Pminear un arrêt du 11 juin 2014 (consultable ici), rendu en matière d’installations classées, le Conseil d’Etat précise que le Préfet saisi d’une demande d’autorisation d’exploiter une carrière ou une installation de stockage de déchets doit vérifier la régularité de la maîtrise foncière par le pétitionnaire.

En effet, lorsque la demande d’autorisation ICPE concerne une carrière ou une installation de stockage de déchets, l’article R. 512-6, 8° du code de l’environnement prévoit qu’ « un document attestant que le demandeur est le propriétaire du terrain ou a obtenu de celui-ci le droit de l’exploiter ou de l’utiliser » doit figurer au dossier.

Classiquement, les juridictions administratives appliquent toutefois la théorie du propriétaire apparent issue du droit de l’urbanisme et considèrent que l’administration, ne pouvant s’immiscer dans les litiges de droit privé, n’a pas à examiner la régularité du document fourni (CAA Marseille, 3 oct. 2011, n° 09MA02811 ; CAA Lyon, 11 mai 2010, BOUCHET, n° 08LY01109 ;TA Amiens, 13 juin 2006, SOCIETE COSYCA, n°0302111 ; TA Toulouse, 18 mars 2004, ASSOCIATION « VIVRE AU SUD DU PARC » ET AUTRES, n°0200337, 021502 et 021503).

Un seul cas fait exception : celui de l’irrégularité manifeste du titre. Ainsi, lorsque l’autorité administrative est en mesure de déceler l’absence de maîtrise foncière du pétitionnaire sans avoir à apprécier des questions de droit privé, elle doit considérer que le dossier de demande d’autorisation est incomplet (pour un exemple où  l’autorisation de signer le bail pour l’exploitation de la carrière n’avait pas été délivrée à la bonne personne : voir TALimoges, 26 décembre 2003, GIRE ET AUTRES, n°01137).

Cette position s’explique par le fait que les autorisations administratives sont délivrées sous réserve des droits des tiers, et donc au regard des seules règles applicables en droit de l’urbanisme ou de l’environnement. En matière d’installations classées, cette règle est expressément prévue par l’article L.514-19 du Code de l’environnement.

 

En l’espèce, des particuliers contestaient l’arrêté préfectoral autorisant l’exploitation d’une carrière de roche calcaire et une installation de traitement pour une durée de 30 ans. Tant le Tribunal administratif que la Cour administrative d’appel ayant rejeté leur recours, les requérants s’étaient pourvus en cassation devant le Conseil d’Etat.

Ils soutenaient notamment que la convention de bail conclue entre l’exploitant et les communes propriétaires indivisaires des parcelles d’implantation du projet était irrégulière, au motif que les délibérations des conseils municipaux autorisant les maires à les signer avaient été prises en méconnaissance des articles L.5222-1 et L.5222-2 du Code général des collectivités territoriales, qui prévoient des conditions de gestion spécifiques pour les biens indivis.

La Cour Administrative d’appel de Lyon avait considéré qu’il s’agissait d’un litige de droit privé, puisque les parcelles concernées n’appartenaient pas au domaine public et que le contrat ne comportait pas de clauses exorbitantes du droit commun, et en avait déduit que le Préfet n’avait pas à examiner cette question (CAA Lyon, 5 juillet 2012, n°10LY02682).

Le Conseil d’Etat casse cet arrêt et fait droit à l’argumentation des requérants. La Haute juridiction considère ainsi qu’il incombait au Préfet de s’assurer de la présence de l’attestation de maîtrise foncière, mais aussi de sa régularité :

«  Considérant qu’en vertu du 8° du I de l’article R. 512-6 du code de l’environnement, un document attestant que le demandeur est le propriétaire du terrain ou a obtenu de celui-ci le droit de l’exploiter ou de l’utiliser doit être joint à chaque demande d’autorisation d’ouverture d’une carrière ou d’une installation de stockage de déchets ; qu’eu égard notamment aux obligations qui peuvent être imposées par le régime des installations classées au propriétaire du terrain en cas de dommages pour l’environnement, il incombe à l’autorité administrative, lorsque le demandeur n’est pas le propriétaire du terrain, de s’assurer de la production de l’autorisation donnée par le propriétaire, sans laquelle la demande d’autorisation ne peut être regardée comme complète, mais également de vérifier qu’elle n’est pas manifestement entachée d’irrégularité ;

Considérant que les articles L. 5222-1 et L. 5222-2 du code général des collectivités territoriales déterminent les conditions de gestion des biens et droits indivis entre plusieurs communes et précisent notamment la personne morale compétente pour assurer l’administration et la mise en valeur de ses biens et droits ; que les requérants soutenaient devant les juges du fond que, en application de ces dispositions, la convention mentionnée au point 1 ne pouvait être conclue que par la commission syndicale ; qu’il résulte de ce qui a été dit au point 2 qu’en s’abstenant de se prononcer sur le moyen tiré de ce que les maires n’étaient pas compétents pour conclure la convention de bail en cause et en jugeant que, par la seule production de cette convention, la société La Provençale devait être réputée avoir régulièrement obtenu un droit d’exploiter une carrière, la cour administrative d’appel de Lyon a entaché son arrêt d’une erreur de droit ; que, dès lors, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, M. A…et M. et Mme D…sont fondés à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ; »

La Haute juridiction estime dès lors qu’en ne vérifiant pas la compétence des Maires pour conclure la convention de bail litigieuse, et en se satisfaisant de sa simple production, les juges du fond ont commis une erreur de droit. On notera néanmoins que l’examen de la régularité se limite toujours à l’hypothèse d’une irrégularité « manifeste », ce qui ne remet pas la tendance jurisprudentielle antérieure en cause.

Malgré tout, cette décision est intéressante dans la mesure où elle marque une prise en compte des risques juridiques pesant sur le propriétaire du terrain d’implantation de l’exploitation, notamment à l’issue de la période d’exploitation.

En effet, en cas de défaillance de l’exploitant, le propriétaire du terrain peut être rendu débiteur des obligations de remise en état (CAA Bordeaux, 2 mai 2006, SOCIETE UNILEVER FRANCE, n°02BX01828 et 04BX00229 ; CAA Bordeaux, 7 mai 2007, SCI CVG IMMOBILIER, n°03BX01955), et sa responsabilité peut être engagée en sa qualité de détenteur de déchets lorsqu’il a fait preuve de négligence (Code envir., nouvel article L. 556-3 ; voir aussi Cass, Civ. 3ème, 11 juillet 2012, n°11-10.478 ; CE, 25 septembre 2013, SA WATTELEZ, n°160787).

Au vu de ces risques considérables, il est d’une certaine logique de s’assurer de l’information du propriétaire de parcelles destinées à accueillir des installations tells que des carrières ou des installation de stockage de déchets au moment de la procédure d’autorisation.

Lou DELDIQUE

Green Law Avocat