code de l'environnemenLa Cour administrative de Douai vient de rendre une décision extrêmement intéressante (quoique complexe) en matière de contentieux des installations classées.

La jurisprudence du Conseil d’Etat relative à l’autorité de la chose jugée par le juge pénal à l’égard du juge administratif est aujourd’hui clairement établie. Elle est à mettre en parallèle avec la jurisprudence de la Première chambre civile de la Cour de cassation relative à l’autorité de la chose jugée au pénal sur le juge civil. La Première chambre estime ainsi que « l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil s’attache à ce qui a été définitivement, nécessairement et certainement décidé par le juge pénal sur l’existence du fait qui forme la base commune de l’action civile et de l’action pénale, sur sa qualification ainsi que sur la culpabilité de celui à qui le fait est imputé » (Cass., civ 1ère 24 octobre 2012, pourvoi n° 11-20.442).

On peut résumer la jurisprudence du Conseil d’Etat de la manière suivante, à la lumière des principaux arrêts de principe rendus dans ce domaine :

  • l’autorité de la chose jugée en matière pénale ne s’attache qu’aux décisions des juridictions de jugement qui statuent sur le fond de l’action publique : tel n’est pas le cas des décisions de classement sans suite prises par le ministère public (CE 5 mai 1986, M. Zemouli, n° 51 149) ;

 

  •  il est admis que les faits constatés par le juge pénal et qui commandent nécessairement le dispositif d’un jugement ayant acquis force de chose jugée s’imposent à l’administration comme au juge administratif (CE 12 avril 2002, Papon, rec. Lebon p. 139) ;

 

  • en revanche, l’autorité de la chose jugée ne s’étend pas, en principe, aux qualifications juridiques données aux faits par le juge pénal (CE 8 janvier 1971, Ministre de l’Intérieur contre Dame Desamis, rec. Lebon p. 19) ;

 

  • A titre exceptionnel, l’autorité de la chose jugée s’étend à ces qualifications, lorsque « la légalité d’une décision administrative est subordonnée à la condition que les faits qui servent de fondement à cette décision constituent une infraction pénale » (CE 8 janvier 1971, Ministre de l’Intérieur contre Dame Desamis, précité ; CE 10 octobre 2003, commune de Soisy-sous-Montmorency, rec. p. 390 : dans cette affaire, le Conseil d’Etat estime que l’autorité de la chose jugée s’attache à un jugement de relaxe des fins de poursuite de construction sans permis de construire et qu’en conséquence, le juge administratif est tenu d’annuler un arrêté interruptif de travaux pris sur le fondement de l’article L. 480-2 du code de l’urbanisme) ;

 

  • Au demeurant, l’autorité de la chose de jugée ne s’attache pas aux motifs d’un jugement de relaxe tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce qu’un doute subsiste sur leur réalité ; il appartient, dans ce cas, à l’autorité administrative puis, le cas échéant, au juge administratif d’apprécier si les mêmes faits sont établis (CE 11 mars 1987, Ketati et Mestaoui, rec. p. 90).

Ces solutions jurisprudentielles ont été appliquées par la Cour administrative d’appel de Douai dans l’arrêt commenté. Dans cette affaire, la société exploitante d’une ICPE avait demandé la condamnation de l’Etat à lui verser une indemnisation à raison des fautes que le Préfet aurait prétendument commises en décidant notamment de suspendre ses activités et en la mettant en demeure de régulariser sa situation administrative.

Tout d’abord, devant le juge d’appel, la société exploitante a fait observer que les arrêtés préfectoraux litigieux auraient méconnu la qualification juridique donnée au faits ayant notamment conduit la Cour d’appel d’Amiens à prononcer notamment sa relaxe du délit d’exploitation sans autorisation d’une ICPE. La Cour administrative d’appel a rejeté cet argument en considérant que la légalité des arrêtés, que le Préfet avait pris dans le cadre des pouvoirs qu’il tient de la législation ICPE, n’était pas subordonnée à la condition que les faits qui leur servent de fondement constituent une infraction pénale (cf., 4°).

Ensuite, la société exploitante a également avancé que le Préfet aurait commis une faute en prenant un arrêté par
lequel il avait suspendu son activité, l’avait mise en demeure de régulariser sa situation administrative et lui avait enjoint d’évacuer les produits dangereux stockés sur son site. Au soutien de sa position, elle s’était encore prévalue de l’arrêt de la Cour d’appel d’Amiens ayant prononcé sa relaxe des fins de poursuites pénales. Dans le droit fil de la jurisprudence Ketati et Mestaoui précitée (cf., 5°), la Cour administrative d’appel a rejeté cet argument. En effet, les magistrats administratifs ont jugé, en substance, que pour prononcer la relaxe des fins de poursuites pénales, la Cour d’appel avait retenu que l’administration n’avait pas en mesure d’établir la réalité des faits ou qu’un doute subsistait sur leur réalité. En particulier, la Cour d’appel a estimé que l’administration n’était pas parvenue à établir l’existence d’un dépassement des seuils de capacité autorisés. En conséquence, les magistrats de la Cour administrative d’appel ont apprécié eux-mêmes si les faits allégués par l’administration étaient bien établis et ont conclu sur ce point par l’affirmative. En particulier, ils se sont appuyés sur le procès-verbal et le rapport établis par l’inspecteur des installations classées ainsi que sur un rapport de gendarmerie du même jour. Ces rapports faisaient état, lors des opérations de contrôle, de volumes de stockage de produits supérieurs au seuils autorisés.

Yann BORREL

Green Law Avocat