Genetically Modified FoodsLa Chambre commerciale de la Cour de cassation a déjà admis à plusieurs reprises que la violation d’une réglementation par un opérateur économique constitue une faute de concurrence déloyale au préjudice d’un concurrent qui respecte cette réglementation (Cass. Com, 1er avril 1997, pourvoi n° 94-22129, Bull. civ. 1997, IV, n° 87 ; s’agissant de la réglementation fixant le prix du livre ; Cass. Com. 2 décembre 2008, pourvoi n° 07-19861 ; s’agissant de la réglementation d’urbanisme).

Dans son arrêt du 21 janvier 2014, la Chambre commerciale a transposé ces solutions jurisprudentielles à un cas de méconnaissance, par un concurrent, de la réglementation administrative relative aux installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) (Cass, Com., 21 janvier 2014, pourvoi n° 12-25443).

Dans cette affaire, une société, qui était autorisée au titre de la réglementation ICPE à exploiter un broyeur de métaux, a estimé qu’un de ses concurrents s’était rendu coupable d’actes de concurrence déloyale à son encontre, après avoir exploité, à proximité de son installation, un broyeur dans le cadre des mêmes activités, sans pour autant être titulaire des autorisations requises. Dans ce contexte, elle a fait assigner le contrevenant afin d’obtenir le paiement de dommages-intérêts.

La Cour d’appel de Paris a fait droit à cette demande en jugeant que « le défaut de respect d’une réglementation administrative dans l’exercice d’une activité commerciale constitue une faute génératrice d’un trouble commercial pour un concurrent ; plus précisément, l’inobservation de la réglementation imposée à une activité commerciale est constitutive d’une faute de concurrence déloyale vis-à-vis du concurrent qui la respecte ; que la liberté du commerce suppose, en effet, que les entreprises exercent une concurrence par les mérites, s’interdisant tout procédé déloyal qui leur confèrerait un avantage injustifié, étant observé que la caractérisation de la faute de concurrence déloyale n’exige pas la constatation d’un élément intentionnel ; qu’en l’espèce (…) le défaut, par la société intimée, du respect de la réglementation administrative relative à l’activité commerciale de broyage constitue, pour la société appelante, un acte de concurrence illicite et déloyale, générateur, en lui-même, d’un trouble commercial impliquant l’existence d’un préjudice » (CA Paris Pôle 5, Chambre 4, 30 mai 2012, N° 10/13056).

Cette solution a été validée par la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans sa décision prononcée le 21 janvier 2014.

A cette occasion, la Chambre commerciale a rappelé que « la qualification de concurrence déloyale ne suppose pas que les faits incriminés aient procuré un profit à leur auteur ». En revanche, comme l’avait souligné la Cour d’appel de Paris, une faute de concurrence déloyale est constituée du fait que la réglementation imposée à une activité commerciale a été méconnue. Ce n’est pas la première affaire dans laquelle un lien est établi entre faute de concurrence déloyale et méconnaissance de la réglementation ICPE.

A titre d’exemple, la Chambre des appels correctionnels de la Cour d’appel de Riom a déjà jugé que la poursuite par un opérateur de l’exploitation d’une carrière pendant plus de cinq années au-delà du terme qui lui avait été fixé constituait une « conduite hautement préjudiciable dans la mesure où elle constitue un acte de concurrence déloyale vis à vis des exploitants qui respectent la législation en vigueur et où elle bafoue les règles élémentaires qui visent à protéger l’environnement bien commun à tous les hommes » (CA Riom 19 avril 2006, N° 06/00041, confirmé par Cass., Crim. 5 décembre 2006, pourvoi n° 06-83527). Cette fois-ci, c’est à l’initiative d’un concurrent que le contrevenant se voit reprocher d’avoir commis des actes de concurrence déloyale.

Au-delà, comme le souligne le Professeur Trébulle dans son commentaire de l’arrêt de la Cour d’appel de Riom paru dans la revue « La Semaine Juridique Entreprise et Affaires », on peut se demander si l’action en concurrence déloyale « ne permettrait pas à un concurrent respectueux de la législation environnementale d’agir devant les juridictions civiles pour qu’il soit mis fin à un comportement illicite constitutif d’une concurrence déloyale » (La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 30, 26 Juillet 2007, 1957, Entreprise et développement durable).

A cet égard, on relèvera que dans une décision rendue au sujet de la méconnaissance par un concurrent de la réglementation d’urbanisme, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence s’est refusée à franchir le pas, en jugeant, en l’espèce, que « le préjudice invoqué ne consiste pas en une perte de clientèle mais en un manque à gagner relativement modeste dès lors que la clientèle des deux restaurant n’est pas identique, et que l’hôtel de la PONCHE ne subit de fait qu’un encerclement nuisant à la qualité de son exploitation; que dès lors la fermeture de l’établissement litigieux dont l’exploitation ne constitue que l’un des éléments de la concurrence déloyale reprochée, ne s’impose pas ; qu’en revanche il sera fait droit à la demande de dommages et intérêts à hauteur de 15 000 euro compte tenu des éléments produits au débat » (CA Aix-en-Provence Chambre 8A, 11 février 2010, N° 2010/ 69).

En la matière on doit encore souligner que le juge administratif n’est pas en reste, puisqu’il répare le préjudice subi par le tiers lésé par les carences fautives de l’inspection des installations classées au profit de son concurrent. Ainsi l’industriel obtient réparation de son manque à gagner du fait d’un fonctionnement à coût environnemental déloyal de ses concurrents, non pas sur le fondement d’une rupture d’égalité devant les charges publiques, mais pour inaction fautive de l’Administration (TA Nice, 16 mai 2000, n° 96-3649, SARL DKP c/ Préfecture des Alpes-Maritimes, cité in D. Deharbe, Installations classées pour la protection de l’environnement, 2007, LITEC, n°655). Ainsi, sur le terrain de l’action en responsabilité l’intérêt à agir du concurrent lésé ne ferait pas difficulté, contrairement aux limites qui lui sont opposées, eu égard aux dispositions restrictives de l’article L 514-6 du code de l’environnement par le juge des installations classées, lorsqu’il statue sur l’annulation des arrêtés préfectoraux délivrés à son concurrent (CAA 7 janvier 2014, n°12LY02451).

Yann Borrel

Green Law Avocat