Le Conseil d’Etat vient de rendre une décision éclairante (publiée aux Tables)  dans le domaine des installations classées, intéressant plus particulièrement de la question du délai de validité de l’autorisation d’exploiter (CE, 22 mai 2012, n°339504, Mentionnée aux Tables).  Analyse.

 

 

La question du délai de validité en cas de retrait par l’administration de l’arrêté d’autorisation

Dans un dossier ayant fait l’objet de plusieurs rebondissements judiciaires sous la pression d’opposants à un centre de stockage de déchets industriels banals, la question qui se posait à la Haute juridiction était de savoir ce qu’il advenait du délai de validité de trois ans

–          Lorsque l’arrêté d’autorisation est retiré

–          Et lorsque cette décision de retrait fait elle-même l’objet d’un recours devant le juge administratif.

 

Cette question n’est pas anodine, car il peut arriver que l’autorité de police retire l’arrêté d’autorisation, auquel cas l’exploitant sera bien avisé d’en solliciter l’annulation dans un délai de deux mois. Reste que le recours n’étant pas suspensif, il ne pourra mettre en service son installation sous peine de se voir reproché un délit d’exploitation sans titre.

D’où l’intérêt de connaître le délai de caducité dans cette circonstance particulière d’un recours contre le retrait de l’arrêté d’autorisation.

 

Le texte en la matière, alors applicable, n’apportait pas toutes les réponses souhaitées. En effet, l’article R 512-38 du Code de l’environnement prévoyait seulement que :

« L’arrêté d’autorisation cesse de produire effet lorsque l’installation classée n’a pas été mise en service dans le délai de trois ans ou n’a pas été exploitée durant deux années consécutives, sauf le cas de force majeure. »

Notons d’emblée que le juge demande à être convaincu de l’arrêt de l’exploitation et de l’absence de mise en service (CAA Marseille, 7 février 2012, n° 09MA04671). Cette sévérité s’entend d’ailleurs s’agissant d’un site à plusieurs installations, dont la mise en service de certaines suffit à préserver le délai de validité (CE, 27 sept. 2006, n° 269553, « Cté d’agglomération de M., Cne V. » : Juris-Data n° 2006-070755).   

Quid de ce qui peut constituer des causes d’interruption ou de suspension de ce délai de validité ? Différentes hypothèses avaient déjà pu être précisées en jurisprudence :

  • Ainsi, dans le cas d’une suspension en référé de l’arrêté d’autorisation, le délai de caducité est interrompu (CAA Marseille, 11 février 2010, n° 08MA00145 : « Considérant qu’il résulte de l’instruction que, par ordonnance du 24 mai 2006, le juge des référés du Tribunal administratif de Marseille a suspendu l’exécution de l’autorisation en litige ; que cette suspension a eu pour effet d’interrompre le délai de trois ans prévu par les dispositions précitées »).
  • L’annulation d’une autorisation d’exploiter prononcée par un jugement frappé d’appel, a pour effet d’interrompre, et non de suspendre, le délai de caducité d’une telle autorisation jusqu’à la notification de la décision rendue en appel. Un nouveau délai de trois ans commence à courir à la date de notification de l’arrêt (TA Nancy, 16 nov. 2004, n° 0400745, « Sté G. » : Environnement mai 2005, comm. 34, note D. Gillig).
  • En revanche, avant l’entrée en vigueur du nouvel article R 512-74, il était prévu qu’un refus de permis de construire, opposé à deux reprises et jugé illégal par le juge administratif n’était pas de nature à suspendre le délai de caducité de l’arrêté ICPE (TA Rennes, Ord., 25 juill. 2006, n° 06-2726). Même solution pour un recours des tiers (CAA Nancy, 13 juill. 1994, n° 93NC00204 et 93NC01259, « Cne C. » : BDEI févr. 1995, p. 26).

 

Il faut à cet égard bien distinguer deux notions :

–          La suspension du délai : un délai « suspendu » pendant une certaine durée reprend son écoulement pour la durée restante à compter du terme de ce délai.

–          L’interruption du délai : un délai « interrompu » pendant une certaine durée recommence entièrement à courir dès l’évènement achevé.

 

Par ailleurs, la force majeure doit quant à elle classiquement revêtir les caractères d’irrésistibilité, d’imprévisibilité et d’extériorité pour être admise.

A défaut de bénéficier d’un renvoi exprès dans le Code à l’hypothèse spécifique d’un retrait par l’administration de l’arrêté d’autorisation, se posait au juge la question de savoir si ce fait de l’administration revêtait les caractères de la force majeure, et si, par conséquent, le retrait par le Préfet de son arrêté d’autorisation pouvait avoir pour effet de suspendre son délai de validité.

A cette question d’importance, les exploitants avaient jusqu’à maintenant une réponse de la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 2 juin 2004 (CCass, crim., 2 juin 2004, n°03-85615 ; Env. n°10, Octobre 2004, comm.92), avait décidé que le fait de l’administration constituait un cas de force majeure, ayant pour effet d’interrompre le délai de caducité.

 

 

La décision du Conseil d’Etat précise les cas de suspension et d’interruption du délai de validité de l’autorisation ICPE

 

Dans un considérant pédagogique et à vocation générale, la Haute juridiction se prononce sur les mêmes faits que la Cour de cassation en 2004.

Il considère pour sa part que:

« Considérant qu’il résulte de ces dispositions que sauf le cas de force majeure, la société bénéficiaire d’une autorisation d’exploiter une installation classée pour la protection de l’environnement dispose d’un délai de trois ans pour mettre en service cette installation ;

que, outre le cas où des travaux seraient entrepris dans le seul but d’échapper à l’application de la règle qu’elles édictent, seule une absence de fonctionnement effectif des activités faisant l’objet de l’autorisation d’exploiter une installation classée est de nature à emporter la caducité d’une telle autorisation ;

que, toutefois, le délai de validité d’une telle autorisation est suspendu entre la date d’introduction d’un recours devant la juridiction administrative dirigé contre cet acte et la date de notification au bénéficiaire de l’autorisation de la décision devenue irrévocable statuant sur ce recours ;

que lorsque cette dernière décision rejette le recours formé contre cet acte, le délai de validité suspendu recommence à courir pour la durée restante à compter de la date de notification de la décision juridictionnelle ;

que, par ailleurs, les dispositions de l’article R. 512-38 du code de l’environnement citées ci-dessus ne peuvent recevoir application que si l’absence de mise en service ou l’interruption de l’exploitation n’est pas imputable au fait de l’administration ;

que le fait de l’administration, notamment le retrait de l’autorisation, a pour effet, non de suspendre, mais d’interrompre le délai de caducité ; qu’un nouveau délai de caducité commence à courir lorsque le fait de l’administration cesse de produire son effet interruptif ; qu’il en va notamment ainsi lorsque le juge administratif, saisi d’un recours, annule la décision de retrait de l’autorisation ; »

 

Il faut souligner ici plusieurs points :

  • Tout d’abord, le Conseil d’Etat se démarque de la Cour de cassation en jugeant qu’un recours en annulation contre un arrêté d’autorisation a pour effet de suspendre le délai de caducité de l’arrêté d’autorisation.

Notons que la nouvelle rédaction du Code de l’environnement prévoit dorénavant de façon explicite cette hypothèse : depuis l’entrée en vigueur du décret du 07 février 2012, l’article R512-74 en vigueur dispose que :

« L’arrêté d’autorisation, l’arrêté d’enregistrement ou la déclaration cesse de produire effet lorsque, sauf cas de force majeure, l’installation n’a pas été mise en service dans le délai de trois ans ou lorsque l’exploitation a été interrompue pendant plus de deux années consécutives.

Le délai de mise en service est suspendu jusqu’à la notification à l’auteur de la décision administrative ou à l’exploitant, dans les deux premières hypothèses, d’une décision devenue définitive ou, dans la troisième, irrévocable en cas de :

Recours devant la juridiction administrative contre l’arrêté d’autorisation, l’arrêté d’enregistrement ou la déclaration ;

2° Recours devant la juridiction administrative contre le permis de construire ayant fait l’objet d’un dépôt de demande simultané conformément au premier alinéa de l’article L. 512-15 ;

3° Recours devant un tribunal de l’ordre judiciaire, en application de l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme, contre le permis de construire ayant fait l’objet d’un dépôt de demande simultané conformément au premier alinéa de l’article L. 512-15 du présent code ».

 

 

  • Par ailleurs et surtout, la Haute juridiction apporte un éclairage utile à la question des effets d’un retrait par l’administration de l’arrêté d’autorisation.

C’est ainsi que le Conseil d’Etat décide que « que le fait de l’administration, notamment le retrait de l’autorisation, a pour effet, non de suspendre, mais d’interrompre le délai de caducité ».

Et tirant toutes les conséquences de cette règle, il précise « qu’un nouveau délai de caducité commence à courir lorsque le fait de l’administration cesse de produire son effet interruptif ; qu’il en va notamment ainsi lorsque le juge administratif, saisi d’un recours, annule la décision de retrait de l’autorisation ; ».

Ainsi, concrètement, en cas de retrait de l’arrêté d’autorisation d’exploiter, le délai de validité est interrompu, et il recommencera à courir pour une nouvelle durée lorsqu’une juridiction annulera définitivement (soit passé le délai d’appel, sans appel interjeté régulièrement) ladite décision de retrait.

D’où l’importance pour un exploitant s’étant vu retirer son titre à exploiter à introduire un recours, même de façon conservatoire, contre la décision de retrait.

 

Cette solution est à saluer, car elle participe d’une sécurisation de la situation des exploitants, qui sont tantôt exposés à des retraits de l’administration méritant d’être contestés, tantôt l’objet de recours de tiers.

Cette multiplicité des actions susceptibles d’être intentées contre un arrêté d’autorisation est dorénavant prise en compte par la jurisprudence (Conseil d’Etat dans l’arrêt commenté) et par le nouvel article R 512-74 qui prévoit que :

« L’arrêté d’autorisation, l’arrêté d’enregistrement ou la déclaration cesse de produire effet lorsque, sauf cas de force majeure, l’installation n’a pas été mise en service dans le délai de trois ans ou lorsque l’exploitation a été interrompue pendant plus de deux années consécutives.

Le délai de mise en service est suspendu jusqu’à la notification à l’auteur de la décision administrative ou à l’exploitant, dans les deux premières hypothèses, d’une décision devenue définitive ou, dans la troisième, irrévocable en cas de :

1° Recours devant la juridiction administrative contre l’arrêté d’autorisation, l’arrêté d’enregistrement ou la déclaration ;

2° Recours devant la juridiction administrative contre le permis de construire ayant fait l’objet d’un dépôt de demande simultané conformément au premier alinéa de l’article L. 512-15 ;

3° Recours devant un tribunal de l’ordre judiciaire, en application de l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme, contre le permis de construire ayant fait l’objet d’un dépôt de demande simultané conformément au premier alinéa de l’article L. 512-15 du présent code ».

 

 

Stéphanie Gandet

Avocat associé

Green Law Avocat