I.C.P.E. : silence de l’administration sur les modifications vaudrait rejet

Par Maîtres Marie-Coline GIORNO et Yann BORREL (Green Law Avocats)

Le silence gardé par le préfet à l’issue des délais prévus par l’article R. 181-41 pour statuer sur la demande d’autorisation environnementale vaut décision implicite de rejet (C. envir., art. R. 181-42).

Ainsi la réforme de l’autorisation environnementale entrée en vigueur le 1er mars 2017 met un terme à la jurisprudence Tchijakoff qui valait en matièrede de silence sur une demande d’autorisation environnementale : le Conseil d’État jugeait que l’absence de prorogation du délai d’instruction à l’issue des 3 mois suivant la transmission du rapport du commissaire enquêteur (ancien délai imparti au préfet pour statuer) ne faisait pas naître de décision implicite de rejet et ne dessaisissait plus le préfet (CE, 9 juin 1995, Tchijakoff : JurisData n° 1995-046179 ; Rev. jur. env. 1996, p. 164 ; LPA 28 nov. 1997).

Mais on pouvait se demander si l’abandon de la jurisprudence dite «  Tchijakoff » valait même en matière de demande de modification des installations classées existantes ? On pouvait en fait hésiter au regard de la pratique maintenue par les préfets de se considérer que leur silence ne valait pas décision implicite alors qu’en droit plusieurs lectures d’un mutisme administratif peu rassurant pour les exploitants :« Silence vaut acceptation », « silence vaut rejet » ou nécessité d’une décision expresse…

En matière de modifications d’installations classées, un arrêt du Conseil d’Etat est venu, au moins en partie, clarifier une situation pour le moins obscure… (cf. CE, 23 sept. 2021, n° 437748, Lebon T)

Après avoir rappelé le régime de droit commun prévu par le code des relations entre le public et l’administration (I), il conviendra d’examiner la déclinaison spéciale qui en est faite en matière d’installations classées au regard de cet arrêt recent (II).

  1. Le régime de droit commun prévu par le code des relations entre le public et l’administration

En principe, lorsqu’il est statué sur une demande au sens de l’article L. 110-1 du code des relations entre le public et l’administration, l’article L. 231-1 de ce même code considère que le silence gardé pendant deux mois par l’autorité administrative sur une demande vaut acceptation.

Il existe toutefois des exceptions légales à ce principe. Ainsi, l’article L. 231-4 de ce même code prévoit cinq cas dans lesquels, par dérogation à l’article L. 231-1 précité, le silence vaudra décision de rejet :

1°        Lorsque la demande ne tend pas à l’adoption d’une décision présentant le caractère d’une décision individuelle ;

2°        Lorsque la demande ne s’inscrit pas dans une procédure prévue par un texte législatif ou réglementaire ou présente le caractère d’une réclamation ou d’un recours administratif ;

3°        Lorsque la demande présente un caractère financier sauf, en matière de sécurité sociale, dans les cas prévus par décret ;

4°        Dans les cas, précisés par décret en Conseil d’Etat, où une acceptation implicite ne serait pas compatible avec le respect des engagements internationaux et européens de la France, la protection de la sécurité nationale, la protection des libertés et des principes à valeur constitutionnelle et la sauvegarde de l’ordre public ;

5°        Dans les relations entre l’administration et ses agents.

De même, l’article L. 231-5 du code des relations entre le public et l’administration permet au pouvoir réglementaire d’écarter l’application du « principe du silence valant acceptation » eu égard à l’objet de la décision ou pour des motifs de bonne administration.

L’article L. 231-6 de ce même code permet de prévoir un délai différent lorsque l’urgence ou la complexité de la procédure le justifie.

Plusieurs décrets ont été pris pour l’application des articles L. 231-4 à L. 231-6 du code des relations entre le public et l’administration (Décret n° 2014-1271 du 23 octobre 2014 relatif aux exceptions à l’application du principe « silence vaut acceptation » sur le fondement du II de l’article 21 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ainsi qu’aux exceptions au délai de deux mois de naissance des décisions implicites sur le fondement du II de cet article (ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie) ; Décret n° 2014-1273 du 30 octobre 2014 relatif aux exceptions à l’application du principe « silence vaut acceptation » sur le fondement du 4° du I de l’article 21 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ainsi qu’aux exceptions au délai de deux mois de naissance des décisions implicites sur le fondement du II de cet article (ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie).

  1. La déclinaison spéciale du silence en matière d’installations classées

En ce qui concerne plus spécifiquement les installations classées pour la protection de l’environnement (I.C.P.E.), les décrets précités font mention de certaines décisions prises au titre de la police des I.C.P.E pour lesquelles le silence vaut rejet.

A titre d’exemple, en l’absence de réponse de de l’administration, les demandes suivantes doivent être considérées comme ayant fait l’objet d’une décision implicite de rejet à l’issue du délai mentionné dans le texte du décret concerné :

  • édiction de prescriptions spéciales sur demande d’un tiers pour une I.C.P.E. soumise à déclaration ;
  • autorisation temporaire d’exploiter une I.C.P.E pour une durée de 6 mois renouvelable une fois ;
  • fixation des prescriptions de réhabilitation et des mesures de surveillance après la mise à l’arrêt définitif d’une I.C.P.E soumise à autorisation ;
  • fixation des prescriptions de réhabilitation et des mesures de surveillance après la mise à l’arrêt définitif d’une I.C.P.E soumise à enregistrement ;
  •  modification des prescriptions applicables à l’installation sur demande de l’exploitant d’une I.C.P.E soumise à déclaration ;
  •  autorisation de changement d’exploitant pour les installations soumises à garanties financières.

A contrario, il serait tentant d’en déduire que, pour les décisions relatives aux installations classées pour la protection de l’environnement non citées dans ces décrets, le silence vaudrait acceptation dans un délai de deux mois…  Tel n’est toutefois pas systématiquement le cas. Deux exemples doivent en témoignent.

S’agissant des demandes d’autorisation prises au titre de la réglementation des installations classées, la Haute Assemblée considère qu’une demande d’autorisation d’exploiter ne peut, par principe, donner lieu à une décision implicite du Préfet, qu’elle soit d’acceptation ou de rejet et que l’absence de réponse « ne dessaisit pas l’autorité administrative, qui reste tenue de statuer sur la demande d’autorisation d’ouverture d’installation classée qui lui a été présentée » (cf. CE 9 juin 1995, req. n°127763 dite «Epoux Tchijakoff »)

Ce principe a été récemment réaffirmé dans un arrêt dans lequel le Conseil d’Etat a jugé que les demandes d’autorisation ICPE, instruites sur la base des dispositions en vigueur avant l’entrée en vigueur de environnementale, ne peuvent donner lieu à une décision implicite, dès lors que la procédure d’instruction en cause est régie par des dispositions spéciales qui impliquent que soient prises des décisions expresses et n’entrent donc pas dans le champ du principe selon lequel le silence vaut acceptation (cf. CE 9 octobre 2017, req. n°397199).

Ces décisions sont logiques dans la mesure où la police des installations classées se définit par la protection d’intérêts spécifiques, en particulier tenant à la santé publique et à l’environnement, ce qui crée des réticences à faire naître du silence de l’administration des décisions tacites et encore plus d’acceptation.

Mais on l’a dit, avec le régime d’autorisation environnementale et aux termes de l’article R. 181-42 du code de l’environnement    (Décr. no 2017-81 du 26 janv. 2017, art. 1er, en vigueur le 1er mars 2017) « le silence gardé par le préfet à l’issue des délais prévus par l’article R. 181-41 pour statuer sur la demande d’autorisation environnementale vaut décision implicite de rejet ».

S’agissant des décisions de porter à connaissance d’une modification d’autorisation d’élevage, régie par l’article R. 515-53 du code de l’environnement alors en vigueur, le Conseil d’Etat vient de se prononcer.

Aux termes de sa décision, le Conseil d’Etat a jugé que :

« 5. Il résulte des dispositions citées au point 3 que lorsque l’exploitant d’un élevage bénéficiant d’une autorisation au titre de la législation des installations classées pour la protection de l’environnement envisage une modification des conditions d’exploitation, il doit, en vertu des dispositions de l’article R. 515-53 du code l’environnement, porter ce projet à la connaissance du préfet avant sa mise en œuvre, par le dépôt d’un dossier comportant les éléments d’appréciation prévus à l’article R. 515-54 du même code. Si le préfet considère que le regroupement projeté est de nature à entraîner une modification substantielle de l’installation autorisée, il invite l’exploitant à déposer une nouvelle demande d’autorisation qui doit faire l’objet de l’étude d’impact prévue à l’article L. 122-1 du même code.

Dans le cas contraire, il lui appartient de prendre un arrêté complémentaire en application des dispositions de l’article R. 512-31 du même code afin de modifier l’autorisation existante et, le cas échéant, de fixer les prescriptions additionnelles rendues nécessaires par les modifications apportées. Il suit de là que la procédure prévue à l’article R. 515-53 du code l’environnement doit dans son ensemble être regardée comme constituant une demande de modification des conditions d’exploitation d’une installation classée pour la protection de l’environnement au sens de l’article 18 de la loi du 12 avril 2000 cité précédemment, désormais repris à l’article L. 110-1 du code des relations entre le public et l’administration.

6. Toutefois, au regard tant des dispositions du tableau annexé à l’article 1er du décret du 30 octobre 2014, citées au point 2, que de celles du II de l’article L. 123-2 du même code, citées au point 4, la demande ainsi formée par l’exploitant, dès lors qu’elle est susceptible de rendre nécessaire le dépôt d’une nouvelle demande d’autorisation devant faire l’objet de l’étude d’impact préalable prévue à l’article L. 122-1 du code de l’environnement, relève des exceptions à l’application du principe selon lequel le silence gardé pendant deux mois par l’autorité administrative vaut décision d’acceptation.

7. Par suite, en jugeant que la procédure prévue à l’article R. 515-53 du code de l’environnement relevait des dispositions spéciales de la législation des installations classées pour la protection de l’environnement et n’entrait pas, en conséquence, dans le champ du principe résultant de l’article 21 de la loi du 12 avril 2000, désormais repris aux articles L.231-1 et suivants du code des relations entre le public et l’administration, de sorte que le silence gardé pendant deux mois par le préfet sur la demande de la SCEA Côte de la Justice tendant à la délivrance de l’autorisation de regroupement, enregistrée le 16 mars 2015, n’avait pas fait naître une décision implicite d’acceptation, la cour administrative d’appel de Douai n’a pas commis d’erreur de droit. » (CE, 23 sept. 2021, n° 437748, Lebon T)

Notons que, dans cette récente affaire, le Conseil d’Etat s’est légèrement écarté des préconisations du Rapporteur public (cf. conclusions sur la décision consultables ici). Si, comme ce dernier, le Conseil d’Etat a refusé de reconnaître l’existence d’une décision tacite d’acceptation, il n’a toutefois pas retenu le fondement légal qui lui était préconisé.

Alors que ce dernier avait recommandé d’appliquer la solution posée par jurisprudence dite «Epoux Tchijakoff » de 1995 en l’adaptant à la marge si besoin, la Haute juridiction, a pour sa part préféré retenir comme fondement légal l’article 1er du décret du 30 octobre 2014 et l’article L. 123-2 du même code.

La différence principale entre ces deux fondements légaux réside, selon notre analyse, dans le fait qu’avec une solution inspirée de la jurisprudence dite jurisprudence dite «Epoux Tchijakoff » de 1995, l’administration serait restée saisie de la demande tant qu’elle n’aurait pas statué alors que le fondement retenu par le Conseil d’Etat, même si ce n’est pas expressément écrit, impliquerait plutôt la naissance d’une décision tacite de rejet dans le silence de l’administration.

Cette analyse paraît confortée par le fait que, si la Cour administrative d’appel de Douai, avait refusé de reconnaître l’existence d’une décision tacite d’acceptation, elle avait en revanche indiqué qu’une décision expresse était nécessaire :

« 7. Cependant, la procédure d’instruction de cette demande d’autorisation de regroupement relève des dispositions spéciales de la police des installations classées pour la protection de l’environnement impliquant que soient prises des décisions expresses. Cette procédure d’instruction n’entre donc pas dans le champ de l’article 21 de la loi du 12 avril 2000 dans sa rédaction applicable au litige, désormais repris aux articles L. 231-1 et L. 231-4 du code des relations entre le public et l’administration, et en vertu duquel le silence gardé pendant deux mois par l’autorité administrative sur une demande vaut décision implicite d’acceptation. Le silence gardé pendant deux mois par le préfet sur la demande tendant à la délivrance de l’autorisation de regroupement prévue au troisième alinéa de l’article R. 515-53 du code de l’environnement n’a donc pas fait naître une décision implicite d’acceptation » (CAA de DOUAI, 1ère chambre, 19/11/2019, 17DA01732, Inédit au recueil Lebon consultable ici)

Or, dans sa décision du 23 septembre 2021, le Conseil d’Etat n’est pas allé aussi loin puisqu’il s’est contenté de se prononcer sur l’absence de décision tacite d’acceptation sans évoquer la moindre nécessité d’une décision expresse.

Ces éléments nous conduisent donc à penser que le silence de l’administration sur une demande de modification d’élevage dans un délai de deux mois doive s’interpréter comme une décision implicite de rejet.

Cette position nous paraît pouvoir être transposée à toute modification d’installations classées soumises à autorisation, de telles modifications pouvant également conduire au dépôt d’une nouvelle demande d’autorisation lorsqu’elles présentent un caractère substantiel. Ces nouvelles demandes pouvant, le cas échéant après un examen au cas par cas, requérir une étude d’impact, il nous semble qu’elles entreraient ainsi dans le champ des exceptions à la règle selon laquelle « silence vaut acceptation ». Une décision du Conseil d’Etat permettrait de trancher clairement cette question.