : par un jugement du 12 juin 2020, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a jugé qu’un maire ou un président de bureau de vote n’est pas tenu de retirer des bulletins de vote aux dimensions manifestement irrégulières même s’ils ont réglementairement (art. R30 du cde électoral)  la possibilité de le faire s’ils s’en aperçoivent. En droit et ils ne doivent pas le faire dans le but d’altérer la sincérité du scrutin (TA Chalon en Champagne 12 juin 2020, M.H., n° 2000620).

L’annulation d’une élection peut, par exemple, être prononcée en cas de « diffusion de tracts dont le contenu excédait les limites admissibles dans une campagne électorale et qui ont donné lieu à la condamnation de leurs auteurs pour diffamation par l’autorité judiciaire » (Cf. CE, 13 décembre 1989, n° 108662).

Le juge s’attache à vérifier si la volonté du corps électoral a bien été respectée, et seules les irrégularités qui ont eu une incidence sur l’organisation du scrutin et les résultats pourront conduire à l’annulation de l’élection.

Le cas échéant, le tribunal a la possibilité de prononcer l’annulation de l’élection soit dans sa totalité, soit partiellement (Cf. CE, 14 avril 1966, Elections municipales de Costa, n° 67569).

Lorsqu’une élection est définitivement annulée en tout ou partie, l’assemblée des électeurs doit être convoquée dans un délai qui ne pourra excéder 3 mois, à moins que l’annulation n’intervienne dans les trois mois qui précèdent le renouvèlement général des conseillers municipaux (Cf. Art. L251 du code électoral).

    Le pouvoir de sanction

En cas d’annulation d’une élection pour manœuvres dans l’établissement de la liste électorale ou irrégularité dans le déroulement du scrutin, le tribunal administratif peut prononcer la suspension du mandat des candidats dont l’élection a été annulée. (Cf. Art. L250-1 du code électoral).

De même, la suspension du candidat élu pourra être prononcée lorsque des irrégularités dans les opérations électorales sont de nature à affecter la sincérité du vote (Cf. CE, 14 septembre 1983, Elections municipales d’Anthony, Lebon p. 365).

Parallèlement, l’article L118-4 du code électoral dispose que le juge de l’élection saisi d’une contestation électorale peut déclarer inéligible, pour une durée maximale de 3 ans, le candidat qui a accompli des manœuvres frauduleuses ayant eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin. Notons que cette inéligibilité s’applique à l’ensemble des élections. En outre, si cette inéligibilité frappe un candidat déclaré élu, le juge procède à l’annulation de son élection.

Le caractère frauduleux des manœuvres contestées est apprécié en fonction de leur nature et de leur ampleur sur le résultat du scrutin.

On notera que le juge accepte de soulever d’office l’inéligibilité du candidat après l’avoir invité à présenter ses observations (Cf. CE, 4 février 2015, Elections municipales de Vénisieux, n° 385555).