Solar panel puzzleLe contentieux du raccordement des installations photovoltaïques est générateur de nombreuses décisions du comité de règlement des différends et des sanctions (Cordis).

Nous en avons fait l’écho à plusieurs reprises sur le blog, tant ces litiges participent de l’étoffement d’un droit en mutation : celui des obligations du gestionnaire de réseau en matière de traitement des demandes de raccordement.

On savait déjà que l’acceptation de la PTF était matérialisée par la signature d’un document complet (PTF) et non d’un simple devis de travaux, ainsi que par le versement d’un acompte ; il est également acquis que la documentation technique de référence s’impose au gestionnaire qui ne peut se retrancher derrière un prétendu caractère « indicatif » de ces dispositions (voir notre analyse ici). La jurisprudence du juge commercial devra encore être affinée afin d’en connaitre les conséquences indemnitaires, lorsqu’un préjudice a découlé de la violation des règles de raccordement.

La décision rendue par la Cour de cassation le 24 juin 2014 (Cass, 24 juin 2014, n°13-17843) apporte un nouvel éclairage intéressant en jugeant que

« […] le décret du 9 décembre 2010 a suspendu l’obligation d’achat, pendant une durée de trois mois à compter du 10 décembre 2010, date de son entrée en vigueur, tout en prévoyant, en son article 3, qu’il ne s’applique pas aux installations dont le producteur a notifié au gestionnaire de réseau, avant le 2 décembre 2010, son acceptation de la PTF de raccordement au réseau, l’arrêt relève que la société ERDF, faisant application de la procédure de traitement accélérée prévue à l’article 9.1.2 de sa documentation technique de référence, n’a pas établi de PTF au bénéfice de la société T… mais lui a directement adressé une convention de raccordement comportant des caractéristiques techniques et un prix, définitivement arrêtés ; qu’ayant retenu qu’un tel document, définitif, n’a pas la même nature ni les mêmes effets juridiques qu’une PTF, qui est un document préparatoire au contenu susceptible de modifications, la cour d’appel en a déduit qu’il n’entrait pas dans les prévisions de l’article 3 du décret et que, dès lors qu’à la date d’entrée en vigueur du décret, la société T… avait fait parvenir à la société ERDF la convention de raccordement signée, accompagnée d’un chèque d’acompte, la société ERDF n’était pas fondée à suspendre la procédure envers cette société ; qu’en l’état de ces motifs, d’où il ressort que, dès lors que la convention de raccordement avait été régulièrement acceptée avant l’entrée en vigueur du décret, la procédure engagée auprès de la société ERDF en vue de l’obtention d’un tel contrat ne pouvait plus être suspendue, la cour d’appel, qui n’avait pas à procéder à la recherche inopérante visée à la deuxième branche, a décidé à bon droit que la société ERDF devait exécuter la convention ainsi conclue ; »

En cela, la Haute juridiction confirme une série de décisions rendues par le CoRDIS estimant en effet que les conventions de raccordement (à distinguer des PTF) conclues avant le 10 décembre 2010 ne pouvaient se voir opposer les dispositions du décret du 9 décembre 2010 (voir par exemple : Décision Cordis du 10 décembre 2013, JORF 8 mars 2014, litige opposant la société ECOSOLEIL à ERDF, jurisprudence cabinet).

 

En l’espèce, la Cour de cassation était saisie d’un litige devenu classique en la matière : une société qui souhaitait réaliser une centrale photovoltaïque intégrée en toiture d’un bâtiment avait déposé le 30 juillet 2010 une demande de raccordement et une demande de contrat d’achat auprès du gestionnaire de réseau par le biais du guichet unique. En novembre 2010, le gestionnaire avait alors adressé (en retard) une convention de raccordement que la société productrice avait retourné le 2 décembre 2010. Le 3 janvier 2011, le gestionnaire avait indiqué à la société que l’acceptation de la proposition technique et financière (PTF) ne lui était pas parvenue avant le 2 décembre 2010, de sorte que son projet était selon lui soumis au décret du 9 décembre 2010 suspendant l’obligation d’achat d’électricité.

La société s’estimant lésée avait alors saisi le Cordis. Le Comité a jugé que le gestionnaire ne pouvait dès lors pas opposer l’application des dispositions de l’article 3 du décret du 9 décembre 2010 à partir du moment où elle avait reçu une convention de raccordement signée avant le 10 décembre 2010 et devait dès lors exécuter la convention de raccordement.

Saisie d’un pourvoi contre l’arrêt de la Cour d’appel (se prononçant en suite d’un recours contre la décision du Cordis), la Cour de cassation confirme cette appréciation en jugeant que « la cour d’appel en a déduit [que la convention de raccordement] n’entrait pas dans les prévisions de l’article 3 du décret et que, dès lors qu’à la date d’entrée en vigueur du décret, la société T… avait fait parvenir à la société ERDF la convention de raccordement signée, accompagnée d’un chèque d’acompte, la société ERDF n’était pas fondée à suspendre la procédure envers cette société ».

Comme le rappelle l’arrêt du 24 juin 2014, une convention de raccordement témoigne d’un stade contractuel bien plus avancé qu’une proposition technique et financière puisque le gestionnaire s’engage sur des conditions techniques, juridiques et financières. Dès lors, il en résulte qu’une convention de raccordement acceptée, signée et le chèque d’acompte émis ne peut donner lieu à l’application de la suspension prévue par le décret n°2010-1510 du 9 décembre 2010.

La Cour de cassation devrait donc mettre un terme définitif aux débats encore aujourd’hui pendant devant le Cordis tenant à l’application par ERDF du décret du 9 décembre 2010 aux conventions de raccordement.

C’est certes une excellente nouvelle dans la mesure où les dispositions du texte, d’interprétation stricte, doivent en effet être ainsi entendues. En revanche, le temps mis pour faire reconnaitre l’erreur commise par le gestionnaire conduit le plus souvent le producteur à ne pas avoir mis en service (et pour cause !) l’installation dans les délais impartis par le décret du 9 décembre 2010, qui son, eux, d’application générale.

Dès lors, cette reconnaissance de l’erreur dans l’application infondée du décret est souvent de peu d’intérêt pour les producteurs voulant encore exploiter leur centrale aux tarifs d’achat en vigueur à la date du dépôt de leur demande de contrat, car le non respect de la date de mise en service du fait de la suspension erronée de leur demande a conduit dans l’intervalle à la perte dudit tarif… La seule solution est alors indemnitaire.

 

Stéphanie GANDET et Aurélien BOUDEWEEL

Green Law Avocat