Le Conseil d'étatVoici un arrêt qui intéressera les exploitants d’installation classée pouvant faire l’objet d’arrêté de sanction après avoir fait l’objet de mise en demeure du Préfet (CE, 20 mars, n°352551).

L’arrêt rappelle une règle classique selon laquelle un arrêté de mise en demeure ICPE peut être contesté à l’occasion d’un recours contre un arrêté de sanction, mais à condition que l’arrêté de mise en demeure ne soit pas devenu définitif (I). L’arrêt est plus crucial au sujet des pouvoirs du juge d’appel en ce qui concerne l’appréciation du caractère définitif ou non justement de l’arrêté de mise en demeure (II).

 

I. Un arrêté de mise en demeure peut être contesté à l’occasion d’un recours contre l’arrêté de sanction, à condition de ne pas être définitif

Rappelons que le fonctionnement de l’installation classée est surveillé par le Préfet de département, aidé en cela par le Service des installations classées, placé auprès du Service Risques des DREAL. Le Code de l’environnement prévoit en son article L 514-1 que:

« I.-Indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées, et lorsqu’un inspecteur des installations classées ou un expert désigné par le ministre chargé des installations classées a constaté l’inobservation des conditions imposées à l’exploitant d’une installation classée, le préfet met en demeure ce dernier de satisfaire à ces conditions dans un délai déterminé. Si, à l’expiration du délai fixé pour l’exécution, l’exploitant n’a pas obtempéré à cette injonction, le préfet peut :

 1° Obliger l’exploitant à consigner entre les mains d’un comptable public une somme répondant du montant des travaux à réaliser, laquelle sera restituée à l’exploitant au fur et à mesure de l’exécution des mesures prescrites ; il est procédé au recouvrement de cette somme comme en matière de créances étrangères à l’impôt et au domaine. Pour le recouvrement de cette somme, l’Etat bénéficie d’un privilège de même rang que celui prévu à l’article 1920 du code général des impôts ;

 2° Faire procéder d’office, aux frais de l’exploitant, à l’exécution des mesures prescrites ;

 3° Suspendre par arrêté, après avis de la commission départementale consultative compétente, le fonctionnement de l’installation, jusqu’à exécution des conditions imposées et prendre les dispositions provisoires nécessaires. […] »

 

La procédure de sanctions administratives sera donc toujours, en principe, précédée d’un arrêté de mise en demeure, qui fonde les poursuites. Souvent, cet arrêté de mise en demeure est attaqué, à moins que l’exploitant ne s’exécute dans le délai imparti. A défaut d’être attaqué dans le délai de deux mois, l’arrêté préfectoral de mise en demeure devient définitif.

Quoi qu’il en soit, le Préfet peut, au terme du délai imparti (qui doit encore être raisonnable, une jurisprudence abondante existant sur le sujet), prendre un nouvel arrêté imposant un certain type de sanction coercitives listées à l’article L 514-1 du Code de l’environnement.

La question posée au Conseil d’Etat dans l’affaire jugée le 20 mars 2013 était de savoir dans quelles conditions l’exploitant d’une ICPE pouvait contester un arrêté de sanction en soulevant, « par exception », l’illégalité de l’arrêté de mise en demeure qui le fonde. Ce mécanisme de l’exception d’illégalité permet en principe de contester la base juridique qui fonde l’acte attaqué.

Ce que rappelle ici le Conseil d’Etat est que l’exploitant peut contester l’arrêté de mise en demeure à l’occasion du recours contre l’arrêté de sanction, mais encore faut il que l’arrêté de mise en demeure ne soit pas lui même devenu défnitif.

 

La Haute juridiction a ainsi rappelé dans l’arrêt du 20 mars 2013 que:

« 2. Considérant que l’illégalité d’un arrêté de mise en demeure, pris sur le fondement de ces dispositions, peut utilement être invoquée, par la voie de l’exception, à l’encontre de l’arrêté de consignation pris à sa suite ; que, toutefois, une telle exception d’illégalité n’est recevable que si cet arrêté, qui est dépourvu de caractère réglementaire, n’était pas devenu définitif à la date à laquelle elle est soulevée ; »

 

Cette décision n’est pas particulièrement novatrice, et reprend une jurisprudence constante sur le sujet (pour des exemples récents: CAA Bordeaux, 8 mars 2010, n° 09BX00810; CAA Lyon, 12 mai 1998, n° 97LY01199 et n° 97-LY02083, SARL Sablière de Ris : JurisData n° 1998-046194. – CE, 16 nov. 1998, n° 182816 ; CAA Nancy, 1er mars 2004, n° 99NC01971, SARL AC Autos : Environnement 2004, comm. 52, obs. D. Gillig – CAA Versailles, 18 oct. 2007, n° 06VE00123, SARL Raymond-Thomas : Environnement 2008, comm. 12, note D. Gillig).

Cela s’explique aisément par le fait que l’arrêté de mise en demeure n’est pas un acte réglementaire et qu’il ne constitue pas une opération complexe avec l’arrêté de sanction (CE, 16 nov. 1998, n° 182816, Min. Environnement / SA Cie des Bases Lubrifiantes).

 

On ne pourra donc que conseiller aux exploitants, une fois encore, de contester l’arrêté de mise en demeure de façon conservatoire, de manière à ce qu’il ne devienne pas définitif. Cela ne les empêchera pas d’y satisfaire, si possible dans le délai imparti, qui se doit d’être raisonnable compte tenu de la nature de la prescription méconnue et devant être respectée. A défaut de contester l’arrêté de mise en demeure (par voie contentieuse, le recours gracieux ne prorogeant les délais de recours contentieux en matière ICPE), ce dernier deviendra définitif, et quoi qu’il advienne par la suite, il ne pourra plus être utilement être contesté.

 

 

II. Le juge d’appel ne peut d’office vérifier si l’arrêté de mise en demeure est définitif

 

En l’espèce, le Tribunal administratif avait rejeté comme irrecevable l’argument tiré de l’illégalité de l’arrêté de mise en demeure car il avait été soulevé le caractère définitif de cet arrêté préalable à l’arrêté de sanction. Il semblerait qu’en appel, l’exploitant n’ait pas contesté cette appréciation des premiers juges et ne remettait pas en question cette partie du jugement.

Pourtant, les juges de la Cour administrative d’appel (CAA Marseille, 4 juillet 2011) ont d’emblée considéré « qu’il ne ressort d’aucune des pièces du dossier que l’arrêté du 20 décembre 2006 serait devenu définitif ; que, par suite, contrairement à ce qu’ont estimé les premiers juges, l’exception d’illégalité invoquée par M. A est recevable ».

 

C’est cette appréciation qui est censurée par le Conseil d’Etat, puisque l’exploitant ne remettait pas en question l’appréciation des premiers juges au sujet du caractère définitif de l’arrêté de mise en demeure: les juges d’appel ne peuvent donc se saisir d’office d’une irrecevabilité opposée par les juges de première instance, irrécevabilité non contestée par l’appelant:  

« Considérant qu’il ressort du dossier soumis à la cour que l’appréciation portée par les premiers juges sur le caractère définitif de l’arrêté de mise du 20 décembre 2006 n’était pas contestée devant elle ; qu’en jugeant le contraire, la cour a dénaturé les pièces du dossier ; qu’au demeurant, elle a commis une erreur de droit dès lors qu’il n’appartient pas au juge d’appel, devant lequel l’appelant ne conteste pas l’irrecevabilité opposée en première instance au moyen d’exception d’illégalité qu’il avait soulevé à l’appui de ses conclusions, de rechercher d’office si cette irrecevabilité a été opposée à bon droit par les premiers juges ; que, par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen du pourvoi, le ministre est fondé à demander l’annulation de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 4 juillet 2011 ; »

 

Annulant l’arrêt de la CAA de Marseille, la Haute juridiction lui renvoie l’affaire pour qu’elle y soit jugée.

 

Stéphanie GANDET

Avocat associé

Green Law Avocat