Le Conseil d'étatPar une décision en date du 5 novembre 2014 n°362021 (consultable ici), le Conseil d’Etat apporte d’utiles précisions sur l’application de l’article L. 600-1 du code de l’urbanisme.

 Pour rappel, cette disposition, qui vise à préserver la sécurité juridique de certains documents, empêche les requérants d’invoquer par voie d’exception certains vices de procédure ou de forme susceptibles d’affecter les documents d’urbanisme qu’il énumère (schéma directeur, schéma de cohérence territoriale, POS, PLU, carte communale ou document d’urbanisme en tenant lieu) plus de six mois après leur entrée en vigueur.

Cela signifie concrètement qu’un refus de permis fondé, par exemple, sur un document d’urbanisme (type PLU) qui serait affecté d’un vice de procédure, ne pourrait plus être annulé sur ce fondement, car le requérant n’est pas recevable à invoquer, devant le juge saisi d’un recours contre le refus de permis, l’illégalité du document d’urbanisme (moyen dit « d’exception d’illégalité »).

Certes, en raison de leur gravité, certains vices peuvent être invoqués au-delà du délai de six mois. Il s’agit :

  •  de l’absence de mise à disposition du public des schémas directeurs ;
  • de la méconnaissance substantielle ou de la violation des règles de l’enquête publique (voir par exemple CAA Lyon, 7 févr. 2012, n° 11LY00938 ; CAA Marseille, 20 oct. 2011,   n°09MA03334 ; CAA Lyon, 7 mars 2011, n°09LY00482 ; CAA Nantes, 30 janv. 2006, n° 04NT01489) ;
  • de l’absence du rapport de présentation ou des documents graphiques (sur la notion d’absence, voir par exemple CAA Marseille, 12 nov. 2013, n°11MA04557 ; CAA Marseille, 20 oct. 2011, n°09MA03483 ; CAA Nancy, 26 mars 2006, n°04NC00288 ; CAA Bordeaux, 28 oct. 1999, n°96BX00112)

 Par ailleurs, la jurisprudence interprète la restriction posée par l’article L.600-1 de manière très large, puisqu’elle s’applique à tous les contentieux, y compris devant le juge pénal (CAA Paris, 20 mai 1999,   n° 95PA03054 ; Rennes, 17 juill. 1997: n°932/97 ; T. corr. Rennes, 13 mars 1996 : Dr. adm. 1996, n°147).

L’arrêt commenté apporte néanmoins un tempérament à cette interprétation, en considérant que le délai de forclusion de six mois n’est pas opposable au requérant lorsque le document d’urbanisme fait lui-même l’objet d’un recours en annulation pendant devant une juridiction du fond.

En l’espèce, une société civile agricole contestait le refus du maire d’une commune de lui accorder un permis d’aménager, soutenant notamment, par la voie de l’exception, que ce refus était fondé sur les dispositions d’un PLU illégal pour vice de forme. Le recours contre le refus de permis ayant été formé plus de six mois après l’entrée en vigueur du document, la cour administrative d’appel de Marseille avait rejeté ce moyen en se fondant sur l’article L.600-1 du code de l’urbanisme :

« […] Les dispositions de l’alinéa précédent sont également applicables à l’acte prescrivant l’élaboration ou la révision d’un document d’urbanisme ou créant une zone d’aménagement concerté. Les deux alinéas précédents ne sont pas applicables lorsque le vice de forme concerne : – soit l’absence de mise à disposition du public des schémas directeurs dans les conditions prévues à l’article L.22-1-2 dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains ; – soit la méconnaissance substantielle ou la violation des règles de l’enquête publique sur les schémas de cohérence territoriale, les plans locaux d’urbanisme et les cartes communales ; – soit l’absence du rapport de présentation ou des documents graphiques.  » ;

 Considérant que les délibérations des 29 octobre 2003, 14 juin 2007 et 28 juin 2007 ont été régulièrement affichées et publiées, et transmises au contrôle de légalité ; que la requérante n’était plus recevable, à la date de saisine du tribunal administratif de Marseille, à exciper de leur illégalité, au soutien de la demande d’annulation de la délibération du 27 février 2008, en tant que ces délibérations antérieures auraient été entachées de vices de forme tenant à l’insuffisance du rapport de synthèse et à l’insuffisance du délai de convocation des conseillers municipaux ; »

Le Conseil d’Etat, relevant que la requérante avait également formé un recours pour excès de pouvoir contre ledit PLU et que ce recours était toujours pendant devant les juges du fond, censure cette appréciation :

 «  Considérant, en second lieu, que l’article L. 600-1 du code de l’urbanisme prive les requérants de la faculté d’invoquer par voie d’exception, devant les juridictions administratives, certains vices de procédure ou de forme susceptibles d’affecter les actes d’urbanisme qu’il énumère, dont les plans locaux d’urbanisme ; que, toutefois, cette disposition, que le législateur a adoptée dans un souci de sécurité juridique, ne saurait être opposée au requérant qui fait état de ce que l’acte d’urbanisme de l’illégalité duquel il excipe fait l’objet d’un recours en annulation pendant devant une juridiction du fond ; que, dès lors, en considérant qu’à la date de saisine du tribunal administratif de Marseille, la SCEA de C… n’était plus recevable, au soutien de son recours relatif au permis d’aménager, à exciper de l’illégalité des délibérations des 29 octobre 2003, 14 juin 2007 et 28 juin 2007 relatives au plan local d’urbanisme, en tant qu’elles auraient été entachées de vices de forme tenant à l’insuffisance des rapport de synthèse et au délai de convocation des conseillers municipaux, et ce alors même que cette société avait fait état du recours pour excès de pouvoir qu’elle avait par ailleurs formé contre ce plan et qui était encore pendant devant les juges d’appel, ces derniers ont méconnu l’article L. 600-1 du code l’urbanisme ; »

 

S’il ne fait nul doute que cette décision aura un impact déterminant pour les requérants ayant engagé deux procédures simultanées (l’une visant à l’annulation d’une décision individuelle, l’autre à l’annulation d’un document d’urbanisme), on peut toutefois se demander si la règle posée par la Haute Juridiction s’applique également lorsque le recours en excès de pouvoir dirigé contre le PLU a été introduit par un tiers à l’instance. La rédaction de l’arrêt, très générale, laisse penser que oui, ce qui est logique, puisqu’il est constant qu’un acte administratif n’est pas définitif tant qu’il est contesté au contentieux.

Lou DELDIQUE

Green Law Avocat