Permis de construire : existe-t-il encore un vice non régularisable ?

Par Maître Lou DELDIQUE, avocat associé, lou.deldique@green-law-avocat.fr

Par un avis du 2 octobre 2020 publié au recueil Lebon, le Conseil d’Etat a précisé qu’ « un vice entachant le bien-fondé de l’autorisation d’urbanisme est susceptible d’être régularisé […] même si cette régularisation implique de revoir l’économie générale du projet en cause ». (CE, Avis., 2 oct. 2020, n°438318, consultable ici et sur doctrine). .

Rappelons que l’article L.600-5-1 du code de l’urbanisme prévoit un mécanisme de régularisation des autorisations d’urbanisme entachées d’un vice :

« Sans préjudice de la mise en œuvre de l’article L. 600-5, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice entraînant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation, même après l’achèvement des travaux. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé. »

Ce mécanisme repose donc, contrairement à celui prévu à l’article L. 600-5 du même code, sur le sursis à statuer (sur la différence entre ces deux modes de régularisations, voir notre analyse ici et L. DELDIQUE, « Articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme : retour d’expérience sur les nouveaux pouvoirs du juge », Droit de l’environnement, n°223, mai 2014), et la « mesure de régularisation » est généralement un permis modificatif.

En l’espèce, le Tribunal administratif de Pau avait été saisi d’un recours dirigé contre un permis de construire, et il envisageait de surseoir à statuer sur le fondement de l’article L.600-5-1 pour permettre de corriger un vice, mais l’une des parties faisait valoir que cette régularisation impliquait une modification de « l’économie générale du projet ».

Or cette notion est déterminante, car c’est normalement celle qui permet au juge de considérer que le modificatif doit en réalité être analysé comme un nouveau permis portant retrait du premier (CE, 26 juillet 1982, n°23604 ; CE, 8 nov. 1985, n°45417 ; CE, 4 février 2004, n°254223 ; CE, avis, 6 juillet 2005, n° 277276).

Le Tribunal avait donc, sur le fondement de l’article L.113-1 du code de justice administrative, interrogé le Conseil d’État sur la possibilité de mettre en œuvre la régularisation quand cette dernière « a pour conséquence de porter atteinte à la conception générale du projet excédant ainsi ce qui peut être régularisé par un permis modificatif ».

Dans son avis du 2 octobre 2020, la Haute juridiction précise donc le champ d’application de l’article L.600-5-1 du code de l’urbanisme.

Dans un premier temps, elle précise que le juge a l’obligation de mettre en œuvre la procédure de régularisation lorsque les conditions suivantes sont réunies :

  • Le vice entrainant l’illégalité de l’autorisation d’urbanisme est régularisable ;
  • Les autres moyens dirigés contre l’autorisation sont infondés.

Toutefois, le juge n’est pas tenu de surseoir à statuer :

  • S’il prononce son annulation partielle sur le fondement de l’article L.600-5 du code de l’urbanisme ;
  • Ou si le bénéficiaire de l’autorisation lui a indiqué qu’il ne souhaite pas bénéficier de la régularisation.

Dans un second temps, la Haute juridiction s’est prononcée sur le caractère régularisable du vice.

Précisons ici qu’avant l’entrée en vigueur de la loi ELAN, seuls les vices régularisables par le dépôt d’un permis modificatif pouvaient faire l’objet d’une régularisation en cours d’instance sur le fondement de l’article L.600-5-1, et que les juridictions administratives avaient considéré qu’un permis modificatif ne pouvait être octroyé que si « les modifications apportées au projet initial pour remédier au vice d’illégalité ne peuvent être regardées, par leur nature ou leur ampleur, comme remettant en cause sa conception générale » (CE, 1er oct. 2015, n°374338 ; CE, 30 déc. 2015, n°375276).

Mais la loi ELAN a fait disparaitre la référence au permis modificatif, et par extension la condition tenant à l’absence d’atteinte à l’économie générale du projet.

Tirant les conséquences de cette réécriture de l’article, le Conseil d’État a dit pour droit qu’ :

« un vice entachant le bien-fondé de l’autorisation d’urbanisme est susceptible d’être régularisé, même si cette régularisation implique de revoir l’économie générale du projet en cause, dès lors que les règles d’urbanisme en vigueur à la date à laquelle le juge statue permettent une mesure de régularisation qui n’implique pas d’apporter à ce projet un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même. »

Aussi, comme l’indiquait le rapporteur public dans ses conclusions, tout vice est désormais régularisable dès lors que « la régularisation n’implique pas d’apporter à ce projet un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même, au point de rompre le lien avec le permis initial » (FUCHS O., concl., p. 11).

Notons que pour illustrer son propos, le rapporteur public évoque l’hypothèse d’un projet initial de trois immeubles collectifs devenu une villa individuelle : dans ce cas, le projet modifié n’entretenait plus aucun lien avec le projet initial (CE, 24 juil.1981, n°11703).

Le seul fait que la régularisation implique une modification substantielle du projet n’empêche donc pas le juge de faire usage de l’article L.600-5-1 dès lors que le projet régularisé conserve un lien suffisant avec le projet initial.

Par cet avis, le juge administratif poursuit son œuvre de sécurisation des autorisations d’urbanisme : désormais, la très grande majorité des vices entachant la légalité de ces dernières sont régularisables en cours d’instance.

Et cette tendance irrigue également le contentieux des autorisations environnementales, puisque la Cour administrative d’appel de Nantes a récemment jugé qu’une autorisation d’exploiter un parc éolien ne peut pas faire l’objet d’une régularisation au titre de l’article L.181-18 du code de l’environnement dès lors qu’elle ne pourrait avoir lieu « sans apporter au projet un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même » (CAA Nantes, 23 oct. 2020, n°19NT04144).