Le Conseil d'étatUne association de protection de l’environnement a saisi le Conseil d’Etat d’un recours en excès de pouvoir à l’encontre du décret n° 2012-118 du 30 janvier 2012 relatif à la publicité extérieure, aux enseignes et aux préenseignes. A l’appui de sa requête, l’association a fait valoir que le décret, en raison de nombreuses erreurs ou malfaçons, était inintelligible. En particulier, elle a relevé que le paragraphe III de l’article 12 du décret a prescrit l’insertion au premier alinéa de l’article R. 581-60 du code de l’environnement, tel qu’issu de la renumérotation résultant de l’article 2 du décret, les mots « ni, le cas échéant, dépasser les limites de l’égout du toit. » après les mots « plus de 0,50 mètres », alors que l’article R. 581-60 faisait mention des mots « 0,25 mètres ».

Dans sa décision (CE, 4 déc.2013, n°357839), le Conseil d’Etat a considéré qu’il ne faisait « pas de doute que les mots ajoutés par le III de l’article 12 doivent être insérés après les mots 0,25 mètres ». En d’autres termes, il a reconnu que le décret était effectivement entaché d’erreur matérielle sur ce point. Néanmoins, contrairement à ce que l’on aurait pu s’attendre, il n’a pas procédé à l’annulation de la disposition en cause.

Au contraire, il a considéré dans les motifs de son arrêt « qu’en l’absence de doute sur la place et la portée de l’insertion prévue par le III de l’article 12, il y a lieu pour le Conseil d’Etat, afin de donner le meilleur effet à sa décision, non pas d’annuler les dispositions erronées de cet article, mais de conférer aux dispositions insérées au code de l’environnement leur exacte portée et de prévoir que le texte ainsi rétabli sera rendu opposable par des mesures de publicité appropriées, en rectifiant l’erreur matérielle commise et en prévoyant la publication au Journal officiel d’un extrait de sa décision » (req. n° 357839, considérant n° 17).

Dans le dispositif de sa décision, le Conseil d’Etat a, tout d’abord, rappelé l’objet de la rectification. Puis, il annoncé qu’un extrait de la décision serait publié au Journal officiel. En d’autres termes, les magistrats ont non seulement procédé à la rectification de la disposition entachée d’erreur, mais ils ont également demandé à l’administration active de prendre les mesures de publicité appropriées, afin de rendre opposable la disposition ainsi rectifiée (à cet égard, l’extrait pertinent de la décision du Conseil d’Etat a été publié au Journal officiel en date du 12 décembre 2013).

Cette décision, qui sera publiée aux tables du recueil Lebon, participe à l’évolution de l’office du juge de l’excès de pouvoir, qui est en principe enfermée dans une alternative : annuler ou ne pas annuler l’acte qui lui est déféré. Cette évolution n’est pas nouvelle : à titre d’exemple, le Conseil d’Etat a déjà intégré dans l’office de ce juge, la possibilité de moduler dans le temps les effets d’une annulation contentieuse (CE 11 mai 2004, association AC et autres, rec. 197). A ceci, s’ajoute dorénavant la faculté qu’a le Conseil d’Etat, en l’absence de doute sur la place et la portée de l’insertion prévue par une disposition réglementaire en des termes entachés d’erreur matérielle au sein d’une disposition codifiée, de procéder à la rectification de la disposition entachée d’erreur.

Ce faisant, le Conseil d’Etat, en tant que juge de l’excès de pouvoir, n’est pas seulement le juge de l’annulation. Il est aussi un juge de la correction des erreurs matérielles, sous réserve des conditions énumérées dans l’arrêt du 4 décembre 2013. Enfin, rappelons qu’en amont de la procédure d’élaboration d’un décret,  le Conseil d’Etat a, dans le cadre de ses fonctions consultatives, la faculté d’attirer l’attention du gouvernement sur les erreurs matérielles qui seraient susceptibles d’entacher un décret : au cas particulier, le décret attaqué avait été édicté après avis de la Section des travaux publics.

Au final, la fonction de correcteur que s’attribue le Conseil d’Etat objective le recours en excès de pouvoir pour le mettre plus au service de la loi que du justiciable.

Yann BORREL

Green Law Avocat