Windwheels in rural GermanyPar un arrêt en date du 3 avril 2014 (consultable ici), la Cour administrative d’appel de Nancy précise les règles d’appréciation de la recevabilité du recours ou de l’intervention d’une collectivité en matière de permis éolien. L’intérêt à agir des communes est en effet un thème récurrent du contentieux urbanistique et cette question a déjà fait l’objet de plusieurs décisions.

Ainsi, la jurisprudence apprécie habituellement la recevabilité d’un tel recours de la même manière que pour les particuliers, au regard du traditionnel critère de l’intérêt personnel et direct à agir :

  • d’une part, les décisions soulignent la nécessité pour la collectivité de se prévaloir d’une atteinte à des intérêts propres, et non à ceux de ses habitants (CE, 22 mai 2012, n° 326367 ; CAA Douai, 24 oct. 2013, n° 12DA00464 ; CAA Douai, 11 juill. 2013, n° 12DA00978) ;
  • d’autre part, l’intérêt lésé ne doit pas être simplement allégué : sa réalité doit être démontrée (CAA Douai, 11 juill. 2013, n° 12DA00923).

Ces derniers mois, le débat s’est essentiellement concentré sur la nature de l’intérêt lésé. Dans un arrêt en date du 24 octobre 2013, la Cour administrative d’appel de Douai a notamment jugé qu’une commune ne pouvait se prévaloir d’un intérêt économique et fiscal (caractérisé par la perte de l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux – IFER- à laquelle aurait été assujettie l’éolienne litigieuse) pour contester le refus de permis opposé à la société pétitionnaire pour l’édification d’une éolienne sur son territoire (CAA Douai, 24 oct. 2013, n° 12DA00464) :

 « Considérant […] que si la commune d’I… et la communauté de communes de la région de G… se prévalent de la perte de l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux à laquelle aurait été assujettie l’éolienne dont s’agit, un tel intérêt économique n’est pas suffisamment direct pour leur donner qualité à agir contre cette mesure d’urbanisme ; »

Dans une affaire analogue, la Cour administrative d’appel de Nancy avait en revanche retenu l’intérêt à agir de la commune qui invoquait un intérêt financier direct en sa qualité de propriétaire d’une partie des terrains d’assiette du projet portant sur l’implantation de six éoliennes (CAA Nancy, 1re ch., 7 nov. 2013, n° 12NC01484).

En l’espèce, un opérateur avait déféré le refus de permis de construire trois parcs éoliens opposé par le préfet de Meurthe-et-Moselle au juge administratif. Une commune limitrophe du projet était intervenue en appel pour soutenir ce refus : elle justifiait son intérêt à agir par la concurrence visuelle que créeraient les éoliennes, mais aussi par l’atteinte portée à son attractivité touristique et à son paysage.

La Cour, ayant relevé que le projet litigieux lèse un des intérêts propres de la commune intervenante, considère que cette dernière démontre les incidences du projet sur sa situation ou sur les intérêts dont elle a la charge, sans se référer au seul intérêt de ses résidents, et admet l’intervention :

« Considérant, en second lieu, que l’association pour le développement durable du S… vise à «la préservation du développement durable du S…, du B…et de la L…, ses paysages, ses sites, son cadre de vie, son équilibre écologique et historique» aux termes de l’article 2 de ses statuts ; que la commune d’H…, limitrophe du parc, fait état de la concurrence visuelle créée par les éoliennes et de l’atteinte portée à son attractivité touristique et à son paysage ; que dans ces conditions, eu égard à la nature et à l’objet du litige relatif à un refus de permis de construire portant sur trois parcs éoliens situé dans le Bayonnais et à proximité de la commune intervenante, l’association pour le développement durable du Saintois et la commune d’H… justifient d’un intérêt à intervenir au soutien des conclusions du ministre de égalité des territoires et du logement tendant au rejet de la requête présentée par la société E…; »

Cette décision peut être rapprochée d’un arrêt du Conseil d’Etat du 22 mai 2012, dans lequel la haute Juridiction avait jugé irrecevable le recours d’une commune limitrophe qui se contentait d’invoquer l’impact visuel des aérogénérateurs sur ses habitants :

 « Considérant que, pour admettre que la commune de Vauxcéré justifiait d’un intérêt lui donnant qualité pour demander l’annulation du permis de construire du 7 avril 2005, la cour administrative d’appel de Douai a relevé que  » si le projet de ferme éolienne est situé en dehors du territoire communal de Vauxcéré, il ressort des pièces du dossier que les éoliennes seraient visibles par les résidents de la commune  » ; qu’en se référant ainsi au seul intérêt de ses résidents, sans caractériser en quoi l’intérêt propre de la collectivité était lésé par la décision que celle-ci attaquait, la cour administrative d’appel de Douai a commis une erreur de droit ; que, son arrêt doit donc être annulé ; » (CE, 22 mai 2012, n° 326367 ; voir aussi : CAA Douai, 11 juill. 2013, n° 12DA00978)

On ne manquera toutefois pas d’observer que s’il est concevable que l’atteinte portée au tourisme puisse concerner la commune en tant que telle et non ses seuls résidents, en matière d’impact visuel et paysager, la distinction reste bien théorique… et semble finalement se résumer à une question de formulation !

On ne peut donc qu’inciter les collectivités requérantes (et leurs conseils) à faire preuve de précision dans la rédaction de leur recours.

Lou Deldique

Green Law Avocat