Mise en œuvre de la loi LRE dans le dossier de l’Escaut !

Par Maître Lou DELDIQUE, avocat associé (Green Law Avocats)

Dans la nuit du 9 au 10 avril 2020, la digue d’un bassin de décantation de l’usine Tereos France d’Escaudœuvres (59161) a cédé, provoquant une pollution de l’Escaut. Cette pollution a entraîné l’asphyxie et l’intoxication d’une très grande partie de la faune et de la flore aquatique. Cet évènement a reçu un fort écho médiatique et a donné lieu à l’ouverture d’une enquête judiciaire.

Dans la mesure où la sucrerie Tereos France d’Escaudœuvres est un établissement soumis au régime des installations classées, son exploitation fait l’objet d’une surveillance et d’un encadrement par les services de l’Etat.

C’est pourquoi le Préfet a  :

  • le 29 avril 2020, adressé à la société Tereos France un arrêté préfectoral portant imposition de mesures d’urgence ;
  • puis un arrêté portant prescriptions complémentaires et un arrêté de mise en demeure, tous deux datés du 17 juin 2020. 

Il ressortait de l’arrêté préfectoral du 17 juin 2020 que l’Etat envisageait de mettre en œuvre les dispositions L. 160-1 et suivantes, et R. 161-1 et suivantes, du code de l’environnement (issues de la Loi n°2008-757 du 1er août 2008 relative à la Responsabilité Environnementale dite « LRE »).

C’est dans ce contexte que la Fédération de la Pêche 59 a, par l’intermédiaire du cabinet GREEN LAW AVOCATS, demandé la mise en œuvre de cette procédure.

En effet, l’article R. 162-3 du code de l’environnement dispose que : « Les associations de protection de l’environnement mentionnées à l’article L. 142-1, ainsi que toute personne directement concernée ou risquant de l’être par un dommage ou une menace imminente de dommage au sens du présent titre, qui disposent d’éléments sérieux en établissant l’existence peuvent en informer l’autorité administrative compétente. Elles peuvent également lui demander de mettre ou de faire mettre en œuvre les mesures de prévention ou de réparation définies aux articles L. 162-3 à L. 162-12. La demande est accompagnée des informations et données pertinentes. »

En l’espèce, les conditions prévues par cette disposition étaient remplies car :

  • la Fédération du Nord pour la Pêche et la Protection du Milieu Aquatique est une association de type loi 1901 déclarée depuis le 5 octobre 1987 à la préfecture de LILLE et agréée au titre de la protection de l’environnement depuis le 9 novembre 2018. Établissement reconnu d’utilité publique, elle est engagée dans de nombreuses actions de protection, de gestion et de restauration des milieux aquatiques dans la Région des Hauts-de-France.
  • il ne faisait aucun doute que la pollution de l’Escaut constitue un dommage causé à l’environnement au sens de l’article L. 161-1 du code de l’environnement, puisqu’elle a provoqué une contamination des sols, ainsi que des atteintes à l’état écologique, chimique et quantitatif des eaux, au potentiel écologique de ces eaux, aux espèces et aux habitats protégés, mais aussi à la biodiversité ordinaire, qui, même si elle n’est pas protégée, fait partie de notre patrimoine naturel.

À cet égard, il convient de souligner que le dispositif de la loi LRE a été jusqu’ici très peu mis en œuvre. A tel point que la France a, le 2 juillet 2020, été mise en demeure par la Commission européenne pour mauvaise application de ce mécanisme (issu de la Directive 2004/35/CE du 21 avril 2004 « sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux » dite « DRE »).

L’Etat avait donc ici l’occasion de démontrer, par la mise en œuvre de ce dispositif, son souci répondre sérieusement à une catastrophe écologique ayant eu un fort retentissement.

Par ailleurs, l’intervention de la Fédération, et de toute autre personne concernée, dans la mise en œuvre du dispositif de responsabilité environnementale a permis à l’Etat de s’assurer de son efficacité.

En effet, Tereos France ne pouvait être seule en position d’évaluer les circonstances et impacts de la pollution sans regard extérieur et contradictoire de personnes disposant d’une expertise sur l’état initial de l’Escaut et l’impact de la pollution.

Les constats et analyses réalisés gagnaient ainsi à être enrichis par des points de vue extérieurs, dans l’objectif de définir les mesures pertinentes pour la restauration et la protection de l’Escaut, de sa faune et de sa flore.

Par un arrêté du 4 décembre 2020, le Préfet du Nord a fait droit à cette demande et installé le comité de pilotage de la restauration écologique de l’Escaut, qui a travaillé pendant plusieurs mois à la définition des mesures de restauration écologiques pertinentes.

L’arrêté du 31 août 2021 a prescrit ces mesures à TEREOS, et plus précisément :

« la restauration de 10 ha de terrains situés à proximité du linéaire de L’Escaut, afin de recréer des zones favorables à la reproduction piscicole (restauration de frayères, de zones humides, reconnexion de bras morts).

L’entreprise devra d’abord restaurer deux premiers sites, qui faisaient l’unanimité parmi le groupe d’experts et les membres du comité de pilotage : les berges de l’Erclin, le long des terrains de Tereos et le bras mort de Rodignies, proche de la frontière belge.

Elle devra en parallèle mener des études complémentaires pour proposer des sites supplémentaires. Elle procédera à un rempoissonnement ciblé si ces mesures s’avéraient insuffisantes pour assurer le repeuplement piscicole de l’Escaut. Tereos devra en outre assurer un suivi de l’évolution écologique de l’Escaut.

L’arrêté préfectoral pérennise le comité de pilotage et le groupe d’experts afin de garantir une mise en œuvre optimale des mesures de réparation menées par Tereos et de vérifier l’évolution de l’état écologique de l’Escaut. » (extrait du communiqué de presse de la préfecture : https://www.nord.gouv.fr/layout/set/print/Politiques-publiques/Prevention-des-risques-naturels-technologiques-et-miniers/Informations-generales-sur-les-risques/La-prevention-des-risques/Prevenir-les-risques-technologiques/Installations-classees-pour-la-protection-de-l-environnement-ICPE/Restauration-ecologique-de-l-Escaut/Restauration-ecologique-de-l-Escaut-Le-prefet-du-Nord-prescrit-a-Tereos)