Laptop, house and blueprint with project.Cette question a récemment fait l’objet d’un arrêt du 20 décembre 2013 (req. n° 357198) qui doit d’abord retenir l’attention (il sera mentionné aux Tables du recueil Lebon pour cette raison) en tant qu’il précise la jurisprudence afférente au respect des règles gouvernant l’examen par le Conseil d’Etat des projets de décret qui lui sont obligatoirement soumis.

Rappelons que la violation de l’obligation de consulter le Conseil d’Etat constitue une cause d’illégalité du décret. Plus précisément, il s’agit d’un vice d’incompétence (CE 3 juillet 1998, syndicat national de l’environnement CFDT et autres, req. n° 177248). Une autre cause d’illégalité d’un décret soumis à l’obligation de consultation du Conseil d’Etat réside dans le fait que ses rédacteurs se sont mépris sur la portée de l’avis que les magistrats du Palais Royal, réunis en section consultative ou en assemblée générale, ont rendu sur un projet de décret.

  • D’un côté, les rédacteurs ne sont pas liés par cet avis puisqu’ils ont toujours la possibilité de s’en tenir à la version initiale du projet de décret (CE 16 octobre 1968, Union nationale des grandes pharmacies de France, rec. p. 488).
  • D’un autre côté, s’ils entendent s’écarter de leur projet initial, ils sont alors tenus de respecter l’économie générale du texte adopté par le Conseil d’Etat (CE 10 janvier 2007, Fédération nationale interprofessionnelle des mutuelles, rec. p. 1). La Haute Juridiction a synthétisé sa jurisprudence en considérant que « lorsque, comme en l’espèce, un décret doit être pris en Conseil d’Etat, le texte retenu par le gouvernement ne peut être différent à la fois du projet qu’il avait soumis au Conseil d’Etat et du texte adopté par ce dernier ; le respect de cette exigence doit être apprécié par ensemble de dispositions ayant un rapport entre elles » (cf., CE 20 décembre 2013, fédération française des artisans coopérateurs du bâtiment, req. n° 357198 ; considérant n° 4, précité).

En l’espèce, le décret litigieux précisait, à l’article R. 112-2 du code de l’urbanisme, les modalités de calcul de la surface de plancher, en prévoyant notamment la déduction, respectivement en son 3° et en son 5°, des « surfaces de plancher d’une hauteur sous plafond inférieure ou égale à 1,80 mètre » et des « surfaces de plancher des combles non aménageables ». Le texte adopté par la section des travaux publics du Conseil d’Etat avait supprimé la version initiale du 5° pour lui substituer les mots « pour l’habitation ou des activités à caractère professionnel, artisanal, industriel ou commercial ». Si la version définitive du décret a repris, sur ce point, le texte adopté par le Conseil d’Etat, il a été décidé de conserver, en revanche, le 3° dans sa version initiale. Après avoir considéré que ces deux dispositions ne forment pas « un tout indissociable », la Haute Juridiction a jugé que les règles qui gouvernent l’examen par le Conseil d’Etat des projets de décret n’avaient pas été méconnues.

Au-delà, la Haute Juridiction a rejeté l’ensemble des moyens avancés par la fédération requérante à l’encontre du décret n° 2011-2054 du 29 décembre 2011 pris pour l’application de l’ordonnance n° 2011-1539 du 16 novembre 2011 relative à la définition des surfaces de plancher prises en compte dans le droit de l’urbanisme.

Celle-ci avait plus particulièrement concentré ses critiques à l’encontre de l’article R. 431-2 du code de l’urbanisme, tel que modifié par le décret attaqué. Rappelons que l’article L. 431-1 du code de l’urbanisme pose le principe du recours obligatoire à un architecte pour l’élaboration du projet architectural faisant l’objet d’une demande de permis de construire. Néanmoins, l’article L. 431-3 du même code prévoit des dérogations à ce principe, notamment pour des personnes physiques  qui « déclarent vouloir édifier ou modifier, pour elles-mêmes, une construction de faible importance dont les caractéristiques, notamment la surface maximale de plancher, sont déterminées par décret en Conseil d’Etat ».

A l’origine, l’article R. 431-2 a) du code de l’urbanisme dispense du recours obligatoire à un architecte les personnes physiques qui déclarent vouloir édifier ou modifier pour elles-mêmes « une construction à usage autre qu’agricole dont la surface de plancher hors œuvre nette n’excède pas cent soixante-dix mètres carrés ». Dans sa rédaction issue du décret du 29 décembre 2011, l’article R. 431-2 avait prévu une dérogation à cette obligation pour « une construction à usage autre qu’agricole dont à la fois la surface de plancher et l’emprise au sol au sens de l’article R. 420-1 n’excèdent pas soixante dix mètres carrés ». Ces nouveaux critères et plus particulièrement la prise en compte de « l’emprise au sol » ont eu pour effet de soumettre à l’obligation de recours à un architecte certaines constructions qui en étaient auparavant dispensées. Dans son arrêt, la Haute Juridiction a néanmoins jugé que le choix ainsi fait par le pouvoir réglementaire n’était pas entaché d’une erreur manifeste d’appréciation au regard de l’objectif de qualité des constructions poursuivi par le code de l’urbanisme et par la loi du 3 janvier 1977 sur l’architecture (cf., considérant n° 8).

Au final, cette solution jurisprudentielle ne revêt qu’une portée toute relative. En effet, il convient de rappeler qu’en contrepoint de l’affaire que le Conseil d’Etat a eu à juger, l’article R. 431-2 a) du code de l’urbanisme a une nouvelle fois été modifié par le décret n° 2012-677 du 7 mai 2012 relatif à une des dispenses de recours à un architecte. Ainsi, depuis l’entrée en vigueur de ce décret, la dérogation visée au a) de l’article R. 431-2 a) du code de l’urbanisme concerne-t-elle « une construction à usage autre qu’agricole dont à la fois la surface de plancher et l’emprise au sol, au sens de l’article R. 420-1, de la partie de la construction constitutive de surface de plancher n’excèdent pas cent soixante-dix mètres carrés ».

Ainsi qu’il ressort du préambule au décret du 7 mai 2012, cette dernière modification de la rédaction de l’article R. 431-2 a) du code de l’urbanisme tient précisément au fait que la réforme de la surface de plancher introduite par l’ordonnance du 16 novembre 2011 et par son décret d’application avait entraîné un accroissement du nombre de projets pour lesquels le recours à l’architecte est obligatoire, alors que la réforme de la surface de plancher avait été conçue comme devant rester neutre à cet égard :

« la réforme de la surface de plancher, entrée en vigueur le 1er mars 2012, a modifié le calcul du seuil au-delà duquel le recours à l’architecte est obligatoire pour une personne physique construisant pour elle-même une construction non agricole. Ce seuil, exprimé auparavant en surface hors œuvre nette, est évalué à la fois en surface de plancher et en emprise au sol. Cette modification a entraîné un accroissement du nombre de projets pour lesquels le recours à l’architecte est obligatoire, alors que la réforme de la surface de plancher avait été conçue comme devant rester neutre à cet égard. Cet effet non souhaité de la réforme est corrigé, en précisant que l’emprise au sol qui doit être prise en compte dans le calcul du seuil est seule celle de la partie de la construction qui est constitutive de surface de plancher. Elle correspond à la projection verticale du volume de la partie de la construction constitutive de surface de plancher : les surfaces aménagées pour le stationnement des véhicules ou les auvents, par exemple, ne sont pas pris en compte ». Dans une réponse ministérielle, la Ministre de l’Egalité des territoires et du logement a réaffirmé cet objectif « de neutralisation des effets de la réforme de la surface de plancher sur le champ du recours obligatoire à l’architecte » (Rép. min. n° 35651, JOAN du 22 octobre 2013, p. 11096).

Le débat n’est toutefois pas clos. En effet, saisie par la Ministre de l’Egalité des territoires et du logement, une Mission relative au recours à l’architecte, conjointement confiée au CGEDD et à l’IGAC a conclu dans son rapport remis en septembre dernier que « la notion d’emprise au sol constitutive de surface de plancher est complexe et mal comprise par les particuliers ». Cette mission recommande donc d’abandonner ce critère et de s’en tenir à la surface de plancher, en fixant le nouveau seuil à 150 m2 de surface de plancher en métropole et à 160 m² outremer.

Ainsi une chose est sûre, les surfaces de plancher urbanistique sont un enjeu de définition … affaire à suivre.

Yann BOURREL

Green Law Avocat