Prescription de l’élaboration ou de la révision du PLU : attention à la définition des objectifs !

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Lou DELDIQUE, GREEN LAW AVOCATS

 

Un récent arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille (CAA Marseille, 13 avril 2016, n° 15MA02002, publié dans l’AJDA avec les conclusions du Rapporteur public M. Gilles ROUX, AJDA 2016, p. 1250, et consultable ici) apporte d’intéressantes précisions sur la possibilité ouverte au requérant qui conteste un PLU d’invoquer l’illégalité de la délibération prescrivant son élaboration ou sa révision.

En l’espèce, le tribunal administratif de Nîmes avait annulé la délibération approuvant le PLU d’une commune, au motif que celui-ci avait été adopté à l’issue d’une procédure irrégulière. Le vice sanctionné par le jugement avait trait à l’irrégularité de la délibération prescrivant la révision du document communal près de 10 ans plus tôt : les premiers juges avaient en effet considéré que celle-ci n’identifiait pas les objectifs poursuivis par la commune de manière suffisamment précise, méconnaissant ainsi les dispositions de l’ancien article L. 300-2 du code de l’urbanisme (aujourd’hui recodifié à l’article L. 103-3 du même code).

Cette solution s’inscrivait dans la lignée de la jurisprudence Commune de Saint-Lunaire (CE, 10 févr. 2010, n°327149), une décision par laquelle le Conseil d’Etat avait dit pour droit que : « la délibération du conseil municipal doit porter, d’une part, et au moins dans leurs grandes lignes, sur les objectifs poursuivis par la commune en projetant d’élaborer ou de réviser un document d’urbanisme, d’autre part, sur les modalités de la concertation avec les habitants, les associations locales et les autres personnes concernées ; que cette délibération constitue, dans ses deux volets, une formalité substantielle dont la méconnaissance entache d’illégalité le document d’urbanisme approuvé, alors même que la concertation aurait respecté les modalités définies par le conseil municipal ; ».

En appel, il était soutenu que l’irrégularité affectant la première délibération constituait un vice de forme ou de procédure, qui ne pouvait être invoqué au-delà d’un délai de 6 mois à compter de son entrée en vigueur.

Rappelons en effet que l’article L. 600-1 du code de l’urbanisme  limite la possibilité de critiquer par voie d’exception l’acte prescrivant l’élaboration ou la révision d’un document d’urbanisme après l’expiration d’un délai de six mois à compter de la date de la prise d’effet du document en cause.

La Cour administrative devait donc, dans un premier temps, déterminer si la méconnaissance de l’obligation de préciser les objectifs de la révision du PLU constituait une règle de fond ou de forme. C’est la première solution qui est ici retenue ;  la Cour a ainsi estimé que l’exigence posée par l’article L. 300-2 a trait au contenu même de la délibération, et que c’est donc bien sa légalité interne qui est en cause :
«  Considérant qu’en application de l’article L. 300-2 précité, la délibération prescrivant la révision valant élaboration du plan local d’urbanisme doit porter sur les objectifs, au moins dans leurs grandes lignes, poursuivis par la commune en projetant de réviser son document d’urbanisme et sur les modalités de concertation avec les habitants et les associations locales ; que l’obligation de préciser les objectifs de la révision du plan local d’urbanisme concerne le contenu même de la délibération prescrivant cette révision, et ne constitue pas une règle de forme ou de procédure de cette délibération, au sens de l’article L. 600-1 du code de l’urbanisme ; que le moyen tiré du non respect de cette obligation n’est pas dès lors au nombre de ceux qui ne peuvent être invoqués après l’expiration d’un délai de six mois à compter de la date de la prise d’effet de la délibération prescrivant la révision du plan local d’urbanisme ; »

La lecture des conclusions du Rapporteur public permet de comprendre que ce raisonnement  s’inspire notamment des travaux parlementaires, dont il ressort que l’obligation de définir les objectifs de l’élaboration du document d’urbanisme ne répond pas à une exigence formaliste, mais à une volonté « [d’] obliger les collectivités à la fois à mener une première réflexion d’ensemble sur les objectifs de l’opération et à engager sur cette base la concertation avec la population » (citation extraite des conclusions de M. Luc DEREPAS sur la décision Commune de Saint Lunaire et reprise dans les conclusions de M. ROUX sur la décision commentée).

Notons par ailleurs que cette solution est conforme à ce qui avait déjà été jugé par les Cours administratives d’appel de Nantes et de Lyon, qui avaient elles aussi écarté l’application de l’article L. 600-1 du code de l’urbanisme pour le même motif (CAA Lyon, 27 août 2015, n° 15LY00020 ; CAA Nantes, 12 nov. 2015, n° 14NT01283).

 

Dans un deuxième temps, la Cour s’est attachée à vérifier si la délibération prescrivant l’élaboration du PLU contesté était véritablement irrégulière.

Sur ce point, elle confirme l’appréciation du Tribunal administratif, qui avait relevé que les objectifs de la révision n’étaient présentés que de manière très générale, et ne permettant pas de s’assurer que le conseil municipal avait délibéré sur ce point :

« Considérant que la délibération du 21 janvier 2004 par laquelle le conseil municipal de Laval-Pradel a prescrit la révision valant élaboration du plan local d’urbanisme se borne à indiquer que la révision du document d’urbanisme communal est rendue nécessaire du fait que  » le document actuel limite les possibilités d’extension de la commune  » et que  » certaines dispositions sont à revoir pour les adapter aux objectifs d’aménagement et de développement communaux  » ; que ces indications sont très générales et n’apportent aucune précision, fut-ce dans leurs grandes lignes, sur les objectifs poursuivis par la commune en prescrivant cette élaboration ; qu’en se bornant à soutenir, sans autre précision, que la délibération du 21 janvier 2004 vise une délibération du 29 juin 2000 ayant approuvé la révision du plan d’occupation des sols, la commune ne justifie pas avoir fixé les objectifs de l’élaboration du plan local d’urbanisme ; que la délibération du 21 janvier 2004, qui a prescrit cette élaboration, a donc méconnu l’article L. 300-2 du code de l’urbanisme ; »

Là encore, la solution est conforme à l’arrêt Commune de Saint-Lunaire, dans lequel le Conseil d’Etat avait annulé une délibération se bornant à indiquer que le POS « ne correspond[ait] plus aux exigences actuelles de l’aménagement et qu’il [était] nécessaire de réorienter l’urbanisme de la commune » (voir aussi pour d’autres exemples d’annulation dans des circonstances similaires :  CE, 17 avr. 2013, n° 348311 ;  CAA Lyon, 27 janv. 2015, n° 14LY01961 ; CAA Marseille, 10 avr. 2015, n° 13MA01343 ;  CAA Douai, 27 nov. 2014, n° 13DA01104).

Enfin, dans un et dernier troisième temps, la Cour, faisant application de la théorie des opérations complexes,  a vérifié si ce vice était de nature à justifier l’annulation du PLU.

De manière peu surprenante, elle considère que l’illégalité de la délibération prescrivant le document d’urbanisme présente bien un caractère substantiel au sens de la jurisprudence Danthony, en ce qu’elle a privé les personnes intéressées d’une garantie et a eu une influence sur le sens de la décision administrative faisant l’objet du litige. La procédure d’élaboration ayant par conséquent été viciée, l’annulation du PLU était inévitable :

«  Considérant qu’alors même que l’obligation de fixer les objectifs de l’élaboration du plan local d’urbanisme est relative au contenu de la délibération qui prescrit cette élaboration, ainsi qu’il a été dit au point 7, cette délibération constitue un élément de la procédure administrative au terme de laquelle est adopté le plan local d’urbanisme ; qu’il ressort des pièces du dossier que la méconnaissance par cette délibération des dispositions de l’article L. 300-2 du code de l’urbanisme, qui, au demeurant, a privé d’une garantie les personnes intéressées, a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le contenu du plan local d’urbanisme adopté et donc sur le sens de la décision prise au terme de son élaboration ; qu’elle constitue, dès lors, une irrégularité de nature à entacher la légalité de la délibération en litige ; »

Ce faisant, la Cour confirme sa jurisprudence antérieure, puisqu’elle avait déjà jugé que l’illégalité de la délibération prescrivant l’élaboration du PLU en raison d’une insuffisante définition des objectifs  constituait un vice de procédure susceptible de justifier l’annulation du document d’urbanisme adopté (CAA Marseille, 10 avr. 2015, n° 13MA01343), tout en s’inscrivant dans une tendance désormais établie (CAA Nancy, 2 juillet 2015, n°14NC01767 ; CAA Versailles, 11 mai 2015, n° 13VE00583 ; CAA Douai, 30 avril 2015, n°14DA01249 ; CAA Paris, 2 avril 2015, n° 14PA02687 ; voir aussi pour un raisonnement différent sur la nature du vice relevé : CAA Lyon, 5 mai 2015, n° 13LY02619 ; CAA Lyon, 27 janv. 2015, n° 14LY01961 ; voir enfin pour une analyse de la nature du moyen : Antoine Durup de Baleine, « Prescription de l’élaboration ou de la révision d’un plan local d’urbanisme », AJDA 2016, p.48 ; Gilles ROUX, « Les conséquences de l’insuffisante définition initiale des objectifs du futur plan local d’urbanisme », AJDA 2016, p. 1250).