Patrimoine immatériel du concédant : les droits d’administration des pages de réseaux sociaux sont des biens de retour !

Par Yann BORREL, avocat associé et Gaspard LEBON, élève-avocat

Ce point de droit était déjà tranché : l’image d’un bien du domaine public ne constitue pas une dépendance de ce domaine et partant, son utilisation ne doit donc ni faire l’objet d’une autorisation préalable, ni donner lieu au versement d’une redevance d’occupation domaniale (CE, Assemblée, 13 avril 2018, n°397047, voir notre commentaire ici).

A l’heure d’une digitalisation expansive, une personne publique propriétaire d’un bâtiment, lequel peut être valorisé économiquement au moyen d’un contrat de naming, ne peut donc – en principe et de façon tout à fait paradoxale – s’opposer à l’exploitation de l’image de ce bien. Il ne lui est finalement possible que de demander, a posteriori, réparation du préjudice subi lorsque cette utilisation lui a causé un trouble anormal.

A l’étrangeté de cette première décision succède le pragmatisme bienvenu de l’arrêt du 16 mai 2022 (n° 459904, téléchargeable ici) par lequel le Conseil d’État a inclus les droits d’administration des pages de réseaux sociaux dans le champ des biens de retour du concédant.

En 2012, la commune de Nîmes a attribué à une société une délégation de service public portant sur l’exploitation culturelle et touristique des monuments romains de la ville. Le délégataire s’est vu confier la gestion des services d’accueil, de l’animation culturelle, mais surtout – pour ce qui nous intéresse -, de la communication et de la valorisation des arènes de Nîmes, de la Maison carrée ainsi que de la tour Magne.

Saisi à la suite d’un pourvoi formé par la commune de Nîmes, le Conseil d’État a rendu une décision qui a permis de clarifier tant le contenu du patrimoine immatériel d’un concédant que les instrumenta permettant d’en assurer la préservation.

En premier lieu, le Conseil d’État a confirmé dans sa décision le fait que le référé mesure utile figure aux rangs des voies contentieuses qui sont susceptibles d’être usitées par le concédant en vue d’obtenir la restitution des biens de retour. A cet égard, la Haute Juridiction a énuméré les conditions classiques de ce référé d’urgence et rappelé qu’une demande de restitution des biens de retour par le concessionnaire est fondée « dès lors qu’elle est utile, justifiée par l’urgence et ne se heurte à aucune contestation sérieuse […] afin d’assurer la continuité du service public et son bon fonctionnement ».

La solution n’est pas nouvelle : il existe au moins un précédent concernant la restitution par le concessionnaire d’archives considérées comme nécessaires à la continuité et au bon fonctionnement du service public hospitalier dès lors que le contrat a pris fin.

En deuxième lieu, les stipulations du contrat de délégation de service public prévoyaient que le délégataire serait notamment chargé d’assurer la promotion, la communication et la commercialisation touristique régionale, nationale et internationale des monuments objet de la délégation
« via les réseaux sociaux ».

Le Conseil d’État a déduit de ces stipulations que l’exploitation des pages des réseaux sociaux des monuments objet du contrat sont, à l’évidence, nécessaires au fonctionnement du service public « tel qu’institué par la commune de Nîmes ». Or l’exploitation de ces pages avait été interrompue, alors que leur ancienneté ainsi que les communautés d’abonnés qu’elles réunissaient constituaient « un élément important de la valorisation des monuments, que le nouveau délégataire ne saurait reconstituer rapidement ».

En conséquence, c’est bien l’impossibilité de reconstituer « rapidement » ces éléments de valorisation des monuments par le futur délégataire qui permet au Conseil d’État de caractériser le risque d’entrave à la continuité ainsi qu’au bon fonctionnement du service public et ce faisant, de satisfaire aux conditions d’urgence et d’utilité de la mesure de restitution demandée par la commune de Nîmes.

En troisième lieu, le Conseil d’État a écarté l’exception d’incompétence soulevée par le délégataire sortant sur le fondement de l’article L. 331-1 du Code de la propriété intellectuelle. Ces dispositions prévoient que « les actions civiles et les demandes relatives à la propriété littéraire et artistique, y compris lorsqu’elles portent également sur une question connexe de concurrence déloyale, sont exclusivement portées devant les tribunaux judiciaires ». Le délégataire sortant avait argué du fait que le juge judiciaire était compétent pour connaître du litige, compte tenu des droits de propriété intellectuelle relatifs à ces supports ou aux contenus hébergés par ces pages des réseaux sociaux.

Le Conseil d’État a écarté le moyen en opérant une dissociation entre le support et les droits d’administration liés à sa gestion, d’une part (qui relèvent de la compétence du juge administratif) et les droits de propriété intellectuelle relatifs au contenu figurant sur ce même support, d’autre part (qui relèvent de la compétence du juge judiciaire). Étant donné que la demande de restitution n’avait porté que sur le « contenant » et non sur le « contenu », la Haute Juridiction a écarté l’exception d’incompétence soulevée par la partie adverse.

Au final, le Conseil d’État a enjoint au délégataire sortant de restituer à la commune de Nîmes les droits d’administration des pages des réseaux sociaux relatives aux monuments faisant l’objet du contrat dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision.

Rendons à Jean-Marc Sauvé ce qui appartient à la Commission sur l’économie de l’immatériel, en osant faire remarquer que le Conseil d’État a admis ici un peu plus qu’« Aujourd’hui, la véritable richesse n’est pas concrète, elle est abstraite. Elle n’est pas matérielle, elle est immatérielle. C’est désormais la capacité à innover, à créer des concepts et à produire des idées qui est devenue l’avantage compétitif essentiel. »

L’économie de l’immatériel

Le patrimoine immatériel des personnes publiques