Hydroélectricité: l’exploitant d’une usine hydroélectrique ne doit pas la laisser aller à vau-l’eau (CAA Bordeaux 16 déc. 2014, n°13BX02516)

Abstract spider web with dew dropsTel est le principal enseignement que l’on peut tirer de l’arrêt commenté (CAA Bordeaux, 16 décembre 2014, n°13BX02516).

Dans cette affaire, un exploitant hydroélectrique s’était manifestement reposé sur ses acquis en s’abstenant de fait part au Préfet de son intention de poursuivre l’exploitation de son usine une fois son autorisation expirée, comme le lui permettait l’article R. 214-82 du code de l’environnement.

A sa décharge, l’exploitant pensait être dispensé de l’accomplissement de ces formalités. En effet, le titre d’exploitation qui lui avait été accordé en 1981 précisait qu’il serait renouvelé « de plein droit pour une durée de trente ans si, un an au moins avant son expiration, l’administration ne notifie pas au permissionnaire sa décision contraire » (cf., considérant n° 4). Or, à défaut pour l’administration de s’être manifestée dans les conditions précitées, l’exploitant pensait que son titre s’était tacitement renouvelé. Par ailleurs, par un précédent arrêt en date du 22 mars 2010, la Cour administrative d’appel de Bordeaux avait reconnu à l’exploitant un droit fondé en titre à la prise d’eau correspondant à une hauteur de chute de 6,70 mètres et à un débit dérivé de 1,30 mètres cubes par seconde.

Le Préfet n’en a pas moins refusé de considérer que le titre d’autorisation avait été renouvelé de plein droit et a, en conséquence, mis l’exploitant en demeure de déposer un dossier de renouvellement. A défaut de respecter cette obligation, l’exploitant s’est vu prescrire le établissement à ses frais des ouvrages dans leur consistance légale telle que définie par l’arrêt de la Cour en date du 22 mars 2010.

Ce dernier a, alors, sans succès, saisi le Tribunal administratif, puis la Cour administrative d’appel, d’une demande d’annulation de l’arrêté de mise en demeure et à ce qu’il soit enjoint au Préfet de renouveler l’autorisation. Le raisonnement suivi par les magistrats de la Cour peut se décomposer en deux temps.

  • Dans un premier temps, les magistrats ont neutralisé les dispositions de l’arrêté d’autorisation relatives au renouvellement pour une durée de 30 ans à défaut d’objection de la part de l’administration. Au soutien de cette solution, ils ont jugé que les décisions de mise en demeure relatives au dépôt d’un dossier de demande d’autorisation d’exploiter une usine hydroélectrique relèvent d’un contentieux de pleine juridiction, de sorte qu’il leur appartient de statuer au regard des éléments de droit et de fait existant à la date de leur arrêt (cf., considérant n° 4).

Cette solution n’est pas nouvelle. En effet, il ressort de la jurisprudence du Conseil d’Etat que « les décisions relatives à la réalisation et à l’exploitation des ouvrages utilisant l’énergie hydraulique trouvent leur fondement juridique à la fois dans la loi du 16 octobre 1919 [relative à l’énergie hydroélectrique], dont les dispositions ont été reprises par les articles L. 521-1 et suivants du code de l’énergie, et dans les articles L. 214-1 et suivants du code de l’environnement ; qu’elles relèvent, dès lors, en application de l’article L. 214-10 de ce code, d’un contentieux de pleine juridiction, dans les conditions fixées par l’article L. 514-6 dudit code ; que, par suite, il appartient au juge de régler les litiges qui lui sont soumis en la matière compte tenu des éléments de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue » (CE 10 décembre 2007, Sarl Forces énergies électriques, req. n° 288456, rec. Lebon p. 863 et p. 1003).

En l’espèce, si le titre d’autorisation initial prévoyait un renouvellement tacite pour une durée de 30 ans à défaut d’objection de la part de l’administration, cette disposition est devenue illégale à la suite de l’entrée en vigueur des dispositions de l’article R. 214-82 du code de l’environnement, qui sont issues du décret n°95-1204 du 6 novembre 1995 relatif à l’autorisation des ouvrages utilisant l’énergie hydraulique. Etant donné qu’ils sont tenus d’appliquer la réglementation applicable à laquelle ils statuent, les juges de la Cour ont écarté les dispositions du titre d’autorisation initial et fait application de l’article R. 214-82 du code de l’environnement. Or, étant donné que l’exploitant n’avait pas respecté les formalités prévues par cet article en cas d’intention de poursuivre l’exploitation au-delà de la date d’expiration de l’autorisation initiale, il n’était pas fondé à demander l’annulation de l’arrêté en tant qu’il mettait l’exploitant en demeure de déposer un dossier de demande de renouvellement de son autorisation.

  • Dans un second temps, les magistrats ont jugé que le Préfet n’avait pas méconnu le droit fondé en titre attaché à la prise d’eau, en exigeant le rétablissement du milieu dans leur consistance légale telle que définie par l’arrêt de la Cour en date du 22 mars 2010 en cas d’absence de dépôt d’un dossier de renouvellement dans le délai imparti.

Au soutien de cette solution, les magistrats ont fait application de la jurisprudence Société Laprade Energie relative à la consistance du droit fondé en titre : « un droit fondé en titre conserve la consistance qui était la sienne à l’origine ; que dans le cas où des modifications de l’ouvrage auquel ce droit est attaché ont pour effet d’accroître la force motrice théoriquement disponible, appréciée au regard de la hauteur de la chute d’eau et du débit du cours d’eau ou du canal d’amenée, ces transformations n’ont pas pour conséquence de faire disparaître le droit fondé en titre, mais seulement de soumettre l’installation au droit commun de l’autorisation ou de la concession pour la partie de la force motrice supérieure à la puissance fondée en titre » (CE 5 juillet 2004, rec. Lebon p. 594).

En définitive, si le droit d’exploitation délivré sous le régime de la loi du 16 octobre 1919 est allé « à vau-l’eau » jusqu’à se perdre, à défaut pour l’exploitant d’avoir respecté les formalités de renouvellement prévues par l’article R. 214-82 du code de l’environnement, ce dernier peut encore se consoler en exploitant son ouvrage dans les limites de son droit fondé en titre. Pour autant, il n’est pas non plus à l’abri de perdre son droit fondé en titre. Tel serait le cas, dans l’hypothèse où il s’abstiendrait d’entretenir son ouvrage au point que « la force motrice du cours d’eau n’est plus susceptible d’être utilisée par son détenteur, du fait de la ruine ou du changement d’affectation des ouvrages essentiels destinés à utiliser la pente et le volume de ce cours d’eau » (CE 5 juillet 2004, Société Laprade Energie, précité). Mais, gageons cette fois-ci, que l’exploitant est averti et qu’il ne se laissera pas aller !

Enfin, précisons que l’arrêt rendu par la Cour est en partie daté, depuis l’abrogation de l’article R. 214-82 du code de l’environnement par le décret n° 2014-750 du 1er juillet 2014 harmonisant la procédure d’autorisation des installations hydroélectriques avec celle des installations, ouvrages, travaux et activités prévue à l’article L. 214-3 du code de l’environnement.

Yann BORREL

Green Law Avocat